Prix Michel-Jurdant - Savoir d'où proviennent d'étranges cercles dorés

Le parcours de Martin Lechowicz, un biologiste de l'université McGill, résume à lui seul l'étonnante période de bouleversements dans laquelle nous vivons depuis une cinquantaine d'années. D'origine américaine, il a été le témoin des inquiétudes des années 1950, puis des soubresauts sociaux des années 1960... jusqu'à nos préoccupations environnementales d'aujourd'hui.
Fils d'immigrants polonais, le prof Lechowicz est arrivé à Montréal en 1976, ignorant tout du fait français. «C'était avant la loi 101, rappelle-t-il, et pour quelqu'un se promenant au centre-ville, rien n'indiquait qu'on était dans une ville française... Le visage de Montréal a bien changé depuis!»Une jeunesse trouble
Martin Lechowicz est né en 1947 dans une modeste famille ouvrière de la banlieue polonaise de Chicago. «J'avais 10 ans lorsque "Spoutnik" a été lancé, dit-il. Vous vous rappellerez peut-être que nous étions alors extrêmement inquiets en cette période de guerre froide et de course à l'espace... Par conséquent, d'importants efforts ont été consentis en science et en éducation et tout le monde a mis l'épaule à la roue. Mes parents m'ont encouragé à étudier les sciences.»
Bon élève — «à une époque où on nous classait selon nos aptitudes» —, le jeune Lechowicz est placé dans une classe de niveau supérieur dirigée par un instituteur inspirant. «Les sciences étaient pour moi quelque chose de naturel. J'étais, dirait-on aujourd'hui, un "nerd"!» Naturellement, il prend part à la foire scientifique de son école. Il y remporte le premier prix, ce qui l'amène à participer à la compétition régionale qui se tient à l'Université d'Illinois. «C'était la première fois que je quittais Chicago, se rappelle-t-il. Durant cinq jours, j'ai découvert qu'il existait tout un monde en dehors de chez moi.» Et de là, il accède à la compétition nationale, à Washington D.C., où il a le privilège de croiser le président Johnson.
À l'époque, la National Science Fondation encourage les étudiants de niveau secondaire à faire des stages d'été dans des centres de recherche. Le jeune Lechowicz se retrouve ainsi à participer à des travaux en cancérologie à l'Université du Dakota du Nord. «Encore là, ç'a été toute une expérience de vivre loin de ma famille, avec une bande de jeunes comme moi, à faire de la recherche scientifique.» Et lorsque vient le temps d'entrer à l'université, c'est tout naturellement en biochimie qu'il se dirige. «Il faut dire qu'à l'époque, on pensait qu'on viendrait à bout du cancer d'ici quelques années seulement.»
«Inutile de dire que mes parents étaient très fiers de moi, poursuit
M. Lechowicz. J'étais le premier de la famille à accéder à l'université et, en tant qu'aîné d'une famille d'immigrants, je sentais beaucoup de pression pour réussir...»
Toutefois, les choses se gâtent à l'université puisque le jeune étudiant découvre vite que la biochimie n'est pas pour lui. Son campus est en outre plongé dans les manifestations contre la guerre du Viêtnam alors que la révolte éclate un peu partout. Le jeune étudiant est par conséquent emporté par la tourmente et participe aux manifestations. Réorientant ses études vers la création littéraire — au grand désespoir de ses parents —, il écrit pour des publications underground. L'«Amérique» est en flamme, son esprit aussi!
Le jeune Lechowicz dérive ainsi quelque temps — travaillant dans de petits restaurants et pour une compagnie d'assurance — jusqu'à ce que survienne la «révélation».
De la Sierra Nevada...
Lors d'une fin de semaine d'expédition, à l'automne 1969, il explore les montagnes de la Sierra Nevada en compagnie d'un collègue universitaire. «Ç'a été un "week-end" fabuleux, se rappelle-t-il, qui m'a ramené à la science d'une façon que je n'aurais pu imaginer...»
En effet, au hasard des promenades, il est intrigué par des anneaux de couleur jaune-orange qui encerclent, à tous les mètres, le tronc des conifères. «Je ne savais pas alors qu'il s'agissait d'une plante, dit-il. J'ai ramassé quelques spécimens qui traînaient au pied d'un arbre et je les ai rapportés à Berkely, où j'étudiais.»
Curieux, il consulte les ouvrages de la bibliothèque universitaire. «J'ai découvert qu'il s'agissait d'une sorte de lichen... Voilà qui était intéressant! Mais pourquoi, me demandais-je, ce lichen croît-il à tous les mètres? J'ai poursuivi mes recherches... pour découvrir que personne ne le savait! Et c'est de la sorte que j'ai décidé d'entreprendre des études en biologie.»
Martin Lechowicz devient, en 1976, professeur à l'université McGill. «Pourquoi McGill? Eh bien... parce que c'est le premier poste qu'on m'a offert, dit-il. Lorsque le directeur du département m'a dit qu'il allait m'embaucher, j'ai déclaré que c'était le plus beau jour de ma vie... sans même demander combien on me paierait!»
... à la forêt du mont Saint-Hilaire
Et c'est ainsi que, depuis 30 ans, il enseigne et poursuit une kyrielle de recherches en biologie. Le prof Lechowicz s'intéresse tout particulièrement à la forêt du mont Saint-Hilaire. «Il s'agit de l'un des très rares endroits au Québec où l'on retrouve de nos jours la forêt originale, celle qu'ont vue Cartier et Champlain. Partout ailleurs, les forêts ont été coupées et modifiées.» Cette forêt représente en outre un écosystème très diversifié qui n'existe nulle part ailleurs.
«Par tempérament, je suis un généraliste; et en tant que biologiste, je cherche à comprendre pourquoi les plantes se développent comme elles le font, explique Martin Lechowicz. Et je suis particulièrement attiré par les forêts.» Au fil de ses recherches, il a finalement trouvé la réponse à la question qui l'a mené à la biologie.
Pourquoi donc des lichens poussent-ils en anneaux à un mètre de distance? Les lichens, explique le savant, sont composés d'algues et de champignons qui vivent en symbiose et sont extrêmement sensibles au taux d'humidité. Or, les lichens qu'il a observés au Nevada croissent au niveau des branches mortes des conifères. Durant leur croissance, ces arbres développent, le long de leur tronc, des séries de branches à tous les mètres, les plus basses disparaissant au profit des plus hautes. En mourant, les branches laissent sur le tronc des crevasses et une rugosité qui constituent un site idéal pour le développement de beaux anneaux dorés de lichen.
«Je mène une carrière vraiment emballante, conclut le biologiste, car j'ai la chance de chercher à comprendre ce genre de choses...»
Collaborateur du Devoir