Santé - En guerre contre le parfum
Dangereux, le parfum d'une fleur? Létale, la fragrance d'une eau de Cologne? Même si les avis divergent sur ce point dans la communauté scientifique — certains chercheurs allant même jusqu'à contester tout lien entre parfum et santé — l'Hôpital général de Kingston estime pour sa part que les doutes qui tiraillent les spécialistes sont suffisants pour décréter que son environnement sera désormais «sans parfum».
Impossible d'y échapper. À l'entrée de l'hôpital ontarien, les murs sont placardés d'affiches rappelant le récent virage pris par l'établissement. «Let's clear the air», lance-t-on en lettres capitales, plaquées au-dessus d'une infirmière qui vous toise avec le plus grand sérieux. «S'il vous plaît, veuillez vous abstenir de porter quoi que ce soit de parfumé et d'apporter des fleurs odorantes dans notre établissement», lit-on un peu plus bas.Manifestement, la direction n'entend pas prendre à la légère sa nouvelle politique. Tout manquement sera noté et devra être réglé sur-le-champ. Des petites salles ont même été aménagées afin que les visiteurs délinquants puissent se débarbouiller en toute tranquillité. Les récalcitrants, eux, seront invités à retourner chez eux.
Même ligne dure pour les employés de l'hôpital qui auront à répondre de leurs incartades. «On essaie la manière douce, mais nous sommes prêts à muscler nos interventions si nous jugeons que cela devient nécessaire. On pourrait même aller jusqu'à imposer des mesures disciplinaires», prévient Reine Samson-Dawe, une physiothérapeute, qui oeuvre au service de santé des employés de l'hôpital chargé de mettre en place ladite politique.
Ce virage a aussi un impact sur les patients qui sont désormais soumis aux mêmes règles que les visiteurs. «Évidemment, on ne refusera pas de traiter un malade à l'urgence parce qu'il porte une eau de Cologne, mais nous ferons le nécessaire pour que, durant le reste de son séjour, il respecte les règles», tempère Mme Samson-Dawe.
Finis donc les bouquets de lavande, de lys, de freesias et autres fleurs odorantes. Exit aussi les chandelles parfumées, les diffuseurs d'huile aromatique et autres produits de beauté aux arômes réconfortants, les visiteurs devront trouver une autre façon de souhaiter un prompt rétablissement à leurs proches.
Depuis l'entrée en vigueur de cette politique, le 1er juillet dernier, les visiteurs se sont généralement pliés aux nouvelles règles. Quant aux employés, aucun n'a manqué à ces même règles. C'est que l'initiative a fait l'objet d'une réflexion assez longue pour bien préparer le terrain. D'ailleurs, ce sont les employés eux-mêmes qui ont les premiers lancé l'idée d'un environnement sans parfum.
«On s'est rendu compte que de plus en plus de gens se plaignaient de maux liés aux parfums lourds en milieu de travail», raconte Mme Samson-Dawe. Une enquête a même démontré que 10 % des employés avaient une sensibilité aux parfums, un pourcentage qui en a étonné plus d'un. Cette intolérance a même forcé l'hôpital à relocaliser deux employés tant ils étaient incommodés par la présence de parfum dans leur environnement de travail.
Réalité ou fiction? Selon l'Association pulmonaire canadienne, les maux associés aux parfums lourds sont bien réels et peuvent exacerber l'état des 15 à 20 % de Canadiens qui souffrent d'un problème respiratoire comme l'asthme, l'emphysème ou les allergies.
Mais ce n'est pas là leur seul effet. À l'hôpital, la direction a recensé plusieurs autres maux reliés aux parfums, raconte Mme Samson-Dawe. «Nous avons constaté que de fortes odeurs peuvent aussi déclencher des migraines, favoriser l'irritations des yeux, alimenter l'irritabilité et causer de la fatigue, de la somnolence ou même de la confusion.»
Le Centre canadien d'hygiène et de sécurité au travail (CCHST) est du même avis. Sur son site Internet, il offre même des pistes aux employeurs désireux d'améliorer la qualité de l'air de leur milieu de travail, parmi lesquelles figure la mise en place d'un environnement sans parfum.
Mais en dépit de cette apparente entente générale, des voix discordantes persistent à dénoncer l'inutilité d'une politique pareille, admet le CCHST, qui cite les réserves du Dr Arthur Leznoff, spécialiste reconnu en immunologie.
«Il n'y a aucune preuve scientifique démontrant que l'exposition au parfum secondaire constitue une menace pour la santé», estime l'allergologue du St. Michael Hospital de Toronto. Selon lui, un environnement sans parfum est d'autant plus inutile que «la réaction à une odeur ne se fait pas sur une base physiologique».
Ce n'est pas du tout l'avis de la direction de l'Hôpital général de Kingston selon laquelle les malaises qui affectent ses employés et ses patients sont bien réels, preuve scientifique ou non. Pour elle, il s'agit en fait d'un combat semblable à celui de la fumée de cigarette qui a fait rage il y a quelques années seulement.
Désormais bannie des hôpitaux, la fumée de cigarette a fait consensus auprès des spécialistes et du public. Il en ira de même pour les parfums, croit Reine Samson-Dawe. «Honnêtement, je ne crois pas que cette politique aurait été adoptée il y a cinq ans. Mais aujourd'hui, les gens sont prêts à se plier à de telles règles parce qu'ils sont de plus en plus sensibles à ce type de problème.»
L'air du temps semble lui donner raison. Depuis que sa politique est en vigueur, l'hôpital a reçu de nombreux appels des hôpitaux de la région et des autres provinces qui se sont tous dits intéressés à lui emboîter le pas. À l'Association des hôpitaux du Québec (AHQ), on estime d'ailleurs que l'idée pourrait aussi faire son chemin ici.