Une solution à l'accoutumance

Surmonter l'effet d'accoutumance à une drogue est presque surhumain pour de nombreux toxicomanes. À preuve, les cures de désintoxication se soldent la plupart du temps par une rechute. Des chercheurs de l'université de la Colombie-Britannique annonçaient hier dans la revue Science avoir synthétisé une substance qui enraye cette envie irrépressible de consommer chez les personnes aux prises avec une dépendance à la drogue.
Au cours d'études précédentes, les chercheurs avaient observé que l'injection répétée d'amphétamine ou de cocaïne à des rats induisait la disparition d'une catégorie de récepteurs présents à la surface des neurones situés sur une petite structure profonde du cerveau jouant un rôle dans le plaisir et la motivation, le noyau accumbens. Ces récepteurs assurent normalement la communication entre diverses cellules nerveuses en répondant précisément aux signaux transmis par un messager chimique appelé glutamate.Or, à la suite de chaque injection d'amphétamine, la machinerie cellulaire tire sur la queue de ces récepteurs, ancrée à l'intérieur du neurone, et finit par avaler l'ensemble de la structure des récepteurs. Ceux-ci perdent alors leur façade à la surface des cellules nerveuses, ce qui compromet de ce fait la capacité des neurones d'entendre les signaux qui leur sont destinés. «Cette internalisation des récepteurs, qui survient cinq à dix minutes après l'injection d'amphétamine, est de longue durée, mais on croit qu'elle ne serait pas permanente», précise Tak Pan Wong, chercheur au Brain Research Centre de l'université de la Colombie-Britannique et coauteur de l'article, notamment avec Yu Tian Wang et Anthony Phillips, qui ont dirigé l'étude.
De plus, cette internalisation des récepteurs qui apparaissait chez de petits rats après qu'on leur eut injecté une dose d'amphétamine tous les deux jours pendant 20 jours provoquait reniflements et lèchements répétés chez les animaux, autant de comportements stéréotypés comparables aux idées compulsives qu'ont les toxicomanes.
Les auteurs de la publication ont ensuite synthétisé en laboratoire un peptide — une longue molécule constituée d'un enchaînement d'acides aminés — dont la structure ressemble à s'y méprendre à la queue du récepteur au glutamate. Une fois parvenu à l'intérieur du neurone, ce peptide trompe la machinerie cellulaire, qui préfère ensuite se lier à lui plutôt qu'à la queue des récepteurs au glutamate, ceux-ci conservant alors leur façade à la surface du neurone et continuant à recevoir les signaux, ce qui assure la communication entre les cellules.
Après avoir privé de drogue pendant 21 jours les rats ayant développé une dépendance, les chercheurs leur ont de nouveau injecté une petite quantité d'amphétamine qui a aussitôt déclenché d'intenses stéréotypes. Par contre, «l'administration à ces mêmes rats d'une très faible dose du peptide 90 minutes avant l'injection d'amphétamine bloquait l'internalisation des récepteurs et faisait disparaître l'envie irrépressible d'en consommer à nouveau», explique le Dr Wong.
Bien que le peptide soit injecté par voie intraveineuse et se répande ainsi dans tout l'organisme, il cible uniquement le processus d'internalisation qui se met en branle dans les neurones du noyau accumbens précisément touchés par l'administration répétée de drogue. «À preuve, les facultés d'apprentissage et de mémorisation ne sont pas affectées par le peptide alors qu'elles font pourtant intervenir d'autres récepteurs au glutamate, souligne le Dr Wong. Jusqu'à maintenant, nous n'avons noté aucun effet secondaire.»
Bien que ce peptide apparaisse de plus en plus comme une piste prometteuse pour traiter les toxicomanies, le chercheur prévient qu'on ne peut pas envisager d'études cliniques chez l'humain avant quatre à cinq ans.