Prix Léo-Pariseau - Décrypter les protéines G

Michel Bouvier
Source: ACFAS
Photo: Michel Bouvier Source: ACFAS

Michel Bouvier est directeur du Groupe universitaire de recherche sur le médicament et, avant même son existence, ce professeur titulaire au département de biochimie de la faculté de médecine de l'Université de Montréal (UdM) était devenu l'un des scientifiques les plus reconnus au Canada et à l'étranger. Il a conduit pendant 17 ans, dans le laboratoire qu'il a mis sur pied à l'UdM, des travaux fructueux qui lui valent de recevoir le prix Léo-Pariseau.

Le Groupe universitaire de recherche sur le médicament est apparu dans le décor l'an passé. Il réunit des chercheurs de divers horizons et disciplines et vise rien de moins que la consolidation de l'industrie pharmaceutique montréalaise, d'où l'essor économique de la région. D'un même élan, ce regroupement de cerveaux planche sur la découverte de médicaments aptes à combattre les grands problèmes de santé actuels et à lutter contre des pathologies moins répandues, qui sont laissées pour compte par d'autres, faute de profits faramineux à réaliser.

Quant au professeur qui le dirige, il s'est passionné dès son enfance et son adolescence pour les sciences: «Je me suis toujours intéressé à celles-ci de façon générale d'aussi loin que je puisse me souvenir.» Deux professeurs du secondaire, qui enseignaient dans les disciplines de la biologie et de la chimie, ont par la suite provoqué son penchant pour la compréhension moléculaire des sciences de la vie et l'ont influencé dans son choix de carrière.

L'acquisition du savoir

Michel Bouvier décroche son diplôme d'études collégiales en sciences pures avant d'obtenir son baccalauréat en biochimie de l'Université de Montréal. De là, il continue de gravir les échelons du savoir: «J'ai fait un doctorat en sciences neurologiques auprès de quelqu'un qui a joué un rôle très important dans ma carrière scientifique, en l'occurence le docteur Jacques de Champlain, qui fut aussi récipiendaire du prix Léo-Pariseau; il a été mon directeur de thèse au moment où il s'intéressait au contrôle nerveux de la pression artérielle et j'ai travaillé dans son laboratoire durant quelques années à mieux comprendre les mécanismes de régulation de l'activité du système nerveux sympathique relatifs à la pathologie qui est celle de l'hypertension artérielle.» Il se penche alors sur l'aspect moléculaire de cette problématique sur le plan de la signalisation.

Il se rend par la suite à la prestigieuse université Duke de la Caroline du Nord pour y suivre un stage de postdoctorat: «J'ai collaboré avec des sommités mondiales qui s'intéressaient à la pharmacologie moléculaire, c'est-à-dire à la compréhension des cibles pharmaceutiques, donc des molécules qui sont normalement impliquées dans la signalisation cellulaire, mais qui peuvent être utilisées comme cibles pour les traitements thérapeutiques.»

La carrière prend forme

Fort de ce parcours enrichissant, il revient à l'Université de Montréal à titre de professeur et chercheur en 1989 et il met sur pied son laboratoire. «Au tout début, il y avait de l'angoisse, ce qui est en partie le sentiment qui habite un jeune chercheur qui démarre son labo. J'étais craintif après avoir quitté un endroit comme Duke où se retrouvaient à peu près 20 ou 25 chercheurs "postdoctoraux" et où, à chaque jour, on était très stimulé intellectuellement dans un milieu très dynamique.»

Il s'est en quelque sorte lancé dans le vide en ouvrant la porte de son laboratoire: «Je disposais d'une certaine somme d'argent pour démarrer et j'ai d'abord embauché deux personnes. On s'est retrouvé à trois et c'est devenu rapidement très stimulant parce que la peur a disparu, pour faire place à l'effervescence et à l'enthousiasme de démarrer quelque chose de nouveau, de mettre sur pied une équipe.»

Il reçoit l'appui de ses collègues, qui lui prêtent les équipements nécessaires à la bonne marche de sa recherche: «Il a été possible d'investir dans le cerveau plutôt que dans le béton.» Rapidement, le laboratoire grandit et il atteindra sa maturité cinq ans plus tard, alors qu'une vingtaine de personnes s'y retrouvent.

Les problèmes de communication

Michel Bouvier pose la problématique de la nature des recherches qui se sont déroulées au fil du temps: «On essaie de mieux comprendre la manière dont l'efficacité de la circulation est contrôlée. Dans notre système humain, on est composé de cellules et il faut qu'il y ait une communication entre celles-ci, sinon il n'y a pas d'unité de l'organisme; certaines cellules doivent dire aux autres quoi faire et, dans tout cela, il existe même une forme de hiérarchie: le système nerveux central est au sommet de cette dernière, et il dit aux différents tissus comment fonctionner.» Il poursuit son explication: «Il y a là des modes de communication qui existent, tout comme dans les sociétés humaines; si ces modes se dérèglent, comme dans la société, cela crée des conflits ou des problèmes qu'on peut associer à des pathologies.»

Cela étant posé, il résume ses interventions: «Moi, j'essaie de comprendre comment ces systèmes de communication fonctionnent bien, qu'est-ce qui se passe quand ils fonctionnent mal et pourquoi tel est le cas. Je tente de savoir comment on peut intervenir avec des médicaments pour corriger ce dysfonctionnement.» Avec son équipe, il se penche sur une famille de récepteurs liés aux communications, qui sont ceux couplés aux protéines G: «Celles-ci forment le plus grand ensemble de cibles thérapeutiques et environ 80 % des médicaments d'ordonnance ont pour cible un tel récepteur.»

Du labo à l'institut

Le chercheur est fier de nommer une réalisation du labo à laquelle a contribué un collègue néphrologue, dans le cas du diabète «néphrogénique» congénital ou diabète insipide, une maladie causée par le type de récepteurs en question: «On a repéré le problème sur ce plan et on a trouvé une façon d'intervenir en pharmacologie pour restaurer la fonction dudit récepteur. Le tout fonctionne et améliore grandement la condition du patient.» Dans ce cas, il signale que c'est une maladie génétique relativement rare pour laquelle il est difficile de convaincre une compagnie pharmaceutique d'investir. Le laboratoire a aussi connu du succès en termes technologiques, et dans le domaine de la classification des médicaments qui agissent sur les récepteurs.

Quant à ce que l'avenir lui réserve, Michel Bouvier possède un programme bien rempli: «Il y a plusieurs projets sur la table. Le laboratoire rejoindra au mois de mai un nouvel institut de l'UdM, soit celui de la recherche en immunologie et en cancer, et il sera en mesure de "bouger" davantage du côté de cette maladie. À cette fin, il disposera d'un nouveau système de criblage pour reconnaître les molécules sur place même, et il possédera de nouveaux outils chimiques permettant de mieux comprendre les systèmes biologiques, et qui pourront avoir un impact sur le développement des molécules à activité thérapeutique.» De plus, à peu près tous les chercheurs québécois oeuvrant sur les récepteurs couplés aux protéines G seront regroupés bientôt au sein d'une même équipe pour mener un projet de recherche. Et bien sûr, pendant ce temps, le Groupe universitaire de recherche sur le médicament continuera de croître après un an d'existence.

Collaborateur du Devoir

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