Le masque chirurgical est-il vraiment efficace?
À l’heure des bilans, après trois ans de pandémie, certains remettent en question la pertinence des mesures adoptées pour freiner la transmission du SRAS-CoV-2, responsable de la COVID-19. Même l’efficacité du masque est battue en brèche par un des auteurs d’une revue de littérature publiée par la réputée Cochrane Library. A-t-on fait fausse route en exigeant le port du masque pour tous, en instaurant des confinements ?
Dans une sortie médiatique remarquée, Tom Jefferson, premier auteur de la « méta-analyse » visant à évaluer l’efficacité des mesures physiques de réduction de la propagation des virus respiratoires qui a été publiée en janvier dernier dans la Cochrane Library, a déclaré qu’il n’y a aucune preuve que le masque est efficace. Il n’en fallait pas plus pour que se répande l’assertion que le masque ne fonctionne pas. Une chronique d’opinion publiée dans le New York Times du 21 février dernier a enfoncé le clou en affirmant, citations de Jefferson à l’appui, que l’obligation du masque n’avait rien donné et qu’il fallait en tirer des leçons.
Le masque est efficace, mais il faut se donner la peine de le porter correctement
Véritable pavé dans la mare, ces déclarations ont ravi les groupes opposés aux mesures, qui trouvaient enfin un écho à leurs convictions. Elles ont aussi fait réagir les scientifiques habitués à des publications rigoureuses de la part de la Cochrane, une organisation à but non lucratif basée au Royaume-Uni et composée d’un réseau international de chercheurs, de professionnels de la santé et de patients, dont les publications résumant les meilleures données de la recherche sont considérées comme une référence pour les professionnels de la santé.
Comme l’histoire commençait à faire grand bruit, le vendredi 10 mars dernier, la rédactrice en chef de la Cochrane Library, la Dre Karla Soares-Weiser, a publié une mise en garde : « Plusieurs commentateurs ont prétendu qu’une revue Cochrane récemment mise à jour montrait que “les masques ne fonctionnent pas”. Il s’agit d’une interprétation inexacte et trompeuse », écrit-elle. « Il serait plus exact de dire que les résultats de la revue — qui a examiné si le port du masque ralentit la transmission des virus respiratoires — sont peu probants. Elle ne permet pas de déterminer si le port du masque réduit le risque de contracter ou de propager des virus respiratoires », poursuit-elle.
Limites de la revue
« En criant haut et fort que le masque n’était pas efficace, Jefferson est allé au-delà de ce que les données de sa revue lui permettaient de dire », clame Geneviève Marchand, chercheuse en prévention des risques chimiques, biologiques, mécaniques et physiques à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail.
La scientifique souligne que la méta-analyse de la Cochrane Library a passé en revue les données de diverses recherches « qui n’avaient pas les mêmes objectifs ». Par exemple, certaines portaient sur la COVID-19, d’autres sur la grippe. Or, nous avons appris que les virus causant ces deux maladies respiratoires sont très différents : le SRAS-CoV-2 est beaucoup plus contagieux et se répand dans de fines gouttelettes qui demeurent en suspension dans l’air beaucoup plus longtemps que les plus grosses gouttelettes contenant le virus de l’influenza, lesquelles, en raison de la gravité, ne voyagent pas aussi loin dans l’air. Ces différences expliqueraient probablement pourquoi les bénéfices du masque ont été plus difficiles à détecter dans les études sur la grippe, fait remarquer le scientifique de l’Université Columbia Lucky Tran dans The Guardian.
Autre problème de la revue : moins de 50 % (seulement 42,3 %) des participants qui devaient porter le masque ont suivi la consigne. « Il devient difficile de démontrer l’efficacité du masque si les gens ne le portent pas », note Mme Marchand.
De plus, plusieurs études ont comparé l’efficacité du masque chez des populations qui étaient vaccinées. « Dans une telle situation, comme les gens sont moins à risque de développer la maladie, il devient plus difficile de démontrer que le moyen de protection, en l’occurrence le masque, est efficace », signale Mme Marchand, avant de lancer que « le masque médical et le N95, qui est un appareil de protection respiratoire, sont des outils qui sont performants et dont on n’a plus à faire la démonstration ».
Bien le porter
Selon Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, « il est très difficile d’avoir des certitudes, des preuves, et de conclure sur la base d’études observationnelles [comme celles revues dans la méta-analyse Cochrane] ».
Il fait un parallèle entre le masque et le port du préservatif pour se protéger du VIH. « Au début de la pandémie de VIH, on savait le préservatif très efficace pour prévenir la transmission du VIH. On a donc fait des campagnes et des interventions pour promouvoir son usage. Or, on s’est aperçu qu’au niveau populationnel, ça n’avait pas d’effet, ça ne réduisait pas la transmission du VIH dans une population. Est-ce que cela veut dire que le préservatif ne fonctionne pas ? C’est plutôt qu’il n’était pas utilisé du tout, ou mal utilisé. Si 50 à 70 % des gens le portent inadéquatement, je n’ai pas de difficulté à croire qu’il n’offrira aucune protection. C’est la même chose pour le masque. Les études de laboratoire dans lesquelles le masque est bien porté et bien ajusté ont montré son efficacité. C’est un outil qui, s’il est porté correctement, va nous protéger », explique-t-il.
Dans plusieurs régions du globe, notamment en Asie, où les populations le portaient déjà avant la pandémie, les gens qui se donnent la peine de mettre un masque le portent nettement mieux. Ils sont plus rigoureux, peut-être parce qu’ils en avaient l’habitude, fait-il remarquer.
« Il ne faudrait pas que la population ait complètement perdu confiance au masque sur la base de [cette étude]. Malheureusement, je crains que ça nourrisse les mouvements qui remettent en doute tout ce qui a été fait pendant la pandémie », affirme M. Mâsse.
« Le masque est efficace, mais il faut se donner la peine de le porter correctement, souligne-t-il. Mais je n’ai pas de doute qu’il y a un grand segment de la population qui ne le portera pas comme il faut si on décrète une urgence sanitaire dans une population comme au Québec et qu’on insiste pour que tout le monde le porte. »