Entretiens du Centre Jacques Cartier - Textiles de l'avenir

Des vêtements équipés de capteurs pourront un jour prévenir les pompiers d’un danger mortel. Ci-dessus, un membre de la brigade de lutte contre les incendies de la ville d’Atlanta.
Photo: Agence France-Presse (photo) Des vêtements équipés de capteurs pourront un jour prévenir les pompiers d’un danger mortel. Ci-dessus, un membre de la brigade de lutte contre les incendies de la ville d’Atlanta.

La microélectronique, la nanotechnologie, les fibres et les nanotubes de carbone, toutes ces grandes avancées de la science des dernières décennies ont commencé à révolutionner la fabrication des textiles. Ceux-ci peuvent désormais servir à enregistrer nos signes vitaux, à nous protéger des dangers de l'environnement, voire à communiquer.

On fabrique aujourd'hui des textiles véritablement intelligents, a-t-on appris au colloque Textile sans limite, nouvelles directions en recherche et création dans le domaine du textile, qui se déroulait ces deux derniers jours dans le cadre des 21es Entretiens du Centre Jacques Cartier. On expérimente actuellement des vêtements contenant divers capteurs qui mesurent les signes vitaux, tels que la respiration, la fréquence cardiaque, voire l'état de stress (qui se traduit notamment par une microcirculation périphérique plus faible). Ces informations sont enregistrées et ensuite transmises à des sites d'analyse. «Ces capteurs permettent de surveiller des patients à distance, des personnes âgées demeurant à domicile, voire des sportifs à l'entraînement. Au lieu que ça soit le personnel médical qui vienne vous poser des électrodes, l'habit vous accompagne partout et toute la journée. C'est la télémédecine ou médecine ambulatoire», explique André Dittmar, spécialiste des microcapteurs et microsystèmes biomédicaux au CNRS à Lyon en France. «Ces habits bardés de capteurs sont également enfilés par les pompiers afin de savoir s'ils sont en danger, car, souvent, dans le feu de l'action, ils ne sentent pas aussi bien les élévations de température en raison de leur haut taux d'adrénaline dans le sang. Les capteurs nous permettent de faire un bilan de l'état du pompier qu'on envoie au chef d'escadron qui décidera s'il faut que le pompier rentre à la caserne.»

Les nanotechnologies permettent aujourd'hui d'intégrer au sein même des fibres d'autres types de matériaux qui ont des propriétés intéressantes, poursuit Éric Devaux de l'École nationale supérieure des arts et industries textiles en France. «On essaie de fabriquer des fibres qui renseigneraient les pompiers sur la température qu'il fait à l'extérieur ou sur la présence de produits chimiques toxiques dans l'atmosphère», dit-il. Ce sont des nanotubes de carbone — mesurant une dizaine de nanomètres de diamètre sur quelques microns de longueur — qui jouent ce rôle de capteurs thermiques et chimiques. Ces petites structures que l'on synthétise en laboratoire sont conductrices de l'électricité, ce qui permet de les utiliser comme capteurs. Pour ce faire, on insère suffisamment de nanotubes de carbone à l'intérieur des fibres pour qu'ils arrivent à se toucher. Si l'on tire sur la fibre, les nanotubes se toucheront de moins en moins, et le courant électrique passera de plus en plus difficilement, explique le chercheur. «On prévoit donc employer de telles fibres pour mesurer l'écartement progressif des fissures sur des ouvrages d'art ancien au cours du temps pour savoir s'il faut intervenir ou pas», donne en exemple M. Devaux.

Dans le domaine médical, les bas de contention doivent imposer une pression différente au niveau de la cheville, du mollet et de la cuisse. «On peut imaginer contrôler les tensions aux différents endroits de la jambe avec des capteurs et des actionneurs (qui réagissent à l'information fournie par les capteurs) intégrés dans les fibres avec lesquelles sera tissé le bas de contention», propose le scientifique.

De la même façon, si l'on chauffe la fibre composée de nanotubes de carbone, elle se dilatera. On observera alors le même phénomène de déconnexion des nanotubes. «On peut ainsi corréler la température externe avec la conduction électrique», explique M. Devaux qui essaie de trouver des matériaux qui se dilatent fortement à 45 degrés Celsius, car il s'agit de la température critique à laquelle un pompier doit se retirer, sachant que le seuil de douleur chez un individu normal se situe à 42 degrés et que le seuil auquel surviennent les brûlures du second degré est de 54 degrés. «Comme les pompiers ne ressentent pas la douleur aussi bien, il serait important de les équiper d'un vêtement capable de les prévenir qu'ils doivent sortir d'une maison en feu», affirme le chercheur.

