Les dangers du cannabis... et de ses analogues synthétiques

Plusieurs études ont montré que la consommation de cannabis peut induire le développement d’épisodes psychotiques chez les adolescents et qu’elle est associée à un plus grand risque de souffrir d’un trouble psychotique à l’âge adulte. Commencer sa consommation à un âge précoce, soit avant l’âge de 16 ans, serait également un facteur de risque important.
Partant de ces prémisses, l’Équipe canadienne de recherche sur le cannabis et la psychose s’est penchée sur les aspects génétiques, neurodéveloppementaux, cliniques et comportementaux du lien entre la consommation de cannabis et le développement de la psychose dans le but de proposer des interventions qui permettraient de prévenir cette pathologie. Dans le cadre du Congrès de l’Acfas, qui avait lieu cette semaine, la doctorante Roxane Assaf a présenté les résultats préliminaires obtenus jusqu’à maintenant.
Ce texte est publié via notre section Perspectives.
Une première étude menée par ce groupe de chercheurs de différentes institutions canadiennes a consisté à calculer le « score de risque polygénique », c’est-à-dire la prédisposition génétique à la psychose, d’une grande cohorte d’adolescents. Les chercheurs ont alors observé que les adolescents ayant un score élevé étaient plus susceptibles de consommer du cannabis et de développer des épisodes psychotiques.
Une autre étude a permis de constater un amincissement du cortex cérébral chez les garçons ayant fumé du cannabis pendant la dernière année. On a également remarqué que les adolescents qui deviendront de futurs consommateurs présentaient un cortex plus épais, ce qui laisse croire qu’« il pourrait exister des prédispositions structurelles à la consommation », a indiqué Roxane Assaf, qui est étudiante au doctorat de sciences biomédicales en psychiatrie au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal.
Dans une autre grande étude rassemblant plus de 3800 jeunes, qui ont été suivis annuellement de l’âge de 13 à 17 ans, on a notamment recueilli des données sur les possibles symptômes prépsychotiques qu’ils expérimentaient : « On leur a demandé s’ils entendaient parfois des voix, s’il leur arrivait de voir quelque chose qui n’était pas là, ou s’ils avaient l’impression parfois que quelqu’un les suivait. » Les chercheurs ont observé qu’environ 8 % de ces adolescents suivaient une trajectoire croissante, dans le sens où ils présentaient un niveau de symptômes psychotiques modéré qui augmentait dans le temps.
Ces mêmes jeunes ont ensuite participé à des tests neurocognitifs, ainsi qu’à une séance de neuro-imagerie structurelle et fonctionnelle. Ces examens ont permis de voir des altérations dans des régions du cerveau qui interviennent dans le traitement des émotions, ainsi que dans une zone impliquée dans la différenciation entre soi-même et autrui. Or, ces changements étaient très similaires à ceux qu’on retrouve aussi chez des individus atteints de schizophrénie.
« Cela ne veut pas dire que toutes les personnes sur cette trajectoire de risque croissant vont développer la schizophrénie, mais elles sont plus à risque », a spécifié Mme Assaf tout en indiquant qu’on vérifiera si la consommation de cannabis affecte davantage ces individus étant donné leur prédisposition.
Sommeil et anxiété
Dans une autre étude encore, l’anxiété a été identifiée comme un possible médiateur de la relation entre la fréquence de la consommation de cannabis et le développement d’épisodes psychotiques chez les filles. Les consommatrices rapportaient plus d’anxiété, et cette association avec l’anxiété semblait mener plus souvent à des épisodes psychotiques, a rapporté Mme Assaf. « Mais ce ne sont que des associations que nous avons observées », prévient-elle.
Dans une étude longitudinale qui s’est poursuivie sur cinq ans, on a pu démontrer que le sommeil joue aussi un rôle de médiateur. Les chercheurs ont relevé que plus les personnes consomment de cannabis, plus elles éprouvent des problèmes de sommeil l’année d’après, et plus elles rapportent d’expériences psychotiques.
Ces observations « suggèrent que le sommeil et l’anxiété pourraient être des cibles d’intervention pour prévenir le développement de la psychose chez les personnes qui consomment », a indiqué la doctorante.
