Ottawa met en péril des traités internationaux

Un groupe de scientifiques états-uniens s'inquiète des conséquences néfastes qu'aura l'abolition de centaines d'emplois à Environnement Canada au sein des deux programmes de surveillance de la couche d'ozone et des polluants atmosphériques. La diminution, voire la disparition de ces programmes de surveillance serait non seulement dommageable pour les recherches menées sur le climat ici et ailleurs, mais elle contreviendrait aussi aux engagements que le Canada a pris lors de la ratification de divers conventions et protocoles internationaux.
Cinq sommités en matière de climat provenant du milieu universitaire américain et de la NASA ont formulé leurs craintes dans un article qui fut publié avant-hier, le 14 février, dans l'Eos, une publication hebdomadaire de l'American Geophysical Union, qui représente 61 000 spécialistes de 148 pays. Les signataires de la lettre ont d'entrée de jeu souligné l'excellence du programme d'Environnement Canada en matière de surveillance de l'ozone dans les régions nordiques, programme qui est souvent cité comme «une référence». «Le monde perdra une quantité énorme de données nécessaires à notre compréhension de l'environnement», ont-ils affirmé dans un communiqué de presse.Thomas Duck, professeur des sciences de l'atmosphère à l'Université Dalhousie, à Halifax, rappelle les faits: «En août dernier, le gouvernement annonçait aux employés d'Environnement Canada que 776 d'entre eux seraient licenciés ou changeraient d'affectation. Toutefois, nous ne savons pas combien d'emplois ont été supprimés à ce jour. Et l'organisme demeure muet sur la question.»
Chose certaine, à la mi-octobre, le site Internet du réseau CORALNet (Canadian Operational Aerosol Lidar Network) a fermé boutique, alors que cinq des six lidars — instruments de télédétection par laser — du réseau ont cessé de mesurer dans l'atmosphère les particules polluantes — résultant des émissions de carburants fossiles et des incendies de forêt — en provenance d'Asie, d'Europe et des États-Unis. En activité depuis 30 ans, les lidars de CORALNet faisaient partie du réseau international Global Atmosphere Watch Aerosol Lidar Observation Network. Et ils nous permettaient de distinguer la pollution produite au Canada de celle nous venant d'ailleurs.
Le programme canadien de surveillance de l'ozone comprend pour sa part dix stations à travers le Canada, dont trois sont situées dans l'Arctique. Les sondes de ces stations évaluent non seulement l'état de la couche d'ozone dans la plus haute atmosphère qui nous protège des effets délétères des rayons ultraviolets, mais elles mesurent aussi les niveaux de l'ozone près du sol qui s'avère un polluant très nocif pour les poumons.
«Aucune station de surveillance de l'ozone n'est présente au Québec, malgré la taille de la province et de sa population, fait remarquer M. Duck. Mais pire encore, la station du CORALNet située à l'Université de Sherbrooke vient de fermer. Le Québec ne dispose donc plus d'aucun des deux équipements-clés permettant de mesurer la pollution atmosphérique.»
Les auteurs du commentaire paru dans l'Eos s'étonnent de voir le programme de surveillance de la couche d'ozone menacé, alors que l'on vient d'observer pour la première fois un trou dans la couche d'ozone au-dessus de l'Arctique. «Depuis plusieurs années, un trou béant s'ouvre dans la couche d'ozone au-dessus de l'Antarctique chaque printemps, puis ce trou se referme graduellement après quelques mois. Or, en mars et en avril derniers, pour la première fois, nous avons observé un trou dans la couche d'ozone surplombant l'Arctique. Nous sommes donc dans l'expectative de ce qui arrivera le printemps prochain. C'est pourquoi il est si choquant de voir le gouvernement manifester son intention de mettre un terme au programme de surveillance de l'ozone», souligne Thomas Duck.
Selon James Drummond, professeur en science de l'atmosphère à l'Université Dalhousie, «en raison de cette énorme diminution de l'ozone en Arctique, qui a surpris tout le monde, nous avons besoin plus que jamais d'enregistrer ce qui se passe dans l'environnement. D'autant plus que l'activité industrielle s'accroît, et qu'il y a de plus en plus de risques que l'atmosphère en pâtisse. Interrompre la surveillance en ce moment est une très mauvaise idée, car nous ne saurons pas ce qui se passe jusqu'à ce que ce soit un désastre», déclare-t-il.
«Le Canada contribue à plusieurs banques de données internationales. Si nous cessons notre contribution, personne d'autre ne le fera pour nous, et l'absence de données sur ce grand territoire qu'est le Canada amoindrira la qualité des recherches sur le climat, et les modèles de prédiction. De plus, le Canada manque à sa parole envers les Nations unies», ajoute M. Drummond.
Dans leur lettre, les scientifiques américains rappellent que le Canada a longtemps été «un chef de file dans la recherche sur l'Arctique». Et ils craignent que le démantèlement des programmes de surveillance d'Environnement Canada rende le Canada incapable de respecter ses engagements internationaux, dont ceux inscrits dans l'Accord sur la qualité de l'air États-Unis-Canada (signé en 1991), dans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et dans le protocole de Montréal (signé en 1987).
«En vertu du protocole de Montréal, le Canada se doit surveiller l'état de la couche d'ozone dans les régions nordiques. Si nous cessons cette activité, nous n'abandonnons pas seulement les Canadiens, mais le reste du monde, lance Thomas Duck. Si les coupes sont aussi importantes qu'annoncées, nous ne serons plus en mesure de respecter nos engagements internationaux. Mais en plus, nous ne pourrons plus protéger la santé des Canadiens, ni assurer la sécurité environnementale du Canada. Ces programmes sont essentiels pour surveiller la qualité de l'air que nous partageons avec tous les humains de la planète.»