En exploitant les propriétés piézoélectriques des nanotubes de carbone, on pourrait aussi générer de l'électricité par de simples pressions appliquées sur les fibres contenant ces nanotubes. «Par nos propres mouvements dans nos vêtements, on pourrait générer suffisamment d'électricité pour recharger notre téléphone portable sans avoir besoin d'accumulateurs supplémentaires», lance Éric Devaux qui voit là aussi la possibilité de concevoir des vêtements chauffants.

En s'inspirant de la texture des fleurs de lotus et de jacinthe, les scientifiques ont conçu des textiles au «nettoyage facilité». «Si on renverse du jus de tomates sur une cravate fabriquée avec ce type de tissu doté d'une surface dite à faible adhésion, un simple jet d'eau permet d'éliminer les molécules de jus qui glisseront à la surface de la cravate. Ces tissus possèdent de petites aspérités qui font que le jus de tomates n'adhère pas vraiment à leur surface», explique M. Dittmar.

Matériaux composites

Des tissus constitués de fibres de carbone ou de fibres de verre lorsqu'ils sont trempés dans une résine liquide donnent des matériaux composites dotés de propriétés exceptionnelles, du point de vue de la légèreté, de la rigidité, de la résistance à l'impact et de la durabilité. L'industrie de l'aéronautique, de la navigation, de l'automobile et du génie civil a bien saisi les avantages que recèlent ces matériaux. «Jusqu'à récemment, l'utilisation de ces matériaux était limitée, car il était très difficile d'accélérer les cycles de production de manière à pouvoir atteindre des coûts acceptables, explique Nicolas Juillard, président de JB Martin Ltée, fabricant de ces matériaux composites à Saint-Jean-sur-Richelieu. «Aujourd'hui, on sait faire des pièces plus rapidement et il y a aussi une pression au niveau de l'économie d'énergie qui fait que même si la pièce est légèrement plus chère, si le produit consomme moins d'énergie dans son utilisation, le bilan énergétique à la fin est intéressant.» Bombardier s'est donné comme objectif que 43 % du poids de son nouvel avion C-130 soit constitué de matériau composite à base de fibres de carbone. L'ensemble de la carlingue du Dreamliner de Boeing et les ailes de l'Airbus 380 seront composés de ces matériaux plus légers que le métal, ainsi que plus résistants et plus durables. Dans le secteur de l'automobile, la carrosserie de la Saturn et de la Ferrari en est formée. Les constructeurs automobiles ont compris l'importance d'avoir recours à des matériaux qui ne rouillent pas et qui, en étant plus légers, permettent d'économiser l'énergie.

Ces matériaux composites peuvent aussi être utilisés dans les constructions afin de prolonger la durée de vie de certaines structures et prévenir notamment les dégâts lors de secousses sismiques. Sachant que les structures en béton ont tendance à s'effriter, on les enveloppe de matériaux composites qui permettent de contenir le béton de façon à éviter que la structure ne s'effondre. Ils peuvent aussi servir à la réfection et au renforcement de structures, comme des ponts, qui sont abîmées afin d'allonger leur durée de vie.

Les scientifiques s'appliquent maintenant à rendre ces matériaux composites recyclables et à rendre leur production moins énergivore. Pour ce faire, on recherche des fibres faciles à fabriquer, comme des fibres naturelles de chanvre et de lin, ainsi que des résines qui ne seraient pas fabriquées à partir de pétrole. «On pense alors à des résines thermoplastiques que l'on peut fondre. On peut imaginer qu'à la fin de sa vie, une voiture en fibres de chanvre trempées dans une résine thermoplastique pourrait être broyée, puis fondue pour fabriquer d'autres pièces moins nobles, comme des pare-chocs», donne en exemple M. Juillard avant d'ajouter que des portes et des boîtes de camions sont actuellement fabriquées avec cette génération de matériaux recyclables.

Les artistes et designers inventent aussi des textiles inédits qui réagissent aux stimulations de l'environnement. Barbara Layne du département d'arts plastiques de l'université Concordia, intègre des circuits électroniques et des capteurs lors du tissage de ses textiles, ou imprime des motifs à l'aide de pigments conducteurs. La chercheuse a même conçu un tissu garni de diodes électroluminescentes qui changent de motifs et peuvent ainsi transmettre des messages écrits. Des systèmes de transmission sans fil qui sont également intégrés permettent d'interagir en temps réel avec le vêtement. Barbara Layne travaille en ce moment à la mise au point d'un clavier en textile qui sera moins lourd qu'un clavier traditionnel et qui pourra se rouler pour entrer dans le sac à main. Les possibilités sont maintenant infinies.

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