Des pharmaciens versent des millions de dollars pour obtenir des patients
Pour mettre la main sur des milliers de clients qui consomment d’onéreux médicaments de spécialité, deux pharmaciens de Laval ont versé des millions de dollars à Innomar, un important gestionnaire de programmes de soutien aux patients (PSP). Financés par des géants de l’industrie pharmaceutique, ces programmes clés en main évoluent en marge des réseaux de santé publics et offrent un service d’accompagnement des patients tout au long de leur thérapie. Cette pratique des pharmaciens pour acquérir cette clientèle lucrative contrevient à leur code de déontologie.
Daniel Vermette et Marc Chabot sont copropriétaires d’une pharmacie de médicaments de spécialité située sur le boulevard Curé-Labelle, à Laval. M. Vermette détient également une pharmacie, à Québec, avec son autre associé, Jérôme Bergeron.
En avril 2022, les trois pharmaciens ont plaidé coupable devant l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) pour avoir « obtenu » des patients d’Innomar, un important grossiste en médicaments et gestionnaire de programmes de soutien aux patients (PSP). Cette pratique contrevient au code de déontologie des pharmaciens, qui leur interdit formellement « d’obtenir de la clientèle par l’entremise d’un intermédiaire ».
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Des pharmaciens québécois condamnés par leur ordrePour leur part, les pharmaciens Vermette et Chabot ont aussi plaidé coupable d’avoir versé en contrepartie à Innomar un pourcentage des revenus générés par la clientèle obtenue. Ils ont « illégalement partagé [leurs] honoraires avec un tiers non-pharmacien », lit-on dans une décision du Conseil de discipline de l’Ordre.
L’enquête du syndic de l’OPQ s’est échelonnée sur dix ans. Elle a démontré qu’à partir de décembre 2012, en vertu d’une entente, « Innomar dirige les patients inscrits aux différents PSP qu’elle gère vers les deux pharmacies, en échange d’honoraires représentant [environ 2,5 %] du volume brut des ventes des médicaments ».
Une entente rentable. Entre 12 900 et 17 400 patients participant à un PSP faisaient affaire avec les pharmacies de Laval et de Québec, selon l’enquête de l’OPQ. Les pharmaciens payaient « entre 500 000 $ et 600 000 $ par mois » à une entreprise appartenant à Daniel Vermette lui-même, qui, à son tour, transférait cette somme à Innomar. Plusieurs millions de dollars ont ainsi été payés à Innomar depuis 2012.
En vertu de cette entente, Innomar envoyait aux pharmacies un courriel sécurisé contenant les informations des patients nouvellement inscrits à ses PSP par des médecins spécialistes : noms, médicaments prescrits et moyens pour les contacter. Et cela, sans le consentement préalable des patients, est-il indiqué dans la décision : « Il revient alors aux pharmacies de Laval ou de Québec de contacter le patient afin d’obtenir ses coordonnées et son consentement pour ensuite exécuter l’ordonnance. »
Vingt demandes d’enquête provenant soit de pharmaciens communautaires soit de patients insatisfaits d’avoir été contactés et servis par l’une des deux pharmacies pour leurs doses gratuites ont été déposées à l’OPQ au fil des ans.
« Pour avoir accès au médicament inclus dans un PSP, le patient est enrôlé dans un programme qui intègre les pharmacies que le grossiste choisit sans l’intervention du patient. Les patients deviennent ainsi captifs du PSP », est-il décrit dans la décision du Conseil de discipline de l’OPQ.
Les pharmaciens Jérôme Bergeron, Marc Chabot et Daniel Vermette ont respectivement été condamnés à payer des amendes de 30 000 $, 133 000 $ et 140 500 $.
Au-delà de cette entente, les pharmaciens Daniel Vermette et Marc Chabot entretiennent d’autres relations d’affaires avec Innomar, a constaté Le Devoir. Par l’entremise des sociétés immobilières qui leur appartiennent, les deux pharmaciens louent des espaces commerciaux à des cliniques de perfusion Innomar, l’une à Laval, l’autre à Sainte-Foy selon le registre foncier.
Lors de son témoignage auprès du Conseil de discipline, le syndic de l’OPQ, Bernard Deshaies, n’a pas caché avoir « certaines inquiétudes » quant aux risques de récidives des pharmaciens : « À ma connaissance, les trois pharmaciens sont toujours propriétaires et, à ce jour, je n’ai pas été informé de modifications ou de grands changements dans leur relation d’affaires avec Innomar. À ma connaissance, ils semblent toujours avoir des relations d’affaires avec Innomar », déclare-t-il.
À ma connaissance, les trois pharmaciens sont toujours propriétaires et, à ce jour, je n’ai pas été informé de modifications ou de grands changements dans leur relation d’affaires avec Innomar.
Innomar continue de présenter sur son site Internet les pharmacies de Laval et Québec comme les seules pharmacies québécoises auxquelles elle est associée. Ni les pharmaciens ni Innomar n’ont répondu aux nombreuses demandes d’entrevues du Devoir.