Les nanopromoteurs jouent la carte de la «transparence»

La ressemblance est frappante: avec un côté impalpable et mystérieux, mais aussi avec de grandes promesses tant sociales qu'économiques qui leur collent à la peau, les nanoparticules, ces particules de matière évoluant dans le monde de l'infiniment petit, pourraient, en entrant de plus en plus dans des produits de consommation courante, se buter aux craintes des consommateurs. Comme l'ont fait à une autre époque les organismes génétiquement modifiés (OGM).
La comparaison, accentuée par de sérieux doutes sur l'innocuité de ces bouts de matière qui se mesurent en milliardième de mètre, n'a toutefois pas échappé aux acteurs des nanotechnologies qui annoncent désormais leurs couleurs.Pour éviter que cette technologie ne rencontre les mêmes ratés que les OGM, en ce qui a trait aux consommateurs du moins, ils parlent désormais de «transparence» sur les bienfaits comme sur les risques potentiels associés au monde des nanos.
Mieux, les nanopromoteurs commencent à tisser, un peu partout sur la planète nano, des liens avec le public pour l'amener «à vivre la révolution» annoncée, disent-ils, plutôt que de la subir. Mais si les bonnes intentions sont là, la partie n'est pas jouée d'avance.
«C'est toutefois la meilleure façon de faire», explique Robert Nault, directeur de Nano-Québec, un organisme qui vise à stimuler la recherche et le développement dans le secteur des nanos. «La révolution technologique des OGM n'a pas été suivie d'une prise de conscience citoyenne. C'est clair. Les chercheurs impliqués dans les nanosciences en sont conscients.» Et ils n'ont pas l'intention de reproduire les mêmes erreurs, reconnaissent-ils aujourd'hui en choeur.
Un enjeu de taille
Le jeu de la transparence en vaut certainement la chandelle. Les nanotechnologies sont en effet à moyen terme censées s'immiscer dans toutes les sphères de la vie humaine. De l'alimentation à l'aéronautique en passant par le textile, l'ameublement, l'industrie automobile ou la communication entre les personnes. Et la liste est loin d'être exhaustive.
Signe d'une révolution en marche: chaque jour, un nouveau produit issu directement de cette science de l'infiniment petit fait son apparition sur le marché quelque part dans le monde, indique le Woodrow Wilson International Center for Scholars qui dresse l'inventaire depuis quelques années des fruits commerciaux de la nanoscience. Ses fichiers exhibent autant des raquettes de tennis que des vitres à effet Lotus — comprendre autonettoyantes sous l'effet de la pluie —, des crèmes solaires ou hydratantes, des shampooings, des chaussures de course, de la peinture d'intérieur ou de l'huile de canola.
En intégrant des nanoparticules dans leurs nouvelles créations, les industriels prévoient à l'avenir offrir aux consommateurs des produits «sans compromis», résume M. Nault. «Le verre en styromousse, par exemple, permet de boire un café sans se brûler. Mais il n'est pas biodégradable. Les nanoparticules sont capables de régler ce problème, puisqu'elles permettent de donner de nouvelles propriétés aux matériaux.»
Le monde de l'infini
Le secret se trouve sous le microscope électronique. Invisibles à l'oeil nu, les nanoparticules se mesurent en effet en milliardième de mètre. À cette échelle, ces morceaux de matière, sortent en effet du champ de la physique traditionnelle, et acquièrent du même coup, dans ce monde quantique, de nouvelles propriétés qui ouvrent la porte à un nombre infini de nouveaux produits. La petite taille de ces particules peut modifier leur résistance à la chaleur, leur volume, leur poids, leur radioactivité, leur couleur, leur conductivité électrique, etc.
Cette matière nanométrique, pleine d'espoir pour les industriels, mais aussi pour le milieu de la santé, amène également, avec sa nature novatrice et impénétrable pour le commun des mortels, son lot de questions qui restent toujours sans réponses. Difficile par exemple de prévoir quels pourraient être les effets de ces nanoparticules sur l'environnement ou sur l'organisme humain, surtout quand on sait que ces particules microscopiques peuvent traverser les barrières des systèmes de protection de l'organisme humain et animal.
