Où sont les psychologues au Québec?
Devant des besoins grandissants en santé mentale, des psychologues en région sont à bout de ressources pour répondre aux appels à l’aide. À l’échelle du Québec, plus de 200 municipalités comptent moins de 1 point de service pour 1000 habitants et quelque 800 d’entre elles n’en ont tout simplement aucun, révèle une analyse du Devoir. Et c’est l’accessibilité à un soin de santé pourtant essentiel qui en prend un coup.
« Il y a vraiment beaucoup de besoins » dans le « Haut-du-Lac », constate Laura Nadeau, une psychologue récemment installée à Dolbeau-Mistassini, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. On ne trouve que neuf bureaux de psychologues dans les deux grandes villes du secteur, Dolbeau-Mistassini et Saint-Félicien, selon les données de l’Ordre des psychologues du Québec. Elle reçoit « trois ou quatre demandes de suivi par semaine » depuis qu’elle a posé ses valises au pays des bleuets, en juillet 2022, mais ne peut accueillir qu’une vingtaine de patients par semaine. « Ce n’est vraiment pas possible de répondre à toutes ces demandes-là », souligne-t-elle.
Résultat : la détresse s’accumule et les problèmes se « chronicisent », déplore-t-elle. « Ce à quoi on assiste, c’est que ça se transmet de génération en génération, dit-elle. Quelqu’un qui a de la difficulté à réguler ses émotions, ça devient difficile de montrer à ses enfants comment réguler leurs émotions. On voit que ça perdure. »
Les données de localisation des membres de l’Ordre des psychologues du Québec analysées par Le Devoir révèlent que seulement 120 municipalités, soit seulement une sur dix à travers la province, comptent plus d’un bureau de psychologue pour 1000 habitants. Par exemple, à Saint-Félicien, on ne compte que 3 bureaux de psychologues pour 10 000 habitants, et à Dolbeau-Mistassini, ils ne sont que 6 pour 14 000 résidents.
Selon Réjean Simard, qui pratique à Saint-Prime, à quelques minutes de Saint-Félicien, il n’est pas rare que des patients doivent se rendre à Alma, à Saguenay ou même à Québec, à trois heures de route de là, pour obtenir un suivi rapide. « Le besoin est criant », lance-t-il sans détour. Et le besoin risque de s’accentuer au cours des prochaines années.
Selon M. Simard, qui a déjà été représentant de l’Ordre des psychologues dans le secteur, plusieurs professionnels partent à la retraite, ce qui accélère le phénomène de pénurie. « Moi, je pense aussi qu’à un moment donné, je vais la prendre. Donc je travaille un peu moins », illustre-t-il.
« La pénurie nous oblige à travailler différemment », admet Réjean Simard, qui estime que la télépratique est venue poser un pansement sur un problème de longue date. Depuis ses bureaux de Saint-Prime, le psychologue jeannois peut effectuer des consultations avec des gens d’ailleurs — quand il a de la place. « Mais c’est sûr que ce n’est pas l’idéal. L’idéal, c’est que la personne vienne dans le bureau », affirme-t-il.
Le réseau public peine lui aussi à suivre la cadence : on compte plusieurs postes de psychologues vacants dans la région, notamment à Dolbeau, Alma et Roberval. « Il y a une bonne volonté du gouvernement, qui ouvre plusieurs postes dans le réseau, mais il y en a qui restent vacants pendant des années », déplore Karine Gauthier, présidente de la Coalition des psychologues du réseau public québécois. La solution réside à son avis dans de meilleures conditions de travail, et possiblement dans l’ajout d’une prime pour les postes en région éloignée.
Vers d’autres villes
La situation est tout aussi problématique dans le Bas-Saint-Laurent. À Matane, on ne compte que 4 bureaux de psychologues pour 14 000 habitants, dont seulement un qui exerce au privé. À Amqui, une ville voisine, ils ne sont que 3 pour les quelque 6000 résidents. La petite municipalité a été ébranlée par un drame, en mars dernier, lorsqu’un conducteur a foncé sur des piétons, tuant trois d’entre eux et traumatisant au passage des centaines de résidents.
