Deux ados coincés pendant des jours dans une urgence psychiatrique pour adultes

Faute de places dans le centre de pédopsychiatrie Sacré-Coeur de Québec, deux adolescents aux prises avec des pensées suicidaires ont passé une semaine à l’urgence psychiatrique du Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL). Leurs voisins de « chambre » ? Des adultes en crise, parfois menottés, à leur arrivée.
Les parents de ces jeunes, à qui Le Devoir a parlé, s’indignent que des enfants en détresse puissent subir un tel traitement.
La fille de Chantal, dont nous taisons le véritable nom afin de protéger son identité, est restée huit jours à l’urgence psychiatrique du CHUL en mai. L’adolescente de 14 ans ne pouvait pas être transférée au centre de pédopsychiatrie Sacré-Coeur du CIUSSS de la capitale nationale, car aucun lit n’y était disponible.
« Deux jours, je n’en aurais pas fait de cas. Mais là, au huitième jour, c’était trop. Ça n’a aucun sens de laisser des enfants qui ne vont déjà pas bien dans une situation comme ça », dit sa mère.
La fille de Chantal prend de la médication pour un trouble d’anxiété et voit une psychologue depuis environ six mois. C’était la première fois qu’elle se retrouvait dans une urgence psychiatrique en raison de pensées suicidaires. Au CHUL, cette unité accueille des adultes et des adolescents âgés de 14 ans et plus. « On s’entend, ce sont des adultes avec de graves problèmes psychologiques, comme des schizophrènes. Il y a des gens qui arrivent menottés », précise la mère.
Chantal a bien tenté de faire sortir sa fille de cette petite unité fermée sans fenêtres et dont les lits et les civières sont séparés par des rideaux. « J’ai dit : “Je peux-tu l’amener au moins à la cafétéria, au moins sortir d’ici, voir une fenêtre ? Ça fait huit jours qu’elle peut marcher pendant 30 secondes [pour] faire le tour de l’unité.” » Impossible, lui a répondu le personnel.
Chantal s’est adressée au commissaire aux plaintes du CIUSSS de la capitale nationale ; l’établissement de santé gère les services psychiatriques du CHUL. Elle a aussi contacté son député. Elle dit « comprendre mal pourquoi aucun plan de contingence » n’a été mis en place pour transférer plus rapidement les jeunes au centre de pédopsychiatrie Sacré-Coeur. Après huit jours à l’urgence psychiatrique, sa fille a finalement obtenu une place là-bas.
Près de 170 heures à l’urgence psychiatrique
« Ça a pris 169 heures 50 minutes. » Pascal, dont nous taisons aussi le véritable nom afin de protéger l’identité de son enfant, a calculé à la minute près la durée du séjour de son fils de 17 ans à l’urgence psychiatrique du CHUL. Son garçon, qui avait des pensées suicidaires, y est demeuré sept jours.
« On était pas mal toujours avec lui, dit le père. Plus les journées avançaient, plus son état dépérissait. Être enfermé à longueur de journée, c’est pas super. »
Pour Pascal, mélanger des adultes et des adolescents dans une urgence psychiatrique est inconcevable. Pendant le séjour de son fils, jusqu’à huit adolescents se trouvaient en même temps dans l’unité. « Il y a des choses qu’on voit là-bas, qu’en principe, un ado de cet âge-là ne devrait pas voir, dit-il. C’est le fait aussi de ne même pas voir la lumière extérieure. »
Comme Chantal, Pascal a porté plainte au commissaire aux plaintes du CIUSSS de la capitale nationale et a appelé son député. Il témoigne dans Le Devoir afin que cette situation ne se reproduise plus.
Interpellé à ce sujet, le CIUSSS indique que la durée moyenne de séjour de la clientèle jeunesse à l’urgence psychiatrique du CHUL est d’environ 20 heures. Selon l’établissement de santé, le mois de mai est « souvent un mois plus achalandé, avec la fin de l’année scolaire ». « La semaine dernière, nous avons vécu une situation exceptionnelle », écrit-on dans un courriel.
Entre les 1er et 11 mai, 55 jeunes se sont présentés à l’urgence psychiatrique du CHUL, selon l’établissement. « Deux adolescents ont dû demeurer à l’urgence environ six jours et demi pour y recevoir des soins et assurer leur sécurité, puisque les lits au centre de pédopsychiatrie Sacré-Coeur étaient tous occupés, précise-t-on. L’équipe médicale et de soins en psychiatrie a pris la décision de les garder à l’urgence, les risques d’un retour à la maison étant trop grands. »
Selon le CIUSSS, aucun jeune n’était à l’urgence psychiatrique en attente d’un transfert vers Sacré-Coeur mardi après-midi. L’établissement de santé assure que les équipes de l’urgence psychiatrique et du centre Sacré-Coeur évaluent « quotidiennement » l’état et le dossier des patients afin de déterminer s’ils peuvent « retourner de façon sécuritaire » à la maison et, ainsi, libérer des lits. Des jeunes sont aussi adressés à des cliniques externes pour éviter le recours à l’urgence.