L'Entrevue - Respecter les choix des femmes

Photo: Ivan Presser
La psychologue et chroniqueuse Susan Pinker
Photo: Photo: Ivan Presser La psychologue et chroniqueuse Susan Pinker

À peine 16 % des postes de direction au sein des 500 plus grandes entreprises des États-Unis sont aujourd'hui occupés par des femmes. Et quand il s'agit d'accéder à la fonction suprême de p.-d.g., elles sont encore moins nombreuses et ne représentent que 2 % de cette classe particulière de professionnels. Les femmes sont aussi largement minoritaires parmi les physiciens, les ingénieurs et les politiciens.

Pour la psychologue et chroniqueuse Susan Pinker, cet écart entre les deux sexes qui persiste toujours après plus de 40 ans de lutte ne découle pas uniquement d'une discrimination. Il dépend aussi en grande partie de différences biologiques entre les hommes et les femmes qui influent sur leurs choix de carrière, leurs motivations, voire leurs aspirations. Les femmes ne sont pas des copies conformes des hommes, fait valoir la Montréalaise qui a aussi enseigné la psychologie à l'université McGill. Le modèle masculin traditionnel que les femmes croient devoir égaler ne prend pas en compte cette réalité. Il serait temps de revoir ce modèle «à la lumière des données scientifiques décrivant ce qui distingue les hommes des femmes au lieu de s'enliser dans l'idéologie voulant qu'hommes et femmes doivent être identiques». Et le premier pas dans cette direction est de rappeler ces différences sexuelles, ce que s'emploie à faire Susan Pinker dans son ouvrage The Sexual Paradox: Extreme Men, Gifted Women and the Real Gap, qui paraît ces jours-ci aux éditions Random House Canada. Pour la préparation de son livre, l'auteure qui écrit dans The Globe and Mail une rubrique sur les questions éthiques en milieu de travail a colligé les études scientifiques et a interviewé des femmes ayant décliné d'importantes promotions ou abandonné une carrière scientifique florissante, ainsi que des hommes atteints de problèmes de comportement durant l'enfance et qui mènent aujourd'hui de brillantes carrières.

Pendant ses 25 ans de pratique comme psychologue du développement, Susan Pinker a vite remarqué que la grande majorité de ses patients étaient des garçons. «Les garçons sont en effet biologiquement plus fragiles que les filles dès le moment de leur conception», souligne la spécialiste. Les troubles d'apprentissage, les difficultés de langage (comme la dyslexie et le bégaiement), le déficit d'attention avec ou sans hyperactivité et le syndrome d'Asperger, cette forme légère d'autisme, sont quatre à dix fois plus courants chez les garçons que chez les filles. Ces dernières réussissent généralement beaucoup mieux en classe que les garçons. Leurs succès, leur comportement plus discipliné et leur plus grande motivation semblent les destiner à un avenir plus prometteur que les garçons, lesquels, croit-on, devront lutter sans merci pour se tailler une place au soleil. Et pourtant, «ce portrait s'inverse à l'âge adulte quand hommes et femmes se retrouvent sur le marché du travail», nous apprend l'auteure. Plusieurs garçons très vulnérables que Susan Pinker avait suivis durant l'enfance détiennent souvent des emplois très lucratifs et exigeant de très longues heures de travail, notamment en finances ou en informatique par exemple. Par contre, les femmes talentueuses que l'on imaginait pouvoir décrocher des postes prestigieux assument des fonctions plus modestes et moins rémunératrices.

Des choix qui s'expliquent

Susan Pinker rapporte les témoignages de femmes douées et très qualifiées qui ont décliné sans aucun regret une promotion inespérée, car elles étaient avant tout soucieuses du bien-être de leur famille. «Ces femmes avouaient qu'elles étaient loin de trouver le bonheur et un sens d'accomplissement uniquement dans leur carrière», écrit-elle. Contrairement aux hommes, l'atteinte d'un poste hiérarchique élevé et d'un salaire plus intéressant figure au bas de l'échelle des priorités de la plupart des femmes professionnelles. «De 75 à 80 % des femmes accepteront un salaire moindre pour un emploi qui sera par ailleurs plus gratifiant. La valorisation que leur procure l'emploi par le défi intellectuel qu'il représente et le but humanitaire qu'il poursuit prend le pas sur le salaire offert. Travailler avec des gens qu'elles respectent, accomplir un travail qui contribuera à changer le monde, bénéficier d'horaires flexibles sont les facteurs qui priment pour la plupart des femmes, précise Susan Pinker. Alors que les hommes sont souvent extrêmes dans leurs intérêts, la plupart des femmes sont plus modérées et ont des buts multiples dans leur vie. Elles désirent travailler, fonder une famille, maintenir des relations étroites avec leurs parents, suivre les événements culturels dans leur ville, s'impliquer dans leur communauté.»

