Ce que notre monde est devenu

Ils et elles ne sont pas de toutes les tribunes. Pour la majorité d'entre eux, leur nom ne circule que dans des cercles restreints. Et pourtant, leur travail permet au Québec d'affirmer que ce coin d'Amérique demeure une société innovante, condition sine qua non pour qui ou quoi veut demeurer concurrentiel dans un monde en transformation. Une fois l'an, l'Acfas souligne le travail des chercheurs d'ici en leur remettant l'un ou l'autre de ses prix.
«Les entreprises et les gouvernements ont peur de l'indépendance et n'ont donc pas favorisé les études supérieures très avancées de type doctorat. Il manque aujourd'hui de scientifiques très bien formés qui pourraient faire avancer la recherche fondamentale. [...] Et, sur le plan de la recherche fondamentale, il manque de personnes pour soutenir la compétition avec les États-Unis et bientôt, certainement, la Chine.» Mais quel est donc ce pays dont l'avenir apparaît ici très incertain?Il n'y a pas si longtemps encore, tous les regards étaient tournés vers le Japon, au temps où on «empruntait» même au pays du Soleil levant ses spécialistes en gestion pour aider les entreprises occidentales à opérer une réorganisation du travail. Pourtant, comme le souligne Bernard Bernier, récipiendaire du prix Marcel-Vincent, le Japon ne vit plus à la hauteur du mythe qui le fit imposer comme modèle aux sociétés occidentales.
Et, par des propos de même nature, Sherry Simon, récipiendaire du prix André-Laurendeau, déboulonne un autre mythe, celui qu'un Hugh McLennan avait créé en 1945 en publiant son ouvrage intitulé Les Deux Solitudes. Cela ne tiendrait plus, surtout si le regard se porte sur Montréal, où le boulevard Saint-Laurent est maintenant devenu «davantage une zone de contact qu'une ligne de séparation».
Et que dire, dans un tout autre domaine, après la déclaration d'un Jean-Pierre Després, qui vient de recevoir le prix Adrien-Pouliot, quand, devant un cas d'obésité, il affirme: «Pas question de se mettre au régime et de chercher à perdre dix kilos. Nul besoin non plus de se transformer en moine végétarien. On doit tout bonnement manger un peu mieux.»
Actualité
Les récipiendaires des prix de l'Acfas se retrouvent aussi à l'occasion à mener des recherches dont les réalisations ont des répercussion immédiates. L'affaire des gaz de schiste? Écoutons Louise Vandelac, lauréate du prix Jacques-Rousseau, qui dénonce le manque d'information transmise quand on défend des projets dits «porteurs»: «Il s'agit de mettre en évidence l'insuffisance notoire de dispositifs d'évaluation rigoureux. Compte tenu de l'extrême complexité de ces questions, il nous semble essentiel qu'il puisse y avoir des débats publics et un véritable travail d'évaluation.»
Plus habituellement, toutefois, nos chercheurs demeurent gens de laboratoire, même si leurs découvertes laissent présager que demain sera autre. Ainsi, si François Major est informaticien, lui qui reçoit le prix Urgel-Archambault, il parle cependant de santé: «Comme l'ARN se situe en amont de tout le processus d'intervention, on peut agir beaucoup plus directement [...] et on se dirige, oui, vers une médecine de plus en plus pointue, de plus en plus personnalisée.» Et la santé aussi sera le domaine du chimiste qu'est René Roy, récipiendaire du prix Léo-Pariseau, lui qui combat les bactéries résistantes aux antibiotiques: «On peut créer une molécule qui agit comme un leurre et qui est plus attrayante pour la bactérie que la cellule humaine.»
Interventions
Quant à celui qui reçoit le prix J.-Armand-Bombardier, on peut le décrire comme un homme pour qui demain est déjà là: Gregory Dudek ne met-il pas en production un robot aquatique sur lequel, pour des objectifs de défense, l'américain Office for Naval Research a déjà l'oeil? Il est d'ailleurs le président d'Independant Robotics et dirige le Mobile Robotics Laboratory de l'Université McGill.
Quant à Christian Messier, lauréat du prix Michel-Jurdant, il met déjà en application le nouveau régime forestier québécois en réalisant TRIADE: «C'est un projet de grande envergure en Haute-Mauricie. L'idée, c'est d'arriver à un aménagement écosystémique en créant trois zones sur le territoire.»
Et cette préoccupation écologique, déjà aussi constatée chez Louise Vandelac, serait une valeur d'importance: deux des jeunes chercheurs reconnus ne le sont-ils pas pour les observations faites sur le monde naturel? Christian Roy s'intéresse de près aux castors et aux canards arboricoles, pendant qu'Éric Vaillancourt observe et veut survoler le ciel où volent les bernaches. En fait, parmi les trois étudiants de maîtrise et de doctorat, la plus terre à terre serait une Julie Dufort qui veut comprendre, en ces jours où la Crise d'octobre revient nous hanter, le phénomène des Minutemen américains.
Si hier est toujours là, il est cependant possible d'entrevoir demain. Et des chercheurs qu'identifie l'Acfas déjà y travaillent.