Prix Urgel-Archambault - Le petit chimiste est devenu grand

André Charette
Source: ACFAS
Photo: André Charette Source: ACFAS

Qui n'a pas eu dans sa jeunesse un microscope, un télescope, un jeu de chimie ou quelques beaux livres de sciences... qui sont demeurés sur une tablette après avoir piqué la curiosité pendant quelques semaines? Pas André Charette. Sa passion pour la chimie est née grâce à un jeu qu'on lui a offert alors qu'il était adolescent. Débute alors un parcours qui le mène à l'obtention du prix Urgel-Archambault.

Aujourd'hui, André Charette dirige l'une des plus importantes équipes de chimistes — le groupe Charette — qui cherche à fabriquer de nouvelles molécules destinées à servir de médicaments.

«Au secondaire, dans les cours de science, je n'étais pas très bon élève... ou plutôt: ça ne m'intéressait pas!, se rappelle-t-il, amusé. Tout a changé lorsqu'on m'a donné un jeu de chimie. Mes parents m'ont aussi procuré des livres de chimie que j'ai lus avec intérêt. C'est de la sorte que ma passion s'est développée...»

Professeur titulaire au département de chimie de l'Université de Montréal («l'un des plus "performants" au niveau mondial», souligne avec fierté le chercheur), André Charette est directeur de recherche. Il pilote deux chaires — l'une consacrée à la recherche fondamentale et l'autre à la recherche industrielle — spécialisées dans la synthèse des molécules.

Fait à noter, le Pr Charette aime autant faire de la recherche qu'enseigner. «À l'université, souligne-t-il, la recherche et l'enseignement vont de pair, et autant l'une que l'autre m'attiraient. J'ai donc su très tôt dans la vie ce que je ferais.»

Bardé d'une bonne quinzaine de prix et de distinctions, ce chimiste réalise un parcours en ligne droite. Après avoir obtenu en 1983 son baccalauréat en chimie à l'Université de Montréal, il complète sa maîtrise et son doctorat à l'Université de Rochester (en 1985 et en 1987) puis son postdoctorat à l'université Harvard (en 1989) pour finalement revenir faire carrière à l'Université de Montréal. Parcours simple et efficace, pourrait-on dire.

Créer des molécules complexes

Bon nombre des substances qui nous entourent sont des molécules, c'est-à-dire des assemblages d'atomes. L'eau et le gaz carbonique en sont deux exemples, la première étant formée de deux atomes d'hydrogène associés à un atome d'oxygène (H2O) et la seconde, d'un atome de carbone couplé à deux atomes d'oxygène (CO2).

Il existe, on l'imagine, des molécules beaucoup plus complexes... et ce sont elles qui passionnent le chimiste Charette. Contrairement à d'autres chimistes, celui-ci ne s'intéresse pas tant aux propriétés des molécules (à quoi elles peuvent servir) qu'à la manière de parvenir à les fabriquer. Il fait ce qu'on appelle de la chimie de synthèse; autrement dit, il tente de synthétiser (de fabriquer) des molécules complexes à partir de molécules simples. «On part de produits qui sont simples et disponibles, résume-t-il, et on les convertit, à l'aide d'une séquence de réactions chimiques, en quelque chose de plus complexe.»

«La recherche m'a toujours fasciné, poursuit-il, et plus particulièrement la chimie de synthèse, parce qu'on crée alors de nouvelles molécules.» Le chimiste y exerce un grand pouvoir de création puisqu'il lui faut d'abord imaginer à quoi ressemble la structure d'une molécule pour ensuite tenter de la reproduire en laboratoire. «Tout est question d'imagination!», lance-t-il.

À cette fin, André Charette pilote une équipe d'une trentaine de spécialistes qui réalisent divers projets dans le cadre de la chaire de recherche du Canada sur la synthèse stéréosélective des molécules bioactives et de la chaire industrielle CRSNG/Merck Frosst/Boehringer Ingelheim en synthèse stéréosélective des médicaments.

La chaire du Canada permet à son groupe d'explorer de nouvelles avenues qui ne seraient probablement pas possibles autrement. Quant à la chaire industrielle, elle sert à réaliser des travaux «plus ciblés» qui présentent un intérêt pharmaceutique. «On ne travaille pas nécessairement sur la synthèse de médicaments, précise M. Charette, mais plutôt sur de nouvelles méthodes qui vont pouvoir être appliquées à la synthèse de médicaments.» Depuis 15 ans qu'il mène ses travaux à l'Université de Montréal, André Charette développe ainsi de nouveaux outils, de nouvelles méthodes et de nouvelles approches qui servent à fabriquer des molécules complexes.

«Nous travaillons sur le développement d'outils qui vont permettre, disons, de partir d'un produit A pour le convertir en un produit B fort complexe, explique-t-il. Nos travaux sont ciblés pour que, en une seule étape, on obtienne des molécules complexes en utilisant d'infimes quantités de réactifs.»

Si ces travaux peuvent avoir une foule d'applications, l'essentiel des efforts du groupe Charette est orienté vers les besoins de l'industrie pharmaceutique. «N'oublions pas que Montréal est la capitale canadienne de l'industrie pharmaceutique, rappelle M. Charette, de sorte que toutes les compagnies sont ici et que les spécialistes que nous formons se trouvent relativement facilement du travail...»

Le Canada, un «paradis» pour la recherche ?

On imagine qu'un chercheur du calibre d'André Charette pourrait travailler n'importe où sur la planète. Or, celui-ci a choisi de s'établir ici en toute connaissance de cause. «J'ai la chance de diriger l'une des plus grosses équipes, sinon LA plus grosse équipe en chimie, au Canada», dit-il avec satisfaction.

Ces dix dernières années, rapporte le chercheur, les gouvernements ont beaucoup investi dans les infrastructures et l'instrumentation scientifiques. «Je puis maintenant vous dire que, en 2006, l'environnement qui a été créé — du moins à l'Université de Montréal — est comparable à ce qu'on retrouve dans les meilleures universités de la planète. Ce n'est peut-être pas le cas dans tous les domaines, mais ce l'est en chimie organique.»

M. Charette s'empresse néanmoins d'ajouter que, bien sûr, en matière de financement des travaux scientifiques, notre situation ne se compare pas à ce qui existe aux États-Unis. Toutefois, il y a des avantages à oeuvrer au Canada, notamment le fait que les chercheurs bénéficient de davantage de liberté dans leurs travaux. «Aux États-Unis, dit-il, les recherches sont orientées vers des créneaux très précis, alors qu'au Canada, on finance davantage de chercheurs en leur laissant la liberté de mener leurs travaux.»

«Pour toutes ces raisons, conclut-il, Montréal est un endroit privilégié pour travailler!»

Collaborateur du Devoir

À voir en vidéo