« On en sait trop peu » sur les violences obstétricales, gynécologiques et reproductives
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial 90e Congrès de l’Acfas
Alors que le Québec dispose encore de peu de données concernant ces violences, le colloque intitulé Perspectives interdisciplinaires sur les violences obstétricales, gynécologiques et reproductives : de la conscientisation à l’action ! se penchera sur la question lors du prochain congrès de l’Acfas.
L’événement réunira des étudiants, des militants et des chercheurs d’un peu partout dans le monde. Les projets à l’ordre du jour aborderont les thèmes des violences reproductives commises à l’intérieur même d’unions. La question des violences commises au sein du système de santé par le personnel soignant sera également discutée. « C’est vraiment un assez grand éventail de comportements et d’actions qui vont être réfléchis lors du congrès », explique Sylvie Lévesque, professeure au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Gestes non consentis, manque d’écoute, commentaires grossophobes… plusieurs expériences négatives peuvent être vécues par les patientes lorsqu’elles reçoivent des soins de santé. « Par exemple, une femme qui sait qu’elle ne veut pas avoir d’enfant et qui consulte un médecin pour avoir une contraception irréversible, comme une ligature des trompes. On lui répète qu’elle va changer d’idée, qu’elle n’a pas encore rencontré la bonne personne avec qui fonder une famille », rapporte Mme Lévesque. Ainsi, cette patiente doit souvent se tourner vers une autre forme de contraception qui n’est pas infaillible. « On juge qu’elle ne sait pas ce qui est le mieux pour elle », ajoute celle qui est également coresponsable du colloque.
Certaines femmes se font palper sans qu’on leur explique de quoi il est question. « C’est quand même des gestes intimes. Quand on va voir un médecin pour un examen gynécologique, ce n’est pas ton coude que tu montres », souligne Mme Lévesque.
De tels incidents surviennent également lors d’un accouchement. Certaines patientes subissent notamment une épisiotomie sans leur consentement. Cette procédure consiste en une incision du périnée pour simplifier l’expulsion du bébé. « C’est plus facile à recoudre qu’une déchirure, sauf que c’est quand même une intervention qui n’est pas nécessaire dans plusieurs cas. Dans certains cas, ça peut être recommandé, dans d’autres, ça ne l’est pas », illustre la chercheuse.
Les femmes autochtones du Québec ont d’ailleurs fait l’objet d’une étude de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). En novembre dernier, Suzy Basile, professeure à l’École d’études autochtones de l’établissement, a publié le rapport Consentement libre et éclairé et les stérilisations imposées de femmes des Premières Nations et Inuit au Québec.
Après avoir recueilli 35 témoignages de patientes autochtones ayant subi des violences obstétricales ou une stérilisation forcée, elle présentera les résultats de son rapport dans le cadre du congrès de l’Acfas.
Ces femmes ont été victimes de préjugés qui les précèdent avant même d’être admises dans un centre hospitalier, explique Mme Basile. « Elles sont souvent étiquetées comme des patientes problématiques en partant. Évidemment, elles “consomment toutes de l’alcool et de la drogue”, donc on les traite comme tel, ironise la professeure. Et on va aussi assumer le fait qu’elles ont trop d’enfants et prendre des décisions pour elles en ce sens ou les inciter fortement à accepter une ligature. » Certaines femmes auraient également reçu des menaces de se faire retirer la garde de leurs autres enfants si elles refusaient une stérilisation.
Un manque de données au Québec
L’étude menée par Mme Basile conclut que 63 % des participantes se sont fait proposer une ligature des trompes comme méthode de contraception, peu importe leur âge ou le nombre d’enfants qu’elles avaient. La majorité des femmes qui ont été stérilisées étaient âgées de 17 à 33 ans. Or, la période la plus favorable pour concevoir un enfant est entre 20 et 35 ans.
Il n’y a toutefois pas encore d’études comparatives entre le nombre de femmes autochtones, racisées et blanches qui ont subi de telles formes d’abus. « Au Québec, on a longtemps nié que ça existait, les violences obstétricales. Jusqu’à tout récemment, les femmes se faisaient dire : “Arrêtez d’exagérer, ça n’existe pas” », souligne la chercheuse.
Sylvie Lévesque abonde en ce sens. « On en sait trop peu et, surtout, on ne collectivise pas. Ça demeure de l’anecdotique. On n’a pas d’observatoire sur ces réalités. Donc on ne sait pas tant que ça de quoi on parle, finalement », dit-elle.
En comparaison avec d’autres pays du monde qui se sont dotés de lois contre les violences obstétricales, « on est en retard », dit-elle. « Au Québec, on n’a même pas encore d’état des lieux », résume-t-elle. Son équipe lancera d’ailleurs une recherche sur le sujet en juin prochain pour recueillir les expériences de femmes québécoises ayant reçu des soins de santé dans la province.
La professeure souligne que de telles études ont déjà été menées dans plusieurs pays en Amérique du Sud et en Europe. En France, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a publié un rapport sur la question en 2018. « Ça ne veut pas dire que leurs soins sont actuellement mieux. Mais au moins, ils ont engagé une réflexion sur le sujet », souligne Mme Lévesque.
Une meilleure éducation
Selon Suzy Basile, il y a encore « beaucoup à faire pour que les femmes autochtones, racisées et québécoises trouvent leur compte et soient pleinement respectées dans leurs droits fondamentaux ».
En ce qui a trait aux femmes des Premières Nations et inuites, améliorer les choses passe avant tout par l’éducation sur les notions de consentement et de colonialisme, croit-elle. « Il faut que les gens des différents corps de métier en santé comprennent d’où ces patientes arrivent, avec une longue série de traumatismes qui sont transmissibles d’une génération à l’autre », fait-elle valoir.
Mme Basile cite l’exemple des femmes d’aujourd’hui qui ont vécu l’expérience des pensionnats, qui ont été stérilisées contre leur gré, ou encore, qui ont vu certains de leurs enfants disparaître dans le réseau de la santé québécois. Elle plaide également pour des règles plus strictes en matière de déontologie et pour des conséquences plus sévères s’il y a un manquement. « Parce que, pour l’instant, il n’y a rien. »
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