La supraconductivité

Source Université de Montréal
Le chercheur Andrea Bianchi manipule le matériau supraconducteur qu’il a synthétisé et dont les propriétés sont à ce point inusitées qu’elles pourraient conduire à une découverte fondamentale.
Photo: Source Université de Montréal Le chercheur Andrea Bianchi manipule le matériau supraconducteur qu’il a synthétisé et dont les propriétés sont à ce point inusitées qu’elles pourraient conduire à une découverte fondamentale.

Dans la prestigieuse revue Science, un physicien de l'Université de Montréal annonce avoir observé un phénomène complètement inédit au sein d'un nouveau matériau supraconducteur lorsque celui-ci a été soumis à de puissants champs magnétiques. Cette découverte fondamentale à laquelle les chercheurs avouent ne pas avoir trouvé d'explication laisse pressentir une grande révolution technologique susceptible de conduire à la mise au point d'appareils d'imagerie par résonance magnétique cent fois moins coûteux, d'ordinateurs d'un tout nouveau genre, de câbles qui transmettront l'électricité sans aucune perte d'énergie, de génératrices et de moteurs plus efficaces et de plus petite taille ainsi que de filtres permettant d'isoler avec une plus grande précision la fréquence utilisée par chaque téléphone cellulaire.

L'histoire de cette découverte commence il y a dix ans, lorsque le Suisse Andrea Bianchi, aujourd'hui titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les nouveaux matériaux de spintronique à l'Université de Montréal, est en stage postdoctoral en Floride. Avec l'aide d'un thésard, il réussit alors à synthétiser un nouveau matériau supraconducteur en combinant du cobalt, de l'indium (un métal souple) et du cérium (un élément de la famille des terres rares, des métaux reconnus pour leurs propriétés magnétiques et utilisés dans la fabrication des aimants et des fibres optiques).

Comme tous les autres supraconducteurs connus, ce matériau ne devient supraconducteur (c'est-à-dire qu'il n'oppose plus aucune résistance au passage de l'électricité, contrairement aux matériaux utilisés aujourd'hui, comme le cuivre, qui occasionnent des pertes d'énergie) qu'à des températures extrêmement basses, frôlant le zéro absolu (- 273 degrés Celsius).

Les scientifiques cherchent donc les moyens d'augmenter cette température dite de transition qui permettrait de faire apparaître la miraculeuse supraconductivité à une température plus élevée — plus facile à atteindre — ainsi que sous un champ magnétique plus intense que celui que les supraconducteurs peuvent normalement tolérer. Un tel matériau permettrait de révolutionner une multitude de technologies qui requièrent de puissants champs magnétiques, comme les appareils d'imagerie par résonance magnétique et les moteurs.

Depuis qu'Andrea Bianchi a découvert son nouveau matériau supraconducteur, il n'a eu de cesse de l'étudier dans les différents accélérateurs de particules et réacteurs nucléaires du monde. Et il a notamment observé que son matériau se comportait de façon inhabituelle, voire extraordinaire, lorsqu'on le soumettait à un fort champ magnétique.

Le matériau se laisse pénétrer par des champs magnétiques, «mais pas de façon homogène», explique le physicien. «Le champ magnétique entre dans le matériau d'une manière périodique et quantique, c'est-à-dire par petites quantités fixes, le long de lignes appelées lignes de flux, qui forment un réseau de mailles régulières. Et lorsqu'on intensifie le champ magnétique, on génère un plus grand nombre de lignes de flux, mais chacune contient une quantité fixe de magnétisme.»

Au coeur de ces lignes de flux, là où le magnétisme perce le supraconducteur, le matériau perd sa supraconductivité et redevient normal, précise le physicien. Et lorsqu'on intensifie le champ magnétique, le contraste s'estompe graduellement entre les parties du matériau qui sont encore supraconductrices et celles — le long des lignes de flux — qui sont redevenues normales.

«Vient un moment où il y a tellement de lignes de flux, tellement de magnétisme, qu'on ne peut plus distinguer ce qui est supraconducteur de ce qui ne l'est pas. Par contre, dans notre nouveau matériau, le contraste [entre ces deux états du matériau] devient de plus en plus fort à mesure qu'on élève le champ magnétique. Lorsque le matériau est soumis à d'intenses champs magnétiques, il se crée en son sein un tout nouveau type de tornade magnétique qui s'intensifie au lieu de s'affaiblir.

«La distribution du champ magnétique dans les lignes de flux est entièrement différente. La transition entre les points où la supraconductivité a disparu [au centre des lignes] et les points où le matériau est encore supraconducteur devient de plus en plus abrupte. Il s'agit d'un phénomène étonnant que nous n'avions jamais observé car la nature abhorre les transitions brusques. Celles-ci sont généralement graduelles. C'est un précédent, et c'est pour cela que nous sommes si emballés», souligne avec enthousiasme Andrea Bianchi.