Les postes de direction sont plus souvent occupés par des hommes parce qu'ils exigent de très nombreuses heures de travail qui rebutent les femmes. Moins de femmes accepteront de sacrifier leur vie de famille et leurs relations sociales pour le travail. «Ce n'est surtout pas parce que les femmes sont moins intelligentes, mais plutôt parce qu'elles sont plus modérées, ce qui leur permet d'atteindre une espérance de vie de cinq à six ans supérieure à celle des hommes en raison aussi de leur réseau social qui les protège autant au niveau cognitif que physique», souligne-t-elle.

«Ce n'est jamais par manque de compétences, d'intelligence ou de motivation non plus qu'une femme décidera de ne pas gravir les plus hauts échelons de la hiérarchie de l'entreprise dans laquelle elle travaille.» De nombreuses femmes bardées de diplômes et qui n'ont connu que des succès dans leur vie professionnelle oseront moins que les hommes poser leur candidature à un poste plus élevé par manque de confiance en elles. «Elles ne sont pas vraiment victimes de discrimination, mais plutôt s'avouent vaincues d'avance. La plupart des femmes, même celles qui ont accédé à des fonctions très élevées, croient souvent qu'elles ne méritent pas vraiment le poste qu'elles occupent», fait remarquer Susan Pinker.

«Par nature et probablement en raison des hormones, les garçons osent plus et prennent davantage de risques. Les hommes évoluent nettement plus aisément dans les milieux compétitifs», souligne Susan Pinker. Et ce phénomène s'observe dès le plus jeune âge. À la garderie et à la maternelle, les garçons joueront plus souvent des coudes pour décrocher la récompense qui est promise au terme d'une activité.

Les femmes ne sont pas moins douées pour les sciences que les garçons, ajoute-t-elle avant de mentionner que, parmi les étudiants qui se distinguaient le plus en mathématiques et en sciences aux examens de sélection des universités américaines (le top 1 %), la plupart des femmes avaient plutôt choisi une carrière en médecine tandis que les hommes avaient opté pour la physique ou les mathématiques. «Cela s'explique par le fait que les femmes s'intéressent principalement au vivant, à la biologie, aux gens et non aux choses. Encore là, ce n'est pas une question de discrimination», prévient la psychologue.

L'égalité n'est pas mathématique

Susan Pinker s'attend à faire sursauter certaines féministes pures et dures qui accepteront mal ses arguments puisés dans la biologie compte tenu qu'autrefois, la biologie était utilisée contre les femmes. «Mais, aujourd'hui, la situation est différente. Il faut regarder la science objectivement, sans émotion, en mettant de côté la politique et ce désir de vouloir une société idéale où règne une égalité mathématique entre les hommes et les femmes dans le travail. L'égalité mathématique n'est pas vraiment l'égalité si elle ne tient pas compte des besoins de chacun pour se réaliser. L'égalité est plutôt d'offrir les mêmes occasions à tous, hommes et femmes.»

«Je ne connais pas l'avenir, mais je crois que nous ne verrons jamais une égalité mathématique (50 % de femmes, 50 % d'hommes) dans certains secteurs, comme la politique parce qu'il n'y a que 20 à 30 % des femmes qui acceptent de perdre leur vie privée et de mettre tous leurs oeufs dans le même panier. La plupart des femmes veulent une vie plus équilibrée et une gratification proportionnelle à l'effort qu'elles investissent dans leur travail», affirme-t-elle. Des économistes ont en effet montré que, parmi des hommes et des femmes ayant les mêmes compétences, 70 % des hommes choisissaient de préférence les compétitions où le gagnant remportait toute la mise (winners take all) tandis que les femmes préféraient celles où elles pouvaient obtenir une récompense pour chaque petite tâche réussie. «Mêmes les femmes les plus compétentes qui étaient pourtant presque assurées de gagner choisissaient les situations où elles étaient récompensées pour chaque tâche, et ce, même si dans les compétitions du tout ou rien, comme en politique, elles pouvaient gagner beaucoup plus», précise l'auteure.

Susan Pinker avoue qu'il existe toujours des discriminations sexistes dans les sociétés occidentales comme la nôtre mais qu'elles sont de moins en moins prégnantes. «Encore aujourd'hui, notre société valorise davantage les professions traditionnellement masculines, comme ingénieur ou électricien, que les carrières féminines, comme infirmière ou institutrice. J'aimerais que les choix des femmes soient mieux respectés, et ce, autant au niveau des salaires que du statut social qu'on leur accorde», dit-elle avant de souligner qu'elle préférerait que les femmes ne tentent pas uniquement de reproduire le modèle masculin traditionnel.

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