Le devoir d'informer sur la culture scientifique

En novembre 1933, l'Association francophone pour le savoir (Acfas) tenait son tout premier congrès à l'Université de Montréal. Soixante-dix-sept ans plus tard, la 78e édition de ce congrès a lieu dans ce même établissement qui l'a vu naître.
En 1933, le congrès comprenait précisément 166 communications reliées aux sciences morales, aux mathématiques, à la physique, à la chimie, aux sciences naturelles et à la pédagogie des sciences. «Le congrès de l'Acfas va nous permettre de dresser l'inventaire de nos modestes ressources scientifiques, de marquer le progrès accompli, de faire le point», écrivait au sujet de ce premier congrès le frère Marie-Victorin, membre fondateur de l'Acfas et professeur de botanique à la faculté des sciences de l'Université de Montréal.Depuis ces modestes débuts décrits par Marie-Victorin, le congrès de l'Acfas n'a pas cessé de prendre de l'ampleur. Avec près de 6000 chercheurs-participants provenant d'une trentaine de pays, plus de 3600 communications et 200 colloques, le congrès de l'Association francophone pour le savoir est devenu le plus important rassemblement multidisciplinaire du savoir et de la recherche de la francophonie.
Depuis le tout début, Le Devoir s'est intéressé à l'événement et a méticuleusement informé ses lecteurs de ce qui s'y passait. À l'occasion du premier congrès de 1933, on réserve une bonne partie de la page 3 pour imprimer le programme complet et résumer les discours d'ouverture. Au cours des années suivantes, le congrès annuel, qui se tient à l'automne plutôt qu'au printemps comme c'est le cas maintenant, «fournit parfois l'occasion de réfléchir, en page éditoriale, sur l'importance des sciences pour le développement du Québec», rappelle Yves Gingras, historien et sociologue des sciences à l'UQAM.
Faisant écho à un discours de Marie-Victorin au congrès de 1936, le journaliste Louis Dupire, notamment, signe un éditorial dans lequel il présente les réflexions que lui a inspirées une allocution prononcée au congrès de l'Acfas sur le développement économique de l'est de Montréal, qui a entraîné la construction du Jardin botanique.
L'année suivante, c'est son collègue Omer Héroux qui profite de ce rassemblement de chercheurs pour souligner, dans l'édition du 7 octobre 1937, que «si nous avions jadis favorisé la recherche scientifique, nous aurions réalisé on ne sait combien d'économies, ouvert au commerce, à l'agriculture, à l'industrie des domaines nouveaux et profitables».
À l'époque, Le Devoir voyait l'Acfas comme un important organe de promotion de la recherche et de la culture scientifiques et la direction du journal n'hésite pas à souligner dans les pages du quotidien le rôle capital de cet organisme dans le développement scientifique, et par ricochet économique, de la nation canadienne-française. À la veille du quatrième congrès qui a lieu les 11, 12 et 13 octobre 1936 à Québec, on offre une tribune à Jacques Rousseau, secrétaire général de l'Acfas, qui expose en détail les activités de l'association et rappelle que «seules des finances insuffisantes l'ont empêchée de réaliser tous ses objectifs. La stratégie porte fruit car le gouvernement annonce lors du congrès que la subvention annuelle — qui était de 1000 $ sous Taschereau — était portée à 5000 $. Sans l'appui du Devoir, les porte-parole de l'Acfas auraient difficilement pu intervenir de façon aussi efficace sur la place publique pour faire avancer la cause de la recherche scientifique», affirme Yves Gingras.
En 1985, et pendant deux ans, Le Devoir publie un cahier spécial contenant l'ensemble du programme du congrès. Et de 1986 à 1991, il finance un nouveau prix de l'Acfas destiné à reconnaître la contribution des meilleurs chercheurs oeuvrant en sciences humaines: le prix André-Laurendeau.