Grand potentiel d'avancées

«Ce phénomène inédit requiert une explication entièrement nouvelle. Et en physique, cela veut dire qu'on a fait une découverte fondamentale qui équivaut à celle d'un continent complètement nouveau, ajoute le chercheur. Ce genre de découverte recèle un grand potentiel d'avancées technologiques. Si elle nous aide à comprendre comment est déterminée la température à laquelle le matériau devient supraconducteur [ou perd sa résistance], il deviendra ainsi possible de construire des matériaux ayant des températures de transition beaucoup plus hautes. Et cela révolutionnera les applications.»

Aujourd'hui, par exemple, les appareils d'imagerie par résonance magnétique utilisés dans les hôpitaux coûtent très cher en raison notamment du système de réfrigération qu'ils requièrent pour maintenir le matériau supraconducteur à une température de -270 °C. En disposant de matériaux devenant supraconducteurs à des température plus élevées, le coût de ces appareils pourrait être grandement réduit.

Peut-être que le nouveau composé de cobalt, d'indium et de cérium donnera des pistes pour maintenir la supraconductivité sous des champs magnétiques plus intenses que ce qui est actuellement possible. En effet, souligne Andrea Bianchi, dans ce supraconducteur, les petits aimants que forment les électrons en tournoyant autour des lignes de flux s'alignent parfaitement sur le champ magnétique extérieur et, de ce fait, accroissent son intensité.

Un tel matériau supportant de forts champs magnétiques serait extrêmement intéressant pour diverses applications, dont l'imagerie par résonance magnétique, indique le physicien, nouvellement recruté par l'Université de Montréal. «Si on peut augmenter l'amplitude du champ magnétique sans que le matériau perde sa supraconductivité, on pourra accroître la résolution spatiale des images [du corps humain ou de la structure moléculaire de futurs médicaments] générées par ces appareils d'imagerie en résonance magnétique, qui sont en quelque sorte des microscopes magnétiques. Si on voulait générer un champ magnétique de très grande intensité avec une bobine de cuivre [le matériau utilisé aujourd'hui] dans les appareils de résonance magnétique, cela coûterait trop cher en énergie [car le cuivre entraîne trop de perte d'énergie]. Avec un supraconducteur, une fois le champ magnétique chargé dans l'appareil, il demeurerait stable éternellement car le courant continuerait de circuler dans la bobine qui le génère sans résistance, sans perte d'énergie.»

Un cas rare

Andrea Bianchi précise par ailleurs que les atomes qui composent le nouveau matériau supraconducteur sont arrangés de façon «extraordinaire». «Normalement, on doit travailler pendant des années avant d'obtenir des échantillons d'une telle qualité. Mais là, avec le cérium, le cobalt et l'indium, les réactions chimiques s'optimisent naturellement pendant la préparation des échantillons. C'est une structure cristalline qui plaît à ces éléments-là car ils l'adoptent très naturellement», souligne-t-il, indiquant que les chercheurs commencent à comprendre que certaines structures cristallines sont plus favorables que d'autres à la supraconductivité. «Mais on ne sait ni pourquoi ni quel genre d'arrangements atomiques seraient plus propices à la supraconductivité», prévient le physicien.

De plus, contrairement à la plupart des matériaux supraconducteurs dans lesquels la supraconductivité résulte de la réaction des électrons aux petites vibrations du réseau d'atomes, le nouveau matériau voit sa supraconductivité apparaître à la suite «d'interactions de nature magnétique entre les électrons. Avec une interaction d'origine magnétique, on pourrait imaginer être capables d'augmenter la température de transition parce que les interactions magnétiques entre les électrons ont généralement une plus grande énergie. À l'heure actuelle, nous savons seulement que nous avons besoin de magnétisme mais nous n'avons pas encore bien compris quelle sorte de magnétisme est nécessaire. Nous n'avons pas encore de description de son action au niveau microscopique», précise-t-il.

Autre particularité du nouveau matériau: il ne perd pas ses effets intéressants au fur et à mesure qu'on répète les expériences. «Il s'agit d'un cas rare où on peut changer maints paramètres, comme la température, la pression ou la composition chimique, pour étudier le matériau, sans qu'il perde son effet supraconducteur, alors que souvent, avec les autres supraconducteurs, quand on répète les expériences, on perd les effets intéressants sans comprendre pourquoi», souligne-t-il.

Andrea Bianchi sent que son importante découverte ouvre une nouvelle voie susceptible de conduire au but tant recherché...

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