Exit la télévision analogique - Derrière l'écran, le sans-fil

Ottawa n’a pas su inscrire le passage à la télévision numérique dans une stratégie nationale.
Photo: Archives Le Devoir Ottawa n’a pas su inscrire le passage à la télévision numérique dans une stratégie nationale.

Le passage à la télévision numérique, en plus d'offrir une image claire et un son amélioré, libère certaines fréquences pour les Bell, Rogers et Vidéotron de ce monde. Comment? Petit guide d'explication.

Pour environ 850 000 ménages canadiens, le passage de la télévision analogique à la télévision numérique, qui a eu lieu le 31 août, c'est l'achat d'un décodeur et une image beaucoup, beaucoup plus nette. Derrière l'écran, il y a plus. Pendant que l'industrie télévisuelle évoque une révolution comme celle de la couleur dans les années 60, l'industrie du sans-fil attend impatiemment de pouvoir se servir des fréquences ainsi libérées pour donner un nouveau souffle à sa technologie.

La bande de 700 MHz qui sera mise aux enchères l'an prochain est puissante: les ondes parcourent des distances spectaculaires (pensez aux soirs où votre téléviseur capte des postes américains) et traversent les murs sans problème (pensez à votre appareil du sous-sol). «C'est l'équivalent technologique d'une propriété luxueuse qui donne directement sur la plage. Toutes les compagnies vont vouloir en avoir une tranche», dit Amit Kaminer, analyste au sein du SeaBoard Group.

Petit cours. La fréquence fait référence à la longueur de l'onde. Plus la fréquence est basse, plus l'onde est longue. En guise de comparaison, les ondes FM se trouvent un peu plus bas sur le spectre, entre 87,5 et 108 MHz. Un peu plus bas, on arrive sur la radio AM, dont les ondes vont de 535 à 1705 kHz. Plus bas encore, certaines fréquences sont réservées à la radionavigation aéronautique. (Pour voir toutes les fréquences: http://goo.gl/POSO5)

Précieux et limité


En théorie, l'ouverture de cette bande devrait stimuler la concurrence dans le sans-fil (si les plus petits joueurs réussissent à en acheter une partie) et l'innovation technologique. Un exemple plus concret? En plus de transporter les nouveaux contenus, les fréquences lorgnées par les Bell, Telus, Vidéotron et autres permettront d'entrer dans un ascenseur sans perdre le signal. L'époque des appels qui prennent fin subitement sera révolue. «À terme, l'expérience de l'utilisateur sera meilleure et, pour les fournisseurs de sans-fil, les coûts d'entretien d'infrastructures seront plus faibles, car il faudra moins d'antennes pour couvrir autant de territoire», dit M. Kaminer.

Le président du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications (CRTC), Konrad von Finckenstein, a bien campé le décor cet été. Le spectre n'est pas une ressource illimitée, et il faut s'en servir le plus intelligemment possible. «De plus en plus, l'avenir de l'univers numérique s'oriente vers les appareils de communications mobiles qui fonctionnent au moyen de connexions sans fil. Le passage à la télévision numérique est crucial afin de libérer la bande de 700 MHz», a-t-il dit lors d'un discours à Banff au mois de juin.

«Au cours des prochaines années, le trafic de données et de vidéo sur les appareils mobiles augmentera rapidement, et ce n'est qu'une question de temps avant qu'on ait besoin de davantage de spectre», a-t-il ajouté en laissant entendre que les entreprises qui possèdent présentement du spectre doivent déjà «réfléchir» à l'utilisation qu'elles en font.

Il est déjà prévu qu'Industrie Canada mette les fréquences aux enchères en 2012. Certains fournisseurs, comme Vidéotron, mettent déjà beaucoup de pression sur le ministre Christian Paradis pour qu'une tranche de spectre soit exclusivement réservée aux «nouveaux joueurs», comme ce fut le cas en 2008 lors d'une précédente vente aux enchères. Celle-là avait permis à Ottawa de récolter la somme de 4,3 milliards.

Critiques

La transition vers la télévision numérique ne fait pas que des heureux. Très tôt, les diffuseurs ont mal digéré de se faire dire par le CRTC qu'ils devaient passer des messages d'intérêt public portant sur le passage au numérique. Car on le sait, ce temps d'antenne est précieux, et les diffuseurs aiment bien le vendre à leurs annonceurs.

Pour sa part, Michael Geist, professeur de droit à l'Université d'Ottawa et spécialiste des nouvelles technologies, a évoqué cette semaine l'absence de leadership fédéral et déploré que le passage ne s'inscrive pas dans une stratégie numérique nationale.

«Certains diffuseurs auront fait le passage à temps, mais la CBC a reçu un délai supplémentaire d'un an. Il n'y a eu qu'un minimum de publicité au sujet de la transition, ce qui pourrait faire en sorte que des gens vont se retrouver sans signal télé pendant un certain temps. Et pire, le gouvernement fédéral a été incapable d'élaborer une politique détaillant la vente aux enchères [de la bande de 700 MHz] et l'utilisation des revenus», a-t-il écrit.

Aussi, le gouvernement Harper a refusé de faire comme les États-Unis, où Washington n'a pas hésité à subventionner l'achat de décodeurs à l'aide de coupons de 40 $. Le passage aux États-Unis est survenu le 12 juin 2009, et le programme, financé en partie par la vente de spectre libéré, a coûté environ 1,3 milliard. À Ottawa, le ministre du Patrimoine, James Moore, a toujours choisi de ne pas emprunter cette avenue.

Ce n'est pas tout. Comme c'est souvent le cas, la transition fait ressortir l'écart technologique qui sépare souvent la ville et la région. Voici pourquoi. Le passage au signal numérique se fera dans les grands centres urbains. Ceux-ci sont des agglomérations de 300 000 habitants ou plus. Or si vous habitez un «petit marché», cependant, bonne chance.

Le CRTC lui-même indique que «certaines stations pourraient décider de cesser la diffusion en direct pour ne compter que sur les entreprises de câble et de satellite afin de fournir leurs signaux aux téléspectateurs». Ces entreprises, poursuit le CRTC sur son site Web, pourront offrir un bouquet de chaînes gratuites aux téléspectateurs. Pour les capter, toutefois, il faudra... un appareil de réception satellite. Coût: 300 $, soit quatre fois plus que le décodeur des gens de la grande ville. Le CRTC a estimé qu'environ 32 000 foyers pourraient être touchés.

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Mise au point après la mise en ligne
Dans cet article, la position adoptée par Quebecor pour la prochaine vente aux enchères de spectre de 700 MHz n'a pas été correctement décrite. La compagnie ne milite pas pour qu'une tranche soit exclusivement réservée aux nouveaux joueurs, a fait remarquer son vice-président, J. Serge Sasseville. Plutôt, Quebecor a récemment fait valoir au ministre de l'Industrie qu'elle souhaite un système de plafonds qui limiterait les blocs de spectre que les sociétés peuvent acquérir, en fonction des fréquences qu'elles détiennent déjà ou pas dans la bande de 800 MHz. Nos excuses.

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