Prix Adrien-Pouliot - Un oeil sur les structures

Patrick Paultre
Source: ACFAS
Photo: Patrick Paultre Source: ACFAS

Depuis une douzaine d'années maintenant, Patrick Paultre, professeur et chercheur en génie civil à l'Université de Sherbrooke, entretient une étroite collaboration avec des chercheurs français. Si étroite que ses travaux ont contribué à modifier les normes de construction françaises.

D'origine haïtienne, Patrick Paultre obtient d'abord un baccalauréat en architecture de l'ISTH à Port-au-Prince. Voulant poursuivre ses études en français, deux choix s'offrent à lui: étudier en France ou au Québec. «La France m'attirait et j'avais toujours rêvé d'étudier à l'École des ponts et chaussées, explique-t-il, mais ma famille était déjà installée à Montréal et mon frère étudiait à l'École polytechnique. Cela a orienté mon choix.»

Il s'inscrit donc à l'École polytechnique en génie civil. «J'aimais bien le côté artistique de l'architecture, mais j'avais un goût plus poussé pour le calcul et le travail plus scientifique.» En 1981, il obtient sa maîtrise en sciences appliquées. Dès le départ, Patrick Paultre connaît son champ d'intérêt. «Je me suis toujours intéressé à la dynamique des structures et, en particulier, à leur comportement lorsqu'elles subissent des charges vibratoires, lors d'un séisme par exemple.» Cela sera d'ailleurs le sujet de sa thèse de doctorat, qu'il soutient à l'université McGill.

Au début de sa carrière professionnelle, Patrick Paultre travaille dans le secteur privé pour des firmes de génie à Montréal, Toronto et Philadelphie. Mais son ambition est ailleurs: il veut enseigner et faire de la recherche universitaire. L'occasion se présente en 1987 lorsqu'un poste de professeur en génie civil se libère à l'Université de Sherbrooke. Embauché en tant que professeur, on lui confie aussi les rênes du laboratoire de structures du département de génie civil. «À mon arrivée, le laboratoire, c'était une grande pièce vide. Il n'y avait rien.»

Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Titulaire de la chaire de recherche du Canada en génie parasismique et dynamique des structures (CRGP), Patrick Paultre dirige un des plus importants laboratoires dans ce domaine au Canada. Certaines des recherches et des techniques élaborées par ce chercheur et son équipe sont uniques au monde.

Sur le terrain

Les études et les recherches menées par Patrick Paultre et son équipe au sein du CRGP peuvent se diviser sommairement en deux groupes: celles faites en laboratoire, que l'on nomme les essais pseudo-dynamiques; et les essais dynamiques que l'on réalise directement sur les ouvrages, comme les barrages, les ponts et autres structures.

Au fil des ans, plusieurs ouvrages au Québec ont été testés grâce aux essais dynamiques réalisés in situ. Mentionnons, entre autres, le barrage de Beauharnois 3, le barrage des Outardes 3, le pont de Grand-Mère ainsi que le mât du Stade olympique. De plus, l'expertise de Patrick Paultre a été mise à contribution lors des essais dynamiques réalisés sur le barrage d'Émosson en Suisse.

Les essais dynamiques sont réalisés en produisant une force vibratoire grâce à un excitateur placé sur l'ouvrage. La force et la direction de cette vibration sont contrôlées et des capteurs et un système d'acquisition de données permettent de voir comment se comporte la structure.

Les essais dynamiques permettent d'évaluer les propriétés dynamiques de l'ouvrage et de vérifier si les modèles numériques en 2D et 3D sont toujours valides. «Cela permet de développer des équations pour comprendre le comportement de la structure lors d'un séisme, en utilisant peu de force.»

De plus, lors des essais dynamiques sur le barrage Outardes 3, Patrick Paultre a élargi le champ de recherche en tenant compte de paramètres qu'on ignorait auparavant. «Non seulement avons-nous mesuré le comportement du barrage en béton, mais aussi du sol et des fondations, de l'eau de retenue et de la plaque de glace qui s'accumule l'hiver. Nous sommes les seuls à avoir réalisé pareille étude dans

le monde.»

En laboratoire

Les essais pseudo-dynamiques sont réalisés en laboratoire grâce à un mur de réaction fait de béton haute performance. Après avoir introduit dans un ordinateur les données d'un séisme réel, on élabore un modèle qui simule le comportement de la structure.

«Par exemple, la modélisation nous dira que, lors d'un tel séisme, la structure aurait bougé de cinq millimètres.» Puis, on force cette dernière à bouger de cinq millimètres. «Cela nous permet de mesurer la réaction de la structure et de vérifier l'exactitude de la modélisation, et ainsi de la corriger s'il le faut.»

Au fil des ans et des essais, la structure a évidemment subi plusieurs stress, ce qui a permis l'élaboration d'autres types de mesures. «Nous sommes en mesure de détecter s'il y a eu une détérioration à une structure et nous travaillons présentement en laboratoire à mettre en place une technique nous permettant de localiser la détérioration.»

La filière française

Son amour de la France s'actualise en 1994 lorsqu'il est invité en qualité de chercheur par François de Larrard, alors au Laboratoire central des ponts et chaussées de Paris. «C'était pendant mon année sabbatique et j'y suis allé avec toute la famille.» Il y fera aussi la rencontre de Jacky Mazars, alors à l'École normale supérieure à Cachan et aujourd'hui directeur du Laboratoire sols-solides-structures de l'université Joseph-Fourier de Grenoble.

Entre ces hommes se tissent une collaboration et une complicité qui fera en sorte que Patrick Paultre sera invité en tant que professeur en dynamique des structures plusieurs années de suite dans ces institutions. Il codirigera les thèses de doctorat de plusieurs étudiants français et accueillera à Sherbrooke des stagiaires français.

C'est d'ailleurs sous les encouragements de Jacky Mazars qu'il rédige un ouvrage scientifique, La Dynamique des structures, utilisé aujourd'hui dans plusieurs universités françaises et canadiennes. «Contrairement à mes articles scientifiques, qui sont publiés dans des revues anglaises, j'ai tenu à écrire cet ouvrage en français. C'est une langue que j'aime beaucoup. C'est peut-être cela qui explique mon affinité avec la France.»

Collaborateur du Devoir

À voir en vidéo