À l’hôpital Charles-Le Moyne le jour, à la maison la nuit

Une infirmière prend les signes vitaux de Danielle Daigle, qui souffre du syndrome de la personne raide. Elle se rend à l'unité de médecine académique ambulatoire toutes les trois semaines pour recevoir son traitement.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Une infirmière prend les signes vitaux de Danielle Daigle, qui souffre du syndrome de la personne raide. Elle se rend à l'unité de médecine académique ambulatoire toutes les trois semaines pour recevoir son traitement.

Danielle Daigle souffre, comme Céline Dion, du syndrome de la personne raide, une maladie neurologique très rare qui atteint les muscles. Toutes les trois semaines, elle reçoit, pendant quelques heures, des immunoglobulines par intraveineuse à l’unité de médecine académique ambulatoire de l’hôpital Charles-Le Moyne, à Longueuil. Elle retourne chez elle après son traitement. « Grâce à ça, je n’ai pratiquement plus de spasmes, dit, lors de sa perfusion, la femme de 59 ans assise dans un fauteuil inclinable. La raideur est moins pire. »

Danielle Daigle se déplace avec une canne ou un déambulateur en raison de sa maladie. Malgré ses nombreuses chutes, elle n’a jamais été hospitalisée. Examen physique, prises de sang, tomodensitométrie, électromyogramme : tous les tests menant au diagnostic — tombé en décembre — ont été réalisés à l’unité de médecine académique ambulatoire.

Au Québec, Charles-Le Moyne fait figure de modèle en matière de soins ambulatoires (des services dits externes qui ne requièrent pas d’hospitalisation). Dès cette semaine, une équipe du centre hospitalier entreprend une « tournée » virtuelle de 14 établissements afin de partager son expérience lors de conférences. Québec souhaite que Charles-Le Moyne inspire d’autres hôpitaux. Le ministère de la Santé veut éviter des séjours à l’urgence ou aux étages. Les lits sont comptés avec le rattrapage des interventions chirurgicales.

La médecine ambulatoire (ou « hôpital de jour ») existe depuis une vingtaine d’années à Longueuil. Une nouvelle unité a toutefois été inaugurée à la fin décembre. Moderne et lumineuse, la salle de traitement compte 21 civières et fauteuils, chacun installé dans un grand espace délimité par des rideaux bleus. Lors du passage du Devoir, plusieurs patients s’y trouvaient pour quelques heures.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir L’hôpital Charles-Le Moyne a mis en place une unité de médecine ambulatoire qui permet aux patients de retourner chez eux le jour même.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir  Dre Chantal Vallée lors du passage du « Devoir » à l'hôpital Charles-Le Moyne

Ouverte 7 jours sur 7, entre 7 h et 23 h, l’unité accueille quotidiennement une soixantaine de personnes. « On a eu des pointes cet hiver qui atteignaient 95 à 105 patients en une journée », dit la Dre Chantal Vallée, cheffe de département en médecine spécialisée. Selon le CISSS de la Montérégie-Centre, près de 14 000 personnes ont été vues dans l’unité entre le 1er avril 2021 et le 24 février 2023.

Tout sur le même palier

Autrefois aménagée dans d’anciennes chambres au sixième étage, la nouvelle unité de médecine académique ambulatoire se situe au rez-de-chaussée, à deux pas des cliniques externes de spécialités, comme la gériatrie, la rhumatologie et l’endocrinologie. « C’est vraiment le royaume de la médecine spécialisée ambulatoire », dit, en marchant, la p.-d.g. adjointe du CISSS de la Montérégie-Centre, Lise Pouliot, qui fait visiter les lieux au Devoir.

Les patients s’y retrouvent facilement. Fini le « monte-descend » en ascenseur pour faire des tests en radiologie : l’unité se trouve sur le même palier que l’imagerie médicale. « Ça contribue à assurer une meilleure fluidité », observe Lise Pouliot.

Pour être efficace, l’unité de médecine académique ambulatoire tente d’arrimer le mieux possible ses services à ceux des autres unités. « Quand j’inscris un patient ambulatoire, il faut que l’examen de radiologie, le scan des poumons ou le scan de l’abdomen que je demande soit priorisé comme si le patient était à la salle d’urgence, explique la Dre Vallée. On n’envoie pas le patient à l’urgence, mais on ne veut pas qu’il attende trois semaines pour être capable d’avoir ses examens. Sinon, je vais le faire admettre [à l’hôpital]. »

Grâce à cette approche, des « investigations intensives » peuvent être menées dans cette unité, selon Chantal Boucher, directrice des soins infirmiers au CISSS de la Montérégie-Centre. « Avant, les gens qui rentraient pour un risque de cancer, on les gardait [à l’hôpital] et on investiguait, dit-elle. On peut tout faire ça en externe si c’est sécuritaire pour le patient, d’aller dormir chez lui. »

La Dre Vallée donne en exemple le cas d’une dame de 70 ans qu’elle a vue dernièrement à l’unité. Son taux de calcium dans le sang était élevé. « Elle avait plusieurs comorbidités et sa médecin de famille était très inquiète, raconte la spécialiste en médecine interne. Je lui ai dit : “Ne l’envoie pas à l’urgence, je vais la voir.” On s’est organisés avec les infirmières de l’unité et on a prévu des examens et des prises de sang le lendemain matin pour que, quand je passerais la voir en après-midi, j’aie tous les résultats. » La patiente n’a finalement pas été hospitalisée. « À l’urgence, elle aurait attendu 12 heures », estime la Dre Vallée.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Dre Chantal Vallée (au centre) parle avec les infirmières dans l'îlot central.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Des infirmières au centre hospitalier Charles-Le Moyne

En plus de contribuer à désengorger les urgences, ces services sont bénéfiques pour les patients, souligne Chantal Boucher. Elle rappelle que des gestes aussi simples que de répondre au téléphone à domicile permettent aux gens de bouger et de conserver leur mobilité. « Juste venir [à l’unité] et retourner à la maison, ça te mobilise, indique-t-elle. Veut veut pas, les patients bougent moins à l’étage. Ils peuvent rester dans leur lit. Ça a des impacts sur la récupération. »

Changement de culture

La mise en place d’une telle unité implique des « changements de pratique » chez les médecins, d’après la Dre Vallée. « L’hôpital, c’est un milieu très rassurant pour les spécialistes, dit-elle. Les docteurs ont toujours bien peur, quand les patients sont en externe, de manquer le rapport d’un scan, de ne pas l’avoir vu ou lu parce que ça n’a pas été fait. » Dans une unité de médecine ambulatoire, les infirmières agissent, en quelque sorte, comme des « gestionnaires de cas » pour s’assurer que les dossiers suivent leur cours, précise-t-elle.

À Charles-Le Moyne, des étudiants et résidents en médecine de l’Université de Sherbrooke sont déjà exposés à cette réalité. La Dre Vallée, qui coordonne le programme de formation médicale délocalisé en Montérégie, s’en réjouit. « Ça leur montre que la médecine n’est pas toujours hospitalo-centrée », affirme-t-elle. Et qu’il est possible de prendre soin d’un patient qui demeure à l’extérieur des murs d’un hôpital. « Tout le monde y gagne », conclut-elle.

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