« Dans le ressenti, c’était très lourd comme ambiance », se remémore la seule psychologue qui exerce au privé à Amqui, Amélie Painchaud. Le drame a été un « élément déclencheur pour plus d’anxiété » dans sa ville, explique-t-elle. Pourtant, l’offre de services n’a pas augmenté. Malgré le soutien de certains professionnels issus d’autres disciplines, il lui arrive de devoir diriger des clients vers d’autres villes. « On a besoin de renforts », affirme la psychologue amquienne.
En date du 1er avril 2023, plus de 20 000 personnes sont toujours en attente d’un service en santé mentale, selon le tableau de bord du ministère de la Santé. Appelé à réagir aux données du Devoir, le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a tenu à réitérer que c’est en misant sur une « approche interdisciplinaire » que le Québec réglerait la crise de santé mentale qui le gangrène.
« Si parfois la situation d’une personne nécessite les services d’un psychologue ou d’un psychiatre, dans d’autres cas, la prise en charge par un psychoéducateur, un travailleur social, un ergothérapeute ou un autre professionnel en santé mentale s’avère la solution appropriée », a affirmé son cabinet dans une déclaration écrite. L’ajout de services de proximité dans les CLSC fait également partie de la solution, a-t-il précisé.
Des psychologues pourraient prêter main-forte dans les régions
Des psychologues des grands centres pourraient-ils être dépêchés en région chaque mois pour pallier le manque de main-d’oeuvre observé aux quatre coins du Québec ? L’Ordre des psychologues du Québec ouvre la porte à cette possibilité. C’est ce qu’a indiqué sa présidente, Christine Grou, au Devoir lors d’un entretien effectué dans le cadre de la Semaine nationale de la santé mentale.
« On n’a pas encore de système où, par exemple, on fait venir un psychologue dans une région une semaine par mois. Cela pourrait se faire s’il y avait une volonté », a-t-elle constaté après avoir été interrogée sur la pénurie de services dans certaines régions éloignées. « Nous, on est ouverts à tout ce qui peut améliorer l’accès aux services », a-t-elle précisé.
C’est le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, qui aurait le pouvoir d’imposer ce type de mesures. « L’effort de tous les professionnels en santé mentale est requis si l’on veut améliorer l’accessibilité des soins et services. Toute proposition constructive et innovante en ce sens sera considérée », a indiqué son cabinet dans une déclaration écrite, vendredi.
Interrogée sur la possibilité que des professionnels s’opposent à la mise sur pied d’un tel système, la Dre Grou a soutenu que « sur les quelque 9000 psychologues, il y en aurait certainement qui lèveraient la main ». Une éventualité à laquelle la présidente de la Coalition des psychologues du réseau public québécois ne croit pas. « Même si on donne des primes aux psychologues du privé pour qu’ils aillent en région, cela ne fonctionnerait pas parce qu’ils peuvent augmenter leurs tarifs comme ils le veulent », a réagi Karine Gauthier. Christine Grou concède par ailleurs que cette solution ne serait pas parfaite, puisque la pénurie de professionnels touche l’ensemble du Québec. Un psychologue qui va pratiquer ailleurs devra nécessairement délaisser certains patients dans son secteur. « L’enjeu qu’on a actuellement, c’est qu’il ne faut pas nécessairement déshabiller Pierre pour habiller Paul, parce que les cabinets sont assez pleins actuellement », a-t-elle dit.
Méthodologie
Le Devoir a obtenu les 11 276 codes postaux des bureaux où exercent 7857 psychologues des milieux publics et privés membres de l’Ordre des psychologues du Québec. La différence d’un millier de membres avec le nombre actuellement inscrits (9200) tient aux 820 membres à la retraite et aux 305 membres qui n’ont pas souhaité divulguer leur localisation.
Puisque plusieurs psychologues ont des pratiques hybrides (par exemple, un psychologue qui oeuvre dans un hôpital et offre ses services au privé de chez lui), le nombre de lieux de pratique est plus élevé que le nombre de psychologues. Aussi, certains employeurs ont plusieurs lieux de prestation de services, mais le psychologue pourrait avoir indiqué uniquement le lieu du siège social (par exemple, un psychologue qui travaille dans trois écoles).
Parmi les codes postaux obtenus par Le Devoir, 29 étaient inexistants et 205 étaient situés hors Québec. Ils ont été retirés de cette analyse.