Le scientifique en chef défendra la recherche libre

Devant l'indignation d'un groupe de chercheurs qui s'insurgeaient dans une lettre ouverte publiée dans notre édition d'hier de le voir s'adresser à des membres de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) à l'occasion de sa première apparition publique, le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, s'est défendu de vouloir assujettir la recherche québécoise aux demandes de l'industrie privée et a insisté sur sa détermination à défendre «la recherche libre et non ciblée».
Le neuroscientifique Rémi Quirion assume depuis le 1er septembre les fonctions de ce nouveau poste de «scientifique en chef du Québec» créé lors de l'adoption, le 9 juin dernier, du projet de loi 130 qui visait à restructurer certains organismes et fonds gouvernementaux. Le scientifique en chef préside les conseils d'administration de chacun des trois fonds (FRSQ, FQRNT et FQRSC), lesquels conservent leur personnalité et leur mission respectives, comme l'avait réclamé la communauté des chercheurs en commission parlementaire. Le scientifique en chef aura la mission de conseiller le ministre en matière de développement de la recherche et de la science.Jusqu'à sa nomination, Rémi Quirion était vice-doyen aux sciences de la vie et aux initiatives stratégiques de la Faculté de médecine de l'Université McGill, directeur scientifique du Centre de recherche de l'Institut Douglas et directeur général de la Stratégie internationale de recherche concertée sur la maladie d'Alzheimer des Instituts de recherche en santé du Canada. Il encadrait des étudiants diplômés dans son laboratoire, qu'il fermera à regret sous peu, comme l'exige son nouveau poste.
Devant une salle comble au Palais des congrès hier midi, Rémi Quirion a indiqué qu'il s'efforcera d'améliorer le rayonnement de la recherche québécoise au Canada et à l'étranger, dans l'espoir de favoriser de nouveaux partenariats internationaux. En entrevue au Devoir, il affirmait récemment vouloir aider «nos chercheurs afin qu'ils puissent aller chercher davantage de financement d'organisations étrangères, telles que la Fondation Gates, les National Institutes of Health et l'Union européenne».
«En préservant les assises solides que l'on a bâties au cours des 50 dernières années, il faut maintenant travailler davantage ensemble», a-t-il déclaré tout en formulant son désir de mettre en branle de «grands projets intersectoriels» qui monopoliseraient nos meilleures expertises, compte tenu du fait que «les questions de l'heure [santé, changements climatiques, etc.] sont de plus en plus intersectorielles».
Il a aussi insisté sur le fait que pour «demeurer compétitif au niveau international» et réaliser ces grands projets intersectoriels, il faudrait doubler d'ici cinq ans le budget de 200 millions de dollars qui est accordé annuellement aux trois fonds confondus.
Une vision du développement
À la suite de son allocution, Rémi Quirion a déploré en entrevue que les signataires de la lettre publiée dans Le Devoir n'aient pas pris la peine de venir écouter sa présentation avant de porter un jugement sur sa vision du développement de la recherche au Québec. Il avoue avoir accepté l'invitation de la CCMM en raison du «contexte particulier des Rendez-vous du savoir, auxquels étaient associées les universités et la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ), et qui ciblaient la relève», l'une de ses grandes préoccupations.
Rémi Quirion a répété que «les trois fonds de recherche [Santé, Nature et technologies, ainsi que Société et culture] continueront à soutenir en priorité la recherche libre et non ciblée». Il a donné en exemple les derniers récipiendaires des prix Nobel de médecine et de chimie, qui n'auraient jamais pu imaginer ou préciser les innovations, produits et emplois qu'engendreraient plus tard leurs recherches fondamentales. «Le Québécois Ralph Steinman, qui vient de recevoir le prix Nobel de médecine, a mis en évidence l'existence des cellules dendritiques du système immunitaire, une découverte fondamentale qui a contribué à l'essor de l'industrie des vaccins», a-t-il raconté, avant d'ajouter que «le partenariat entre nos universités et le secteur privé est essentiel, mais il ne doit pas être une finalité en soi».
À la sortie de la conférence, un chercheur confiait au Devoir ses impressions: «Il a présenté des éléments intéressants d'une vision qui est encore à construire.» Ce n'est probablement pas faux, car Rémi Quirion s'apprête à prendre son bâton de pèlerin pour une tournée des universités, des collèges, des groupes privés et des organisations non gouvernementales (associations communautaires) du Québec afin de recueillir leurs opinions et leurs idées.