Le programme Agir tôt agit «à moitié», dénonce une mère

« D'avoir le diagnostic d'un trouble sévère et de tomber à nouveau dans l'attente, c'est inhumain », raconte Joanie Méthot à propos de son fils de 4 ans, qui a besoin de services en orthophonie.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir « D'avoir le diagnostic d'un trouble sévère et de tomber à nouveau dans l'attente, c'est inhumain », raconte Joanie Méthot à propos de son fils de 4 ans, qui a besoin de services en orthophonie.

Joanie Méthot mène un parcours du combattant pour son fils de 4 ans. Atteint d’un trouble sévère du langage, Léon a attendu deux ans avant d’obtenir des services en orthophonie d’Agir tôt en Montérégie-Est. Il a eu droit à cinq séances d’intervention. « L’orthophoniste était excellente et c’était génial, dit sa mère. Mais les services ont cessé à la mi-janvier et on est à nouveau en attente. Pour moi, c’est “Agir à moitié”. »

En plus d’un sévère trouble du langage, Léon éprouve un retard moteur et présente des signes d’un possible trouble du spectre de l’autisme (TSA). Il est aussi atteint d’une légère surdité — il a fait huit otites consécutives.

Après lui avoir offert des séances en orthophonie et en physiothérapie, Agir tôt l’a dirigé vers le CISSS de la Montérégie-Ouest, l’établissement de santé responsable des services de réadaptation spécialisés (TSA, déficience intellectuelle et déficience physique) pour tout le territoire de la Montérégie.

Léon figure depuis avril sur une nouvelle liste d’attente. « J’ai reçu une lettre indiquant que ça pouvait prendre 365 jours avant de recevoir les services, se désole Joanie Méthot. D’avoir le diagnostic d’un trouble sévère et de tomber à nouveau dans l’attente, c’est inhumain. »

Joanie Méthot a inscrit Léon sur toutes les listes d’attente en orthophonie au privé dans l’espoir qu’il reçoive de l’aide. Son fils est déjà suivi en physiothérapie dans une clinique. La mère a contacté Le Devoir à la suite de notre enquête révélant des délais moyens d’attente en orthophonie d’au moins 10 mois dans une dizaine de régions.

La résidente de Longueuil lance un appel à son député, Lionel Carmant, ministre responsable des Services sociaux. « Je souhaite qu’on maintienne les services en orthophonie de Léon, le temps d’obtenir le suivi avec la nouvelle équipe. Même si nous ne pouvons pas avoir une fréquence d’une fois par semaine, une fois par mois serait mieux que 52 semaines sans rien. »

Joanie Méthot croit qu’« il faut agir maintenant ». « Moi, j’ai eu des enjeux d’apprentissage à l’école, la même chose pour mon conjoint, et on sait à quel point c’est important d’avoir les bons outils en place », souligne-t-elle.

Elle s’inquiète du passage de Léon dans un groupe d’enfants plus vieux (4 ans) en septembre dans son CPE. « Le langage s’est beaucoup amélioré, mais il reste difficile de le comprendre », indique-t-elle. Elle n’y arrive parfois pas elle-même. « Ça m’arrache le coeur… » Joanie Méthot craint que son garçon se retrouve isolé dans son coin, sans ami avec qui jouer.

Motion sur Agir tôt

Les délais d’attente en orthophonie à Agir tôt ont fait l’objet de discussions à l’Assemblée nationale mercredi. Le gouvernement caquiste s’est opposé à une motion présentée par le Parti libéral du Québec (PLQ) avec l’appui de Québec solidaire, du Parti québécois et de la députée indépendante Marie-Claude Nichols.

Cette motion prenait acte de la « hausse importante des délais » d’intervention en orthophonie par le biais d’Agir tôt, constatait que ces derniers « compromettent les objectifs du programme » et demandait au gouvernement « d’augmenter les ressources nécessaires à la réduction » de l’attente, « en plus d’assurer une uniformité de l’offre des services dans l’ensemble des régions du Québec, et ce, dans les meilleurs délais ».

Le gouvernement caquiste indique avoir proposé un « amendement » à cette motion. Selon le Parti libéral du Quénec, il s’agissait plutôt d’une « réécriture complète ».

Interpellé au sujet de la situation de Léon, le cabinet du ministre Lionel Carmant indique qu’il ne commente pas les cas précis. « Les CISSS et CIUSSS sont responsables de gérer leur offre de services sur leur territoire respectif », précise-t-on.

Des « balises »

Le CISSS de la Montérégie-Est reconnaît que le nombre de rencontres prévues en orthophonie avec un enfant fait l’objet de « balises », « notamment en prévision d’une rentrée scolaire ou en cas de référencement en centre de réadaptation ». « Ces balises orientent les décisions des professionnels, mais, ultimement, c’est le plan d’intervention établi par nos professionnels qui détermine le nombre de rencontres réalisées avec l’enfant », écrit-il dans un courriel.

Selon ce CISSS, l’attente de 365 jours pour des services spécialisés en réadaptation est le « délai maximum » pour une prise en charge. « Dans les faits, le délai réel d’attente est souvent moindre et le nombre de rencontres réalisées par notre équipe s’ajuste en fonction de celui-ci », ajoute-t-on. L’établissement affirme travailler « à rendre la transition entre les services le plus fluide possible ».

Le CISSS de la Montérégie-Ouest précise que le délai moyen d’accès à un premier service spécialisé chez les 0 à 6 ans est d’environ quatre mois en orthophonie et de deux à dix mois environ en physiothérapie et en ergothérapie. « En déficience intellectuelle et trouble du spectre de l’autisme, le délai moyen pour un premier service est d’environ quatre mois », écrit-on dans un courriel.

Joanie Méthot, elle, veut continuer « de se battre » pour que son fils ait accès à des services. Elle a l’intention d’envoyer une plainte à Lionel Carmant. « Je ne peux pas lâcher prise, parce que c’est pour mon fils. Je ne comprends pas pourquoi les délais sont aussi longs pour les enfants », dit-elle.

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