Prix André-Laurendeau - Philosophie pour tous !

Daniel Weinstock est un philosophe spécialisé en éthique.
Source: Bernard Lambert, forum, UDM
Photo: Daniel Weinstock est un philosophe spécialisé en éthique. Source: Bernard Lambert, forum, UDM

La réflexion philosophique ne peut être perçue comme une fin en soi. Elle doit plutôt servir de prémisse à l'action. Pour ce faire, elle doit sortir de la tour d'ivoire des universités et s'insérer dans le processus d'évolution d'une société. Voilà la perception qu'entretient le philosophe Daniel Weinstock, nouveau lauréat du prix André-Laurendeau.

Daniel Weinstock est un passionné. Et sa passion pour la philosophie politique, il la doit avant tout à un coup de foudre. En effet, lorsqu'il étudiait à l'université McGill, sa rencontre avec le célèbre philosophe québécois de la modernité, Charles Taylor, l'a profondément marqué. «Pour moi, comme pour beaucoup d'étudiants de l'époque, cela a été révélateur.» Il va même jusqu'à dépeindre cette rencontre comme «une sorte de choc intellectuel» dont il n'est «jamais vraiment revenu».

Depuis, Daniel Weinstock a fait du chemin. Après avoir bifurqué de la science politique vers la philosophie, il a obtenu un doctorat dans ce domaine à Oxford en Grande-Bretagne. Mais au cours des dernières années, c'est surtout à titre de philosophe spécialisé en éthique qu'il s'est fait connaître. Il est d'ailleurs à l'origine du Centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal (CREUM), dont il est l'actuel directeur.

Départ éthique

C'est pourtant un concours de circonstances qui l'a amené à s'intéresser à l'éthique. «C'est en quelque sorte l'institution qui a dicté mon intérêt», lance-t-il. Lorsqu'il a commencé à enseigner à l'Université de Montréal, au début des années 1990, la faculté de médecine faisait une réforme de son programme. Un cours d'éthique obligatoire pour tous les étudiants devait être élaboré.

Le département de philosophie en a eu la responsabilité. «Étant le petit dernier arrivé, sans permanence, la commande est descendue jusqu'à moi. Évidemment, je ne pouvais pas dire non. Fort heureusement, le cours a connu un certain succès et il a fait des petits un peu partout à l'université», raconte-t-il.

Auteur de plusieurs articles et livres sur le sujet, il s'est depuis penché sur les thèmes les plus délicats relatifs à l'éthique. Il vient justement de publier un petit livre intitulé Profession éthicien (PUM, 2006). L'ouvrage, d'une soixantaine de pages seulement, expose de façon concise les principaux obstacles que rencontrent les éthiciens.

À ce sujet, M. Weinstock souligne toutefois que le terme même d'éthicien «l'irrite profondément». «Je ne me suis jamais considéré comme éthicien. Il y a quelque chose de sentencieux — ça pue un peu l'encens! Professionnellement, je suis un philosophe qui s'intéresse plutôt aux institutions qu'à la vertu des individus.»

D'ailleurs, le fait de baigner dans un domaine qui relève aussi bien du conceptuel que du concret l'a poussé à jeter un regard différent, critique et fort intéressant sur sa discipline. Il soutient aujourd'hui que la réflexion philosophique n'est en fait que la première partie d'un travail beaucoup plus long.

Aller plus loin

Au fil du temps, le philosophe s'est rendu compte que, «parmi les philosophes, toutes traditions confondues, il y avait un certain mépris à l'égard de tout ce qui était de l'ordre de l'éthique appliquée, comme si l'exercice de la philosophie se limitait aux concepts et que le reste était simplement de la technique».

En s'intéressant aux écrits relatifs à l'éthique, il en est venu à penser que «c'était peut-être un peu l'inverse». Les concepts philosophiques abstraits ne sont pas nécessairement appropriés aux réalités concrètes. «Il faut donc voir de quelle façon les concepts philosophiques élaborés s'institutionnalisent.» Pour ce faire, il faut sortir du cadre restreint et abstrait de la philosophie et s'ouvrir à l'environnement auquel les concepts s'appliquent.

Aujourd'hui, cela lui fait dire qu'il y a effectivement «les sempiternels débats en philosophie politique», mais qu'on a simplement «fait la moitié du chemin» si l'on se contente de ceux-ci. Il faut donc aller plus loin et appliquer les réflexions aux réalités concrètes d'une société. Il s'agit, en quelque sorte, de jeter des ponts entre la philosophie et les sphères décisionnelles de toute société.

Sur le terrain

Daniel Weinstock a participé à plusieurs initiatives du genre. Entre 1997 et 1999, il a participé au Groupe de travail sur la place de la religion à l'école publique, qui a accouché du rapport Proulx. Plus récemment, en 2005, le gouvernement canadien l'a sollicité pour faire partie d'un comité d'experts ayant pour but d'analyser la problématique de l'intégration des immigrants dans certains pays européens.

De telles implications découlent du rôle même de l'intellectuel, note-t-il. Toutefois, est-ce que la société québécoise et canadienne offre une place aux penseurs qui désirent ardemment s'impliquer? Le philosophe répond: «Au Québec en particulier et au Canada plus largement, on vit dans une société qui n'est pas si mal, comparée à d'autres. Ici, on a une culture de l'interaction entre les gens qui ont à gérer le quotidien de nos institutions et les intellectuels. Et cela, c'est une occasion remarquable pour les intellectuels.»

Il ajoute aussitôt: «Quand je pense aux raisons qui m'ont retenu lorsque des occasions de faire carrière ailleurs se sont présentées, c'est justement la possibilité d'avoir un impact, non seulement sur mes étudiants et mes collègues, mais bien de pouvoir jouer un rôle» au sein des institutions.

Quant au prix André-Laurendeau, Daniel Weinstock affirme «qu'il est toujours flatteur d'être reconnu par ses pairs. Mais au-delà de ça, sur le plan personnel, je dirais que je suis un intellectuel québécois de souche relativement récente. Mes parents étaient tous les deux des immigrants juifs d'Europe de l'Est. En tant qu'intellectuel juif et en raison de ma trajectoire professionnelle, ça revêt une importance particulière de recevoir un prix associé à une personnalité importante de la vie politique québécoise».

Collaborateur du Devoir

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