La guerre des villes contre les punaises de lit

Plusieurs angles morts persistent dans la lutte que mènent les villes contre les punaises de lit, cet insecte nuisible qui touche de façon disproportionnée les ménages locataires vulnérables. Des initiatives locales inspirantes sortent toutefois du lot, tandis que le gouvernement du Québec est appelé à mieux encadrer le métier d’exterminateur dans la province.
Officiellement, les données ouvertes de la Ville font état d’une baisse des exterminations de punaises de lit rapportées par les gestionnaires de parasites. En 2013, par exemple, 3695 exterminations ont été signalées à la Ville, contre 2373 l’an dernier. Une baisse des interventions dans des logements infestés de punaises de lit a aussi été notée en 2020 et en 2021, avant que celles-ci reprennent de la vigueur l’an dernier.
Ces données sont toutefois à prendre avec des pincettes, note le propriétaire de Royale Extermination, Sean-Michael Jourdain, qui constate que plusieurs exterminateurs ne prennent pas la peine de rapporter à la Ville leurs interventions visant à éradiquer des punaises de lit dans des logements. « Ça prend trop de temps, et les exterminateurs ne se cassent pas la tête avec ça », lance-t-il.
Il devient alors difficile d’avoir un portrait clair de l’ampleur du problème dans la métropole, évoque celui dont l’entreprise se consacre uniquement à l’éradication de ce type de parasites, à Montréal de même qu’à Québec et à Ottawa. Chose certaine, « on a ouvert nos portes il y a trois ans, et chaque année, on double nos exterminations de punaises de lit », poursuit M. Jourdain.
Inégalités sociales
La Santé publique de Montréal fait pour sa part état de la présence de punaises dans environ 3 % des logements de la métropole, un pourcentage qui varie peu d’une année à l’autre. « De façon plus précise, c’est important d’attirer l’attention sur le fait que les ménages à faible revenu sont surreprésentés parmi ceux qui ont des problèmes de punaises de lit », tandis que les locataires sont « six fois plus affectés que les propriétaires » par ce parasite, relève Loïc Martin-Rouillard, qui est agent de programmation, de planification et de recherche au sein de la Direction régionale de santé publique de Montréal.
Ce sont ainsi 9 % des ménages gagnant moins de 20 000 $ par année qui connaissent des problèmes de punaises de lit, soit trois fois plus que la moyenne des ménages de la métropole, poursuit Loïc Martin-Rouillard. Soulignons que les infestations peuvent avoir des répercussions psychologiques importantes sur les personnes touchées.
« Il y a des pertes de sommeil qui peuvent s’ensuivre. Ça va créer de l’anxiété et ça peut être exacerbé s’il y a des problèmes sous-jacents. Ça peut aller jusqu’à la dépression », énumère-t-il. D’où l’importance d’agir rapidement quand un logement est infesté, poursuit M. Martin-Rouillard. « On doit s’assurer que les arrondissements et la Ville de Montréal peuvent intervenir en temps opportun. »
Afin d’optimiser les interventions auprès des locataires aux prises avec ces insectes, les deux comités logement de Rosemont et La Petite-Patrie ont uni leurs forces en 2015 avec celles de l’arrondissement, de la police et de la Santé publique de Montréal afin de créer une table de concertation sur la salubrité des logements.
La table a facilité le repérage des bâtiments infestés notamment par des punaises de lit et l’intervention adéquate auprès des locataires et des propriétaires concernés. Ses membres ont ainsi pu aider de nombreux locataires à préparer convenablement leur logement à l’arrivée d’exterminateurs, en plus de convaincre des propriétaires de procéder à des exterminations dans des immeubles entiers.
« Tous les propriétaires ont bien collaboré, sauf un », raconte l’organisatrice communautaire Mélanie Baril, du Comité logement de La Petite-Patrie. Celle-ci espère maintenant que plusieurs arrondissements s’inspireront de cette initiative afin d’agir plus efficacement dans les cas de logement insalubre. Ce projet pilote a d’ailleurs repris au printemps dernier dans Rosemont–La Petite-Patrie, après avoir fait relâche pendant trois ans en raison de la pandémie.
L’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM), quant à lui, fait état d’une baisse de 15,3 % des infestations de punaises de lit dans son vaste parc de logements sociaux qui lui ont été signalées en 2022 par rapport à l’année précédente. Une diminution que l’organisme attribue notamment au travail de ses agents d’intervention en salubrité, qui aident notamment les locataires à bien préparer leur logement avant l’arrivée des exterminateurs.
« Il y a beaucoup de travail qui se fait avec l’agent d’intervention pour que le locataire accepte d’ouvrir sa porte » et de laisser rentrer des exterminateurs dans son logement, poursuit Ingrid Dirickx, qui est chargée des communications à l’OMHM.
Un tabou à déconstruire
Selon le Code civil du Québec, les locataires doivent aviser leur propriétaire lorsqu’ils constatent la présence de punaises de lit dans leur logement. Le propriétaire est ensuite tenu de prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que le logement soit « en bon état d’habitabilité ».
Plusieurs villes de la province exigent ainsi que les propriétaires aient recours à des exterminateurs pour se débarrasser des punaises de lit. La Ville de Longueuil exige ensuite de consulter un rapport d’extermination complet, dont elle valide la crédibilité avant de fermer un dossier concernant des punaises de lit ouvert à la suite d’une plainte d’un citoyen. « Pour nous, ensuite, le dossier est fermé », ajoute le porte-parole administratif de la Ville, Louis-Pascal Cyr.
Ce modèle, basé sur les plaintes des citoyens, comporte toutefois des angles morts, plusieurs personnes préférant taire le fait qu’ils ont des punaises de lit dans leur logement.
« Un grand défi que nous avons, c’est vraiment le fait qu’il y a du monde qui gère ça comme un problème tabou. Donc il y a des locataires qui ne vont pas le dire au propriétaire, puis ils vont essayer d’acheter des canettes en vente libre et de faire ça eux-mêmes. Cependant, utiliser des produits en vente libre, ça ne va pas régler le problème, ça va juste le faire empirer de façon exponentielle », relève Sean-Michael Jourdain. Ces parasites se propagent alors rapidement dans d’autres logements, poursuit-il. « C’est vraiment un cercle vicieux. »
Un métier à encadrer
En parallèle, des associations tant de locataires que de propriétaires déplorent que le métier d’exterminateur ne soit pas suffisamment encadré au Québec. « Le problème, c’est que vous et moi, on peut mettre une annonce dans le journal et s’improviser experts en extermination, et il n’y a personne qui va nous encadrer », déplore le porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec, Marc-André Plante.
Or, « c’est provincial, l’encadrement du métier d’exterminateur. Et actuellement, c’est vraiment déficient », indique également Mélanie Baril.