«Dans le domaine des nanotechnologies, il y a actuellement beaucoup d'engouement, résume Céline Lafontaine, sociologue à l'Université de Montréal qui s'intéresse à l'imaginaire des nanotechnologies. Mais il y a aussi une urgence d'accompagner leur développement de questionnements éthiques. Car les nanos induisent autant de spéculation que d'inconnues.»
Inconnues, doute, risque potentiel... le terreau est fertile à l'apparition dans les prochaines années de campagnes d'opposition aux nanotechnologies, comme l'a vécu à une autre époque une cousine très éloignée de cette nouvelle technologie: la transgénèse. «On voit déjà des organismes qui essayent d'alarmer des gens en disant que les nanoparticules engendrent des problèmes majeurs sur la santé, dit M. Nault. C'est leur droit même si je n'ai jamais rien vu de scientifiquement articulé qui venait appuyer cette thèse.»
Néanmoins, pour l'organisme environnemental Greenpeace, l'hostilité du public à l'égard des nanos serait inévitable. «Les nanotechnologies sont en émergence et s'inscrivent dans une problématique environnementale très importante, explique Éric Darier responsable de la campagne OGM chez les gardiens de la paix verte. C'est le même scénario qui se joue qu'avec les OGM. Actuellement, près de 700 produits sont sur les tablettes. Le train est parti à toute vitesse sans qu'il y ait eu de débat public sur cette technologie. Le parallèle avec les OGM est tellement incroyable que c'est très tentant pour nous de lancer le même genre de campagne.» Campagne pour dénoncer la présence des nanos dans les produits ou pour exiger l'étiquetage obligatoire de ceux qui en contiennent.
Répondre par le dialogue
Devant les prémices d'une levée de boucliers, les nanopromoteurs n'ont certainement pas l'intention de céder toute la place aux groupes de pression pour alimenter le débat public. «Ce débat doit être alimenté par le plus grand nombre de sources possible, poursuit le patron de Nano-Québec. C'est plus sain dans une démocratie.» Et ils le prouvent.
En Europe, par exemple, les acteurs des nanotechnologies ont décidé de placer les nanoparticules, nanotubes ou nano-objets au coeur de «conférences citoyennes» et de «consultations citoyennes». L'objectif: se rapprocher du public et des consommateurs afin de les informer sur l'état actuel de la nanoscience, mais aussi recueillir leurs craintes et leurs questionnements sur le sujet.
«C'est une formule intéressante qui pourrait être mise en pratique ici, croit Mme Lafontaine. Il est possible d'imaginer autour des nanotechnologies des citoyens et des chercheurs qui, ensemble, vont définir des cadres normatifs. Si l'on veut éviter de tomber dans le rejet qui accompagne les OGM, la question de la communication avec le public est primordiale. Et, bien qu'en retard sur l'Europe, nous sommes à un bon moment pour amorcer ces rapprochements.»
Québec le croit aussi. En marge du lancement en novembre dernier de l'avis sur les nanotechnologies de la Commission de l'éthique de la science et de la technologie, le gouvernement participe en effet à la mise en place du premier réseau québécois de recherche sur les aspects éthiques, économiques, légaux, sociaux et environnementaux des nanotechnologies. Le Fonds de la recherche en santé du Québec, Nano-Québec, mais aussi l'Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) — les travailleurs étant les premiers exposés aux effets positifs ou négatifs des nanoparticules — en font partie. Un des mandats de ce réseau est d'encourager les échanges avec la population sur le thème de la révolution microscopique.
«Si l'on veut qu'en matière de nanotechnologie le Québec tire son épingle du jeu, il doit autant relever le défi de l'entrepreneuriat que le défi de la communication citoyenne, dit M. Nault. C'est incontournable. Dans une petite société comme la nôtre, où l'argent est rare, pour convaincre les politiciens de mettre de l'argent dans une filière prometteuse, il faut que la population ait une bonne idée de ce qu'une nouvelle technologie va lui apporter. Et pour cela, il faut l'informer.»