L'agence Santé Québec profitera-t-elle aux patients?

Depuis la présentation du projet de loi sur Santé Québec, on entend parler des règles syndicales sur l’ancienneté, de la bureaucratie et des médecins spécialistes. Mais qu’en est-il des patients ? L’agence leur donnera-t-elle un meilleur accès aux services ?
« Il n’y a pas une personne qui a été en mesure de nous dire très clairement comment le patient va être mieux servi par cette réforme-là », tonnait jeudi le député libéral de Pontiac, André Fortin.
Les politiciens ne sont pas les seuls à s’interroger à ce sujet.
C’est l’une des questions que se pose Mylaine Breton, professeure à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke. Non, « les effets de cette réforme ne sont pas démontrés, mais le patient va avoir l’impression qu’on fait quelque chose ». Sauf que les résultats vont se faire attendre. « Au moins deux ou trois ans », note la chercheuse, qui a fait son doctorat sur une autre réforme, la création des CSSS en 2004.
D’ici là, les professionnels de la santé vont investir temps et énergie à s’adapter au nouveau système plutôt « que de réfléchir aux trajectoires des patients ».
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Ce texte est publié via notre section Perspectives.
Le ministre de la Santé, Christian Dubé, n’a pas voulu dire cette semaine quand les gains de Santé Québec se feront sentir. Mais les ambitions sont grandes. Sur un napperon de papier offert aux médias mercredi, on promettait notamment de « diminuer les listes d’attente en chirurgie » ainsi qu’aux urgences. En grosses lettres bleues, on promettait aussi de « faciliter et simplifier le parcours des patients ».
Plus d’heures pour certains docteurs
À un journaliste qui le questionnait là-dessus, le ministre Dubé a répondu que les délais d’attente moyens de 17 heures à l’urgence étaient inacceptables et qu’il comptait sur les fédérations médicales pour l’aider à en faire plus. « J’ai demandé aux fédérations […] pourquoi on n’est pas capable d’avoir des rendez-vous dans des délais raisonnables avec le nombre de médecins [qu’on a] ».
Or, malgré le millier de pages qu’il contient, le projet de loi 15 parle peu des délais d’attente aux urgences ou ailleurs. En revanche, les articles 402 et 403 stipulent que les médecins spécialistes ont une responsabilité envers la population de la région où ils pratiquent.
Dès lors, pour pratiquer dans un établissement donné, un médecin spécialiste pourrait devoir fournir quelques heures par semaine dans une autre installation où les besoins sont criants (les « activités médicales particulières » dans le jargon).
Combien d’heures ? Où ? Quelles spécialités sont visées ? Tout cela devra être négocié, a prévenu le ministre. La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), elle, a poussé les hauts cris, l’accusant d’avoir glissé dans son projet de loi sur l’agence des enjeux de négociations qui n’avaient pas d’affaire là.
Mais cet enjeu pourrait avoir un impact concret sur les services offerts aux patients, selon Louis-Martin Rousseau, professeur à Polytechnique Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en analytique et logistique des soins de santé. « Ça pourrait aider », dit-il, en soulignant que dans certaines spécialités, les médecins n’offrent pas assez d’heures pour répondre à la demande. « Le truc, c’est que ça va être excessivement long de négocier ça ».
Des infirmières plus reposées
Contrairement aux médecins omnipraticiens, avec qui le gouvernement a négocié avec succès pour le Guichet d’accès à la première ligne (GAP), les médecins spécialistes regroupent 35 associations aux univers très différents (radiologie, médecine interne, dermatologie, psychiatrie, etc.). « J’ai l’impression que [chacune] va être un cas à part. […] Je ne sais pas comment ils vont négocier ça. »
Mais le meilleur morceau de la réforme pour M. Rousseau, c’est assurément la révision des règles entourant l’ancienneté (pour les infirmières notamment). « Le principal problème en ce moment, c’est que le personnel qui est jeune a les pires conditions de travail. […] Si on répartit le travail difficile entre tout le monde, on va régler une grosse partie du problème de personnel, dit-il. Du point de vue du patient, plus il y a de personnel, plus le personnel est reposé, meilleur va être le service. »
À nouveau, ce changement n’est pas traité directement par le projet de loi 15. Il découle du fait que ce dernier fait de l’agence le seul employeur du réseau à la place des CISSS et CIUSSS. Le patron du réseau n’aura ainsi plus à négocier qu’avec 4 syndicats au lieu de 136, et pourra réviser les règles d’ancienneté.
En revanche, M. Rousseau n’est pas convaincu de la pertinence de l’agence comme telle. « Ce que je ne comprends pas, c’est ce qu’on gagne vraiment à sortir ça du ministère. […] J’arrive à voir les avantages organisationnels et politiques, mais pour les patients, je ne sais pas. »
Vers la fin des télécopieurs ?
La Dre Élyse Berger Pelletier, médecin d’urgence et consultante en fluidité hospitalière et en intelligence artificielle, se dit « convaincue » que le projet de loi 15 aura « un impact sur le patient à plus long terme ». Selon elle, Santé Québec sonnera le glas des télécopieurs dans le réseau de la santé et rendra le système plus efficace.
« L’agence va pouvoir faire l’acquisition de technologies, et ça ne prendra pas 12 ans, trois appels d’offres, comme c’est le cas actuellement avec le ministère de la Santé », affirme-t-elle. À titre de société d’État, Santé Québec ne sera pas soumise aux mêmes règles que le ministère et aura davantage de souplesse, croit-elle.
Selon elle, le projet de loi 15, combiné à celui sur l’accès aux données, permettra de « briser les fameux silos » dans le réseau public : les médecins de famille pourront consulter les dossiers hospitaliers de leurs patients, et les médecins spécialistes, ceux rédigés par les omnipraticiens en cabinet.
« Le fait qu’il y ait des silos, que personne ne se parle, je pense que c’est bien plus ça le problème dans l’accès à la médecine spécialisée », dit la médecin spécialiste.
Par contre, la Dre Berger Pelletier doute que l’imposition d’activités médicales particulières aux médecins spécialistes — par exemple, faire des heures de garde en centre hospitalier — ait un réel effet sur l’accès aux soins. Selon elle, la grande majorité des médecins spécialistes travaille déjà très fort.
Et les lits ?
Le ministre Christian Dubé souhaite que les médecins spécialistes contribuent à désengorger les urgences en étant plus disponibles dans les hôpitaux. Or, les taux d’occupation sur civière ne tiennent pas qu’à eux, signale Régis Blais, professeur titulaire au Département de gestion, d’évaluation et de politique de santé de l’Université de Montréal.
« Le projet de loi 15 ne parle pas beaucoup des autres causes de l’engorgement des urgences », relève-t-il. Il rappelle que des patients ne requérant plus de soins à l’hôpital occupent des lits, car il manque de places en CHSLD, en centres de réadaptation ainsi qu’en soins à domicile. Des malades sont coincés aux urgences, faute de places aux étages.
C’est pourtant sur ces questions que les citoyens jugeront la réforme Dubé. « Si on ne voit pas une diminution importante des gens qui attendent une opération, un rendez-vous avec un professionnel de la santé, un lit en CHSLD ou des soins à domicile, ça aura été un échec », pense Me Paul Brunet, p.-d.g. du Conseil pour la protection des malades.
Régis Blais, lui, ne s’attend pas à une amélioration des services avant au moins deux ans. « Certainement que le ministre s’attend à voir des effets dans son mandat, parce que [sinon], il va avoir l’air fou. »