Prix Gérard-Morisset - Le passé conjugué au présent

L'historien et vulgarisateur Jacques Lacoursière a contribué comme nul autre à enrichir la mémoire des Québécois et à les rendre fiers de leur passé. Du XVIe siècle à aujourd'hui, il s'est employé à raconter les victoires et les déboires de nos ancêtres avec son incomparable talent d'orateur. Le prix Gérard-Morisset vient couronner ses 45 ans de carrière.
Pour nombre de Québécois, l'histoire de la Belle Province est intimement liée au visage chaleureux et à la voix profonde de Jacques Lacoursière qui, depuis 45 ans, raconte notre passé avec un plaisir toujours renouvelé. «Au Québec, pour bien des gens, qui dit historien dit Lacoursière», affirme d'ailleurs Denis Vaugeois, éditeur, historien et ami de longue date de celui qu'on surnomme parfois le «Colombo de l'histoire du Québec».C'est que l'homme fait preuve d'une rigueur et d'une curiosité sans bornes dans son travail de recherche. Exigeant et minutieux, il a constitué, par exemple, une banque de plus de 80 000 fiches et de centaines de caisses de documents pour la période de la Nouvelle-France. Une nécessité, quand on connaît l'ampleur et la précision de son oeuvre, qui lui vaut cette année le prix Gérard-Morisset.
«C'est un genre de couronnement pour moi, explique, au bout du fil, l'historien âgé de 75 ans. Habituellement, cet honneur est accordé à des spécialistes du patrimoine et de l'ethnologie. Peu d'historiens l'ont reçu.»
Ce prix vient s'ajouter à la longue liste des récompenses qui ont souligné la contribution de Jacques Lacoursière à la vie intellectuelle et culturelle québécoise. Il a été reçu en tant que membre de l'Académie des lettres et des sciences de la Société royale du Canada, de l'Ordre du Canada, de l'Académie des grands Québécois et de l'Ordre national du mérite de la République française. La Société d'histoire nationale du Canada lui a décerné l'important prix Pierre-Berton, remis à un Canadien ayant contribué de façon remarquable à la vulgarisation de l'histoire canadienne. Il serait le seul francophone à avoir obtenu cet honneur. Il est aussi récipiendaire de la médaille de l'Académie des lettres du Québec et a été fait chevalier de l'Ordre national du Québec.
Une vocation tardive
De Jacques Lacoursière, on connaît, bien entendu, le fameux Canada-Québec, synthèse historique (1534-2000), qui s'est écoulé à plus de 380 000 exemplaires, les quatre tomes de l'Histoire populaire du Québec vendus à 350 000 exemplaires et la série Nos racines, aujourd'hui épuisée.
On se rappelle également son émission radiophonique, J'ai souvenir encore, diffusée sur les ondes de CBV-Radio-Canada, dans le cadre de laquelle il s'est penché sur la petite et la grande histoires pendant dix ans. Et comment peut-on oublier la série Épopée en Amérique: une histoire populaire du Québec? Réalisées par Gilles Carle, ces émissions mettaient à profit l'incontestable talent de conteur de Jacques Lacoursière qui, en plus d'en être l'animateur, portait aussi les chapeaux de coscénariste et de recherchiste.
Au départ, Jacques Lacoursière n'était pas promis à une carrière d'historien aussi florissante. «C'est une vocation tardive, mentionne-t-il. J'étais davantage destiné au roman et à la poésie.» À 27 ans, il découvre l'historien qui sommeille en lui. Il retourne alors aux études, à la suite d'un temps d'arrêt au cours duquel il a secondé son père malade dans la bonne marche de l'entreprise d'impression familiale. Il s'inscrit en septembre 1959 à l'École normale Maurice-L.-Duplessis, où Denis Vaugeois lui enseigne. «C'est lui qui m'a donné la piqûre pour l'histoire», remarque-t-il. C'est le début d'une amitié et d'une longue collaboration. Tous deux feront partie de l'aventure du journal historique Boréal Express qui connut un grand succès dans les années 1960.
Le sens de l'humanité
Depuis, Jacques Lacoursière cumule les conférences et les productions écrites et audiovisuelles, dont la popularité dépasse les frontières du Canada. Il n'hésite pas à donner de son temps à quiconque fait appel à ses services. À cet égard, Brian Young, professeur d'histoire à l'université McGill, souligne son «sens de l'humanité», sa générosité, sa patience et sa passion «persistante».
La directrice du Musée Pointe-à-Callière, Francine Lelièvre, fait écho à ces propos. Elle en veut pour preuve la participation de M. Lacoursière au Marché public dans l'ambiance du XVIIIe siècle qui se tient chaque été depuis 14 ans au Vieux-Port de Montréal. «C'est attendrissant de voir ces jeunes enfants venir à lui pour s'initier à l'écriture à la plume d'oie, observe-t-elle. Sous le soleil radieux d'août, parfois dans une chaleur humide accablante (surtout lorsqu'on porte des vêtements de laine à la manière du XVIIIe siècle), Jacques est assis de longues heures à sa petite table, la plume à la main. Les gens le reconnaissent et, après un instant d'hésitation, ils vont à lui comme on va vers un père, un oncle, un sage du village. [...] Cette scène, je l'ai vue et revue depuis 1994 et, chaque fois, elle m'émeut par la beauté simple et tendre qui en émane.»
L'importance du quotidien
Jacques Lacoursière demeure humble devant son succès. «Un historien est une personne qui assure son avenir avec le passé des autres», aime-t-il répéter. Pour lui, l'histoire est moins constituée de dates et de grands noms que du quotidien de tout un chacun. «La bataille des plaines d'Abraham a duré une demi-heure, mais qu'en est-il de la vie du milicien qui s'y est battu? Pendant combien d'années s'est-il entraîné? Qui était sa famille? Les événements historiques sont circonscrits dans le temps, mais la vie quotidienne, elle, dure toujours.»
Il puise dans ces petits riens pour expliquer le présent. «Nous avons une longue tradition d'accommodements raisonnables. En septembre 1759, après la capitulation de Québec, les soldats écossais trouvent refuge chez les soeurs Ursulines qui, afin qu'ils ne meurent pas de froid avec leur petit kilt, leur tricotent des bas de laine», donne-t-il en exemple, en terminant sa coupe de vin rouge et son fromage.
Car, après l'histoire, Jacques Lacoursière cultive une autre passion, celle de la bonne chère. Celui qui fut président de l'Association canadienne pour la presse gastronomique et hôtelière aime autant faire la popote «ordinaire» que se lancer dans la «grande cuisine». Il a d'ailleurs déjà servi sa recette de castor au consulat général de la France à Québec.
Sa consommation quotidienne d'une bouteille de vin rouge semble être l'ingrédient qui lui permet d'abattre encore et toujours des semaines de 50 heures, même après qu'il s'est remis d'un cancer l'an dernier. «Je n'ai jamais arrêté. Lors de mon séjour à l'hôpital, j'ai corrigé la thèse de ma copine et j'ai effectué la recherche pour le cinquième tome de l'Histoire populaire du Québec.»
Infatigable, Jacques Lacoursière carbure à la passion, mais aussi à la liberté. Une valeur qui semble avoir guidé toutes ses décisions professionnelles, notamment lorsqu'il a quitté son poste de responsable du dossier des sciences humaines aux niveaux primaire et secondaire au ministère de l'Éducation. «J'ai toujours dit que le plus important dans la vie, c'est la possibilité de pouvoir envoyer promener son patron», conclut-il en riant de bon coeur.
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Collaboratrice du Devoir