Le groupe de chercheurs projette d’examiner l’activité synaptique, c’est-à-dire la façon dont les neurones du cerveau communiquent entre eux, chez de jeunes consommateurs de cannabis.
Plusieurs centres, dont l’Université de Montréal, recrutent des étudiants universitaires dont on documentera la consommation de cannabis et d’autres substances, ainsi que différents traits, comme l’anxiété, la dépression. Certains d’entre eux seront ensuite invités à participer à des interventions cognitivo-comportementales précoces visant leur consommation de substances ou ayant pour but de prévenir le développement de troubles psychotiques chez ceux qui ont un risque plus élevé. Puis, dans le futur, ces individus subiront des examens de neuro-imagerie pour évaluer l’effet de ces interventions sur le cerveau.
Les effets des cannabinoïdes synthétiques
Les cannabinoïdes synthétiques (CS) sont de plus en plus souvent présents dans les saisies de drogues à travers le monde. Ils sont devenus un véritable problème de santé publique en Europe et aux États-Unis, car ils ont un effet beaucoup plus puissant que celui du cannabis. Dans le cadre du Congrès de l’Acfas, deux étudiantes de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) ont dressé un portrait de ces substances psychoactives qui font de plus en plus de victimes au Canada.
Contrairement aux phytocannabinoïdes, tels que le tétrahydrocannabinol (THC), qui sont issus de plantes comme le cannabis, les cannabinoïdes synthétiques sont fabriqués en laboratoire par synthèse chimique. C’est d’abord l’industrie pharmaceutique qui s’est appliquée à synthétiser une molécule ayant la même activité biochimique que le THC, mais sans ses effets indésirables. « Le nabilone est un exemple de cannabinoïde synthétique qui est utilisé dans le milieu médical pour traiter des patients en chimiothérapie », a donné en exemple Audrey-Anne Matte, étudiante au 1er cycle universitaire en science forensique à l’UQTR.

Cet usage médical a vraisemblablement rendu ces substances plus accessibles pour ceux qui veulent en faire un usage récréatif, a fait remarquer sa collègue Mérédith Chayer.
Les CS sont généralement vendus sous forme d’un mélange d’herbes à fumer et sont commercialisés sous des noms communs, tels que Spice ou K2. Ils sont souvent vaporisés sur des feuilles de cannabis ou sur un mélange d’herbes séchées.
Tout comme les ingrédients du cannabis, les CS agissent sur les récepteurs cannabinoïdes qui sont présents dans l’ensemble de l’organisme. Ils sont toutefois beaucoup plus puissants que le cannabis, et donc plus dangereux. « Ils induisent une activation complète des récepteurs cannabinoïdes du système nerveux, tandis que le THC les active seulement partiellement. Consommés en combinaison avec la marijuana, les CS vont accroître l’effet de celle-ci, et vont donc accentuer l’effet recherché », précise Mme Matte.
Cette combinaison peut toutefois causer divers problèmes de santé, et parfois la mort, souligne-t-elle. « La liste des effets [possibles qui ont été recensés] est longue : crise d’épilepsie, convulsions, délire, hallucinations, psychose, tachycardie, accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde, etc. Ils varient en fonction de la dose et de la concentration qui a été ingérée, ainsi que de la prédisposition de la personne. »
Comme de nouveaux analogues ayant des structures chimiques différentes apparaissent chaque année, il devient difficile de prédire les propriétés toxicologiques et pharmacologiques de ces nouveaux composés, ajoute-t-elle.
Selon les données consultées par les deux étudiantes, les CS ne semblent pas représenter ici, pour le moment, un problème aussi grave que chez nos voisins du Sud. « Mais il faut rappeler qu’on ne cherche pas activement ce type de drogue au Canada », souligne Mme Chayer.
Pour réduire l’impact de ces molécules sur notre population, les deux étudiantes proposent qu’on procède à des analyses de détection des CS lorsqu’il y a saisie de matériel végétal séché ou d’accessoires de consommation. Elles recommandent aussi d’effectuer un dépistage de CS dans les tissus biologiques (sang, urine) lors d’arrestations pour conduite avec les facultés affaiblies, par exemple, pour savoir s’il y a eu consommation de CS.