Plus de 112 000 travailleurs de la santé indemnisés pour la COVID

Après trois ans de pandémie, l’impact de la COVID sur la main-d’œuvre en santé et services sociaux s’avère immense. Depuis 2020, plus de 112 000 des 291 000 salariés du réseau ont été indemnisés par la CNESST en raison de la COVID, pour un congé maladie ou un retrait préventif. Et ce bilan déjà très lourd n’inclut pas les milliers d’autres employés infectés indemnisés par l’assurance salaire qui ont aussi dû déclarer forfait.

Selon la commission qui traite les demandes d’indemnisation pour des lésions ou maladies liées au travail, pas moins de 92 252 (au 5 mars) des 104 683 réclamations acceptées depuis mars 2020 en lien avec la COVID l’ont été pour des travailleurs de la santé. S’ajoutent à cet énorme fardeau près de 22 000 indemnisations versées à des employés retirés de leurs fonctions de façon préventive pour éviter une infection en raison d’états de santé, dont la grossesse.

Selon des chiffres du gouvernement canadien, les employés et professionnels du domaine de la santé ont été plus durement frappés par le virus au Québec que partout ailleurs au Canada. Au début de 2022, 9 % des travailleurs de la santé québécois ont déclaré avoir été infectés, soit presque trois fois plus qu’en Ontario (3,3 %), davantage qu’en Colombie-Britannique (5,4 %) et qu’en Alberta (6 %). Treize des quarante-six décès déplorés au sein du personnel soignant au Canada sont survenus au Québec.

Si la première année de la pandémie (2020) a engendré plus de 15 000 absences dues à la COVID reconnues par la CNESST, c’est l’année 2022, avec l’arrivée d’Omicron, qui a fait exploser le nombre de réclamations dans le réseau de la santé, à plus de 61 000. En 2023, quelque 6087 travailleurs ont été indemnisés pour la COVID à ce jour, preuve que la pandémie est loin d’avoir disparu du paysage.

Le ministère de la Santé mesure quant à lui l’impact des absences dues à la COVID sur le réseau en ratio d’heures versées en CNESST et en assurance salaire. Ainsi, le ratio d’heures payées en CNESST est passé de 1,5 % en 2019-2020 à 2,09 % en 2022-2023 (jusqu’au 11 février).

Des absences prolongées

En trois ans, ces flambées d’infections ont aussi entraîné de nombreuses absences prolongées chez les employés atteints. Depuis 2020, près de 500 employés du réseau indemnisés par la CNESST ont déclaré forfait pendant plus de trois mois, dont 40 % pendant plus de six mois. Encore aujourd’hui, 634 travailleurs indemnisés pour la COVID depuis plus de trois mois — dont près de 80 % depuis plus de six mois — ne sont toujours pas retournés au travail.

Mais ces chiffres ne représentent que la pointe de l’iceberg, affirment plusieurs syndicats. Car depuis la fin de 2021, les réclamations liées à la COVID pour des maladies liées au travail ne sont plus acceptées qu’au compte-gouttes par la CNESST. Et ce, parce que la commission juge que la majorité des employés ont contracté la maladie dans la communauté et non au travail.

En effet, des chiffres obtenus de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) et de la CSN montrent que depuis 2021, les indemnités versées par la CNESST ne sont plus représentatives du fardeau que fait peser la COVID sur le réseau de la santé, et que les demandes en assurance salaire ont explosé.

De janvier à avril 2022, on a ainsi dénombré plus de 68 000 absences pour maladie, dont à peine 12 000 ont été couvertes par la CNESST. « Le taux d’acceptation des réclamations par la CNESST a piqué du nez, alors que les demandes en assurance salaire ont grimpé. Concrètement, ça fait que beaucoup d’employés malades de la COVID écopent de deux semaines de carence, et pigent dans leurs congés personnels ou leurs vacances pour combler la perte salariale », explique Isabelle Groulx, porte-parole en santé et sécurité pour la FIQ.

On fait le même constat à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN). « Il n’y a plus de présomption que l’employé est infecté dans son milieu, donc pas d’indemnisation par la CNESST dans la majorité des cas. Ceux qui traînent des symptômes se retrouvent donc presque tous en assurance salaire, ce qui implique aussi une absence de référence et de suivi médical particulier », déplore Réjean Leclerc, président de la FSSS-CSN. « Pourtant, ils sont tout aussi malades de la COVID. On voit que les demandes en assurance salaire suivent exactement les courbes des vagues de la pandémie », dit-il.

9 %
C'est la proportion des travailleurs de la santé du Québec qui ont déclaré avoir été infectés par la COVID, au début de l'année 2022. C'est trois fois plus qu'en Ontario (3,3 %).

Selon une étude réalisée en 2022 auprès de 6000 travailleurs de la santé atteints de la COVID par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), 40 % d’entre eux ont affirmé présenter encore des symptômes plus de 12 semaines après leur infection.

Selon Réjean Leclerc, le recul des demandes acceptées par la CNESST aura des conséquences directes sur plusieurs employés d’établissements privés conventionnés atteints de COVID longue et de symptômes persistants qui sont en assurance salaire. « Après 24 mois, s’ils ne sont pas jugés totalement invalides, ils n’ont pas droit à l’assurance salaire longue durée, même s’ils ont encore des symptômes les empêchant de retourner à leurs postes. Ils se retrouvent devant rien, explique-t-il. Si l’établissement n’a pas de postes pouvant accommoder l’employé malade, on pourrait se retrouver avec ce qu’on appelle des congédiements administratifs. »

Depuis le 1er mars, une nouvelle règle à la CNESST vient en sus compliquer les choses, ajoute la porte-parole de la FIQ. Alors qu’un résultat de test PCR positif suffisait à faire reconnaître une absence due à la COVID, l’organisme exige désormais un billet médical pour confirmer un diagnostic COVID.

« Imaginez la lourdeur que cela impose pour les médecins, qui ont mieux à faire, et pour les infirmières qui devront s’absenter pour obtenir ces attestations. Est-ce que ça a du sens ? » relance Isabelle Groulx. Chaque jour, plus de 1500 employés de la santé sont encore absents en raison de la COVID. « Ce n’est quand même pas rien, dit-elle. Ça vient s’ajouter aux autres absences et à l’exode vers les agences privées », ajoute-t-elle.

Selon la FIQ, le poids des absences aggravé par la pandémie a rendu plus courantes certaines façons de faire douteuses, parfois irréconciliables avec le code de déontologie des professionnelles de la santé. « Il y a constamment des déplacements vers d’autres tâches. Les cheffes infirmières ne se cachent même plus pour dire de réduire les contingences de tâches, avance Isabelle Groulx. Cela signifie qu’on va en deçà de ce qu’exige notre profession pour diverses tâches, notamment la surveillance des signes vitaux, ou de la médication. On en voit pourtant les conséquences, avec les nombreuses enquêtes déclenchées sur des ratés survenues aux urgences. Et ça, ça joue beaucoup sur la détresse morale des professionnelles de la santé. »

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