78e édition
Cette 78e édition du congrès de l'Acfas qui aura lieu du 10 au 14 mai prochain à l'Université de Montréal et ses écoles affiliées — l'École Polytechnique et HEC Montréal —, se déroulera sur le thème «Découvrir aujourd'hui ce que sera demain». Le président du congrès, Laurent J. Lewis, vice-doyen à la recherche à la faculté des arts et des sciences de l'Université de Montréal, raconte que ce thème a été choisi en janvier 2009 en pleine crise économique. «Sans vouloir faire un lien direct avec cela, le climat économique qui régnait alors donnait une saveur particulière à nos discussions. Nous voulions rappeler le fait que la science a un rôle à jouer dans le bien-être de la population. Nous désirions souligner le côté pratique de la recherche scientifique au sens large et des découvertes qui en découlent, et montrer que ces dernières peuvent contribuer à ce que le monde devienne meilleur et que nos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants aient une vie meilleure», relate-t-il, tout en indiquant que la recherche plus fondamentale n'est pas à négliger pour autant car elle contribue à l'avancement des connaissances, et qu'il «est important d'avoir une société éduquée qui possède une bonne culture scientifique même si cette connaissance n'aboutit pas à une application concrète».
Pour Pierre Noreau, président de l'Acfas, ce thème signifie qu'il faut laisser une certaine liberté aux scientifiques parce que même si ceux-ci travaillent aujourd'hui sur un sujet qui intéresse peu de monde, il est fort probable que le résultat de cette recherche fasse partie de notre vie de demain. «C'est un pari qu'on peut faire facilement parce que, historiquement, ça c'est toujours révélé vrai. Même si le sujet de recherche d'un scientifique ne semble pas être un enjeu aujourd'hui, dix ans plus tard, on sera content que ce scientifique y ait consacré la moitié de sa vie. Il doit exister une confiance entre le public, le politique, le médiatique et le scientifique. Il faut croire que la connaissance a toujours une utilité, même si très souvent celle-ci est difficile à établir à l'avance, affirme M. Noreau.
«La tendance du gouvernement est de vouloir que la recherche serve immédiatement et qu'elle réponde à des problèmes qu'on se pose aujourd'hui. Mais les chercheurs construisent l'avenir. Il faut laisser la recherche se déployer partout où l'intuition humaine l'amène. Essentiellement, la recherche est un travail très créatif. Il y a beaucoup plus de liens qu'on peut l'imaginer entre le scientifique et l'artiste, parce que la recherche est très largement un travail de création. Ceux qui ont la plus belle contribution sont souvent les plus imaginatifs», poursuit-il.
Laurent Lewis rappelle que le 78e congrès de l'Acfas est, comme tous les autres congrès scientifiques, un «lieu de communication et de diffusion de résultats scientifiques». Il fait remarquer que, comme l'Université de Montréal a bénéficié de l'appui de l'École polytechnique et de HEC Montréal dans l'organisation de ce congrès, les communications portant sur les sciences plus dures, tels le génie civil, le génie minier, l'économie, la gestion et l'administration, seront plus nombreuses que par le passé.
Une première
Pour la toute première fois cette année, le grand public aura le droit de suivre le congrès en personne puisqu'on lui donnera accès aux 1200 communications libres — qui ne font pas partie d'un colloque — prévues au programme, sans qu'il soit tenu de s'inscrire à l'événement dans son ensemble. «C'est un projet pilote dans le but de diffuser un peu mieux la recherche qui se fait dans nos universités», précise Laurent Lewis.
«Depuis quelques années, nous avons eu cette préoccupation de rapprocher le public des scientifiques. C'est pourquoi, pour la première fois cette année, on accordera un accès libre au grand public. Nous tenions à être cohérents avec nos nouvelles orientations et le discours que l'on tient. En contrepartie, les chercheurs seront appelés à adapter leur discours!», souligne Pierre Noreau.
Le Devoir poursuit sa tradition et couvrira le plus fidèlement possible cette 78e édition du congrès de l'Acfas. Rendez-vous mardi prochain.