H5N1: un comité recommande la censure

Les magazines scientifiques Science et Nature publiaient hier les explications formulées par le Bureau national américain de la science pour la biosécurité (NSABB) qui recommande de censurer pour des raisons de sécurité deux articles scientifiques qui décrivent par le menu comment ont été créés des mutants de la souche H5N1 de la grippe aviaire, lesquels mutants seraient désormais capables de se transmettre entre mammifères, voire entre humains — et de ce fait, feraient réapparaître le spectre d'une pandémie.
Le NSABB craint que «la publication des détails des deux expérimentations [ayant abouti à la création de ces mutants] aide des individus, des organisations ou des gouvernements malveillants à mettre au point des virus semblables qu'ils utiliseraient pour faire du mal». Les membres du NSABB ont estimé que «les risques pour la santé publique [d'une utilisation à mauvais escient de cette information] sont exceptionnellement élevés compte tenu de la vulnérabilité du public et du niveau de préparation des organismes de santé publique à un tel événement».Le NSABB croit qu'en expurgeant des articles «la description de la méthode d'expérimentation et certains résultats, la société pourra bénéficier» des découvertes effectuées par ces deux équipes de scientifiques, «tout en minimisant les risques». Les membres du comité admettent que la découverte «des routes évolutives que les virus de la grippe aviaire A(H5N1) peuvent emprunter pour s'attaquer aux humains pourrait permettre de mieux se préparer et de mettre au point de nouvelles stratégies de contrôle de la maladie», mais ils restent persuadés que les risques excèdent les bénéfices.
Le NSABB recommande aussi la tenue d'un moratoire durant lequel les communautés scientifique, de santé publique et politique discuteraient de la pertinence de ces recherches, dont les résultats sont à double tranchant.
Une censure inutile
Peter Tyjssen, spécialiste de la virologie moléculaire au Centre INRS-Institut Armand-Frappier, croit toute censure inutile. «Les personnes mal intentionnées finiront toujours par trouver ces informations, et par savoir comment faire, peut-être un peu plus tard, mais sûrement», dit-il tout en comparant la situation actuelle à celle qui prévalait en 1975 lorsque Paul Berg (futur Prix Nobel de chimie en 1980) en appela à un moratoire sur les manipulations génétiques. Il réunit alors 150 chercheurs venus des quatre coins du monde à Asilomar en Californie pour en discuter. «On a eu beaucoup de mal à autoriser les manipulations génétiques, mais aujourd'hui tous les étudiants en font couramment.»
La viro-immunologiste Lucie Lamontagne, du Département des sciences biologiques de l'UQAM, s'oppose à la censure en recherche fondamentale. «Les résultats de la recherche sont des connaissances qui doivent être disponibles à l'ensemble de l'humanité», dit-elle.
De toute façon, «tout travail ayant une valeur très positive pourrait être utilisé par des gens mal pensants pour perpétrer des actes terroristes et dangereux. Si l'on appréhende la recherche comme cela, on se retrouvera dans une chasse aux sorcières. Aujourd'hui, dans les universités, les étudiants diplômés apprennent à maîtriser les techniques leur permettant de faire très facilement des modifications génétiques en utilisant des produits qui sont commercialement disponibles. Des personnes ayant de mauvaises intentions n'ont donc pas besoin d'attendre la publication d'un nouvel article dans Nature ou Science pour les concrétiser», déclare la chercheuse.
Bien qu'elle se dise incapable de juger du danger potentiel des deux publications qu'elle n'a pas eu l'occasion de lire, Lucie Lamontagne affirme que si les articles précisent que «tels gènes bien précis ont été modifiés de telle façon [pour que le virus puisse s'attaquer aux humains], il s'agit là d'une grande avancée, dont la publication est parfaitement justifiée, voire extrêmement importante pour que l'on puisse dépister rapidement le virus avant qu'il ne devienne trop virulent et pour préparer des vaccins, des médicaments plus ciblés et donc plus performants».
Dépistage
À l'instar de ses collègues, Éric Frost, du Département de microbiologie et d'infectiologie de l'Université de Sherbrooke, n'apprécie guère la censure: «Si les chercheurs ont trouvé ce dont a besoin le virus pour devenir dangereux, ce serait important pour moi de le savoir pour que je puisse dépister ces caractéristiques dans les isolats de H5N1 qui me tomberont entre les mains.»
Selon lui, «des bombes permettraient de mieux viser les cibles à détruire qu'un micro-organisme, comme le virus de la grippe H5N1, sur lequel les terroristes n'auront aucun contrôle et qui risque de les tuer également».
Éric Frost rappelle qu'on a publié en 2005 la séquence complète du virus de la grippe responsable de la pandémie de 1918, un virus qui est encore très pathogène. «Or, les terroristes ne l'ont toujours pas utilisée. Quelle différence y a-t-il entre cette séquence et celle du H5N1 qui a été modifiée?» demande-t-il.