Un an de la réforme Dubé: quels progrès?

« De plus en plus, le réflexe des gens n'est pas d'aller à l'urgence, mais d'appeler le GAP », constate le Dr Gilbert Boucher, président de l'Association des spécialistes en médecine d'urgence du Québec.
Photo: Jacques Nadeau archives Le Devoir « De plus en plus, le réflexe des gens n'est pas d'aller à l'urgence, mais d'appeler le GAP », constate le Dr Gilbert Boucher, président de l'Association des spécialistes en médecine d'urgence du Québec.

Près d’un an après le coup d’envoi de la réforme du ministre de la Santé, Christian Dubé, les mesures visant à améliorer l’accès aux services de première ligne commencent à se faire sentir sur le terrain. Le guichet d’accès à la première ligne (GAP), les cliniques d’infirmières praticiennes spécialisées (IPS) et le rôle accru des pharmaciens « aident » les urgences, selon des associations de médecins. Mais dans quelle mesure ? Et les patients y trouvent-ils leur compte ?

Le gouvernement québécois a dépassé son objectif : plus de 507 000 Québécois sont désormais pris en charge collectivement par des groupes de médecins de famille. Lorsqu’ils ont un problème de santé, ces patients doivent contacter la ligne téléphonique du GAP pour obtenir une consultation. Après évaluation, une infirmière du guichet les oriente vers un médecin ou « le bon professionnel » afin de leur offrir le « bon soin au bon moment ».

Depuis le 21 mai, le GAP a enregistré près de 600 000 demandes, selon le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). « De plus en plus, le réflexe des gens n’est pas d’aller à l’urgence, mais d’appeler le GAP », constate le Dr Gilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec. « Ça nous aide », ajoute-t-il. La Dre Judy Morris, présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec, affirme aussi « voir des résultats » sur le terrain.

Mais l’effet réel du guichet sur l’achalandage dans les urgences demeure équivoque. Le Dr Boucher rapporte que le nombre quotidien moyen de patients ambulatoires (venus par leurs propres moyens et non en ambulance) a été légèrement plus faible au début de 2023 par rapport à la même période en 2019, une année prépandémique. Il précise qu’il n’y a pas eu de vague d’influenza en janvier et février cette année (elle est survenue en novembre et décembre 2022), ce qui génère habituellement des visites aux urgences.

« C’est quand même un succès qu’il y ait un petit peu moins de patients comparativement à il y a quatre ans, quand on tient compte du fait que les gens [dans la population] sont plus âgés et qu’ils ont plus de problèmes de santé », juge le Dr Boucher, qui siège à la cellule de crise mise sur pied par Québec pour désengorger les urgences. Selon lui, le GAP permet d’éviter « une augmentation plus importante » des patients ambulatoires.

Cliniques d’IPS : impact limité

Au Québec, environ 5000 patients se présentent chaque jour dans les urgences pour un problème peu urgent, selon le Dr Boucher.

Lancées à Montréal en décembre, les trois cliniques d’IPS ont un effet limité sur cet achalandage. La clinique d’IPS du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal a vu 793 patients depuis son ouverture, le 1er décembre. Les deux cliniques d’IPS du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, quant à elles, en ont accueilli 398 entre le 15 décembre et le 13 mars.

Les établissements de santé expliquent que les cliniques ne fonctionnent pas à leur pleine capacité, car tous les postes permanents ne sont pas encore pourvus. Des IPS y travaillent encore de manière volontaire en heures supplémentaires ou en partageant leur temps entre les groupes de médecine de famille et les cliniques.

Les pharmaciens, de leur côté, en ont plein les bras, selon Benoit Morin, président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires. « On a plus d’activités cliniques qu’avant, il y a plus de choses qu’on peut faire, dit-il. Mais en même temps, on est pris avec une pénurie de personnel et avec l’enjeu qu’il faut faire plus avec moins. »

Photo: Michaël Monnier archives Le Devoir Les pharmaciens doivent « faire plus avec moins », selon Benoît Morin, président de l'Association québécoise des pharmaciens propriétaires.

Ses membres demandent d’ailleurs à la population de « les aider » à être « plus efficaces » pour mieux contribuer à la réforme Dubé. Ils suggèrent aux patients de les contacter par téléphone de 24 à 48 heures d’avance pour obtenir le renouvellement de leurs ordonnances. Ils n’auront pas à faire la file au comptoir. « Il y a des pharmaciens qui n’ont pas le temps de faire de la prise en charge de maladies chroniques parce que le débit [de clients] n’est pas organisé », dit Benoit Morin.

Malgré tout, les pharmaciens pourraient en faire plus pour désengorger la première ligne si des « barrières étaient levées », pense-t-il. « En Ontario, pour une femme qui a une infection urinaire, le pharmacien peut commencer un traitement antibiotique sur la base des symptômes », cite-t-il comme exemple. Au Québec, la patiente doit avoir vu un médecin pour ce problème dans les cinq dernières années.

Des patients laissés pour compte ?

Sylvie Tremblay, directrice générale du Regroupement provincial des comités des usagers, estime que les mesures mises en avant par Québec sont utiles. Mais elle déplore que les patients vulnérables soient oubliés dans cette réforme. Des aînés doivent appeler le GAP chaque fois qu’ils ont besoin d’un soin (un problème par rendez-vous, dit-on). « Pour les gens vulnérables ou qui ont des pathologies multiples, il faut un mécanisme de prise en charge, et ça, on ne l’a pas », dit-elle.

Selon la Régie de l’assurance maladie du Québec, un peu plus de 77 000 personnes âgées de 70 ans et plus étaient inscrites auprès d’un groupe de médecins de famille en date du 28 février. Elles représentaient 15 % des patients pris en charge collectivement.

C’est quand même un succès qu’il y ait un petit peu moins de patients comparativement à il y a quatre ans, quand on tient compte du fait que les gens [dans la population] sont plus âgés et qu’ils ont plus de problèmes de santé

 

La ligne téléphonique du GAP connaît encore des ratés, d’après Sylvie Tremblay. Plusieurs témoignages recueillis par Le Devoir le confirment. Anne Michaud, 64 ans, a contacté le GAP à deux reprises depuis février. Elle a attendu deux heures et demie au bout du fil afin d’obtenir un rendez-vous avec un médecin pour un renouvellement de médicament. « La deuxième fois, j’ai attendu trois heures et la ligne a coupé ! » dit-elle. En proie à d’intenses douleurs à l’abdomen, elle s’est rendue à l’urgence de l’hôpital de Gatineau, où elle habite. Le diagnostic est tombé après une batterie de tests : problème d’acidité dans l’estomac.

« On me dit que je suis prise en charge par une clinique, dit Anne Michaud. Oui, mais s’il faut que j’attende trois heures au téléphone pour me faire raccrocher au nez, rappeler et attendre possiblement encore deux heures et demie ou trois heures pour obtenir un rendez-vous peut-être dix jours plus tard, c’est pas de la prise en charge, ça ! »

Selon le MSSS, les délais moyens de réponse cumulés des agents administratifs et des infirmières du GAP atteignaient une heure au 11 mars. Ceux-ci ne tiennent pas compte des appels abandonnés par le patient avant même qu’il ait pu parler à quelqu’un. Au 11 mars, le taux d’abandon se chiffrait à près de 23 % dans la file d’attente des agents administratifs et à 15,3 % pour celle des infirmières.

Les GAP font l’objet de suivis réguliers, selon le MSSS. Une équipe fera une tournée et formulera des recommandations pour améliorer leur performance.

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