L’organisation du travail dans les hôpitaux influence la survie des grands prématurés

L'étude a été réalisée auprès de 1870 poupons nés entre la 23e et la 32e semaine de grossesse. Parmi ces enfants, 823 ont connu des complications sérieuses, dont 153 ont perdu la vie.
Photo: Hannah McKay archives Agence France-Presse L'étude a été réalisée auprès de 1870 poupons nés entre la 23e et la 32e semaine de grossesse. Parmi ces enfants, 823 ont connu des complications sérieuses, dont 153 ont perdu la vie.

Le taux d’occupation des lits et la disponibilité du personnel de soins dans les unités de soins intensifs néonataux influencent les chances de survie des grands prématurés, selon une étude québécoise réalisée auprès de 1870 poupons nés entre la 23e et la 32e semaine de grossesse.

« Lorsque le taux d’occupation des lits se situe à 50 % de la capacité de l’unité, le pourcentage de complications graves est de 30 %, explique le Dr Bruno Piedboeuf, médecin clinicien et enseignant titulaire à la Faculté de médecine de l’Université Laval. Ce pourcentage grimpe à 40 % lorsque 80 % des lits sont occupés et à 50 % lorsque l’unité est à 110 % de sa capacité. »

La recherche s’intéresse souvent à l’efficacité des médicaments et des procédures de soins, mais assez peu à l’impact de l’organisation du travail et de la gestion du personnel en milieu médical. « Pourtant, affirme le Dr Piedboeuf, la plus grande dépense d’un système de santé, c’est le personnel, et son utilisation demeure très peu étudiée. »

Les conclusions de la recherche menée par une équipe de chercheurs affiliés aux universités McGill, Laval et de Montréal a surpris le médecin et chercheur de Québec. « L’ampleur est plus importante que ce à quoi nous nous attendions. Nous pensions qu’il y avait un effet, mais pas de cet ordre-là. C’est clair que ça alimentera les réflexions au ministère de la Santé. »

Des unités presque pleines au CHU de Québec

Dans sa pratique au CHU de Québec, le Dr Bruno Piedboeuf constate que le taux d’occupation dans les unités de soins intensifs néonataux descend rarement plus bas que 80 %, voire 85 %. « C’est fréquent que nous travaillions dans une unité pleine et que nous finissons par nous demander où nous allons mettre les bébés qui arrivent, explique-t-il. C’est exceptionnel quand ça descend en bas de 80 %. »

Les périodes de grand achalandage sollicitent plus de ressources, observe le Dr Piedboeuf, ce qui peut bousculer les soins continuels dont les grands prématurés ont besoin. « Les grands prématurés sont hospitalisés pendant plusieurs semaines, voire des mois, et les premiers jours sont cruciaux pour prévenir le développement de complications sévères. C’est l’attention aux détails qui compte et il faut continuellement veiller sur eux. Le temps de réaction du personnel est crucial, souligne l’enseignant titulaire de l’Université Laval. Idéalement, il faudrait avoir un ratio d’une infirmière par enfant pour assurer des soins optimaux. » 

Le recours aux heures supplémentaires a aussi un impact sur la santé des petits patients, note aussi le médecin. Dans une étude parue en 2016 et réalisée conjointement par les chercheurs Marc Beltempo et Régis Blais, il avait déjà déterminé qu’« un taux d’heures supplémentaires plus élevé chez les infirmières accentuait le risque de développer une infection nosocomiale », c’est-à-dire des infections contractées dans les milieux de soins.

Des leçons pour d’autres unités

Le Dr Bruno Piedboeuf croit que les conclusions de l’étude sur les unités de soins intensifs néonataux sont susceptibles de s’appliquer aux urgences et aux autres unités de soins où le taux d’occupation s’avère élevé.

« Ça démontre l’importance de s’intéresser, et beaucoup, ajoute le chercheur, à l’organisation du travail et des horaires dans le réseau de la santé du Québec. »

Parmi les 1870 enfants nés prématurément étudiés par l’équipe de recherche, 823 ont connu des complications sérieuses, dont 153 ont perdu la vie. Les principales affections touchaient les poumons, les yeux et les systèmes digestif ou nerveux.

Le Dr Piedboeuf rappelle toutefois que les progrès de la médecine moderne ont grandement amélioré les pronostics de survie des grands prématurés, à tel point que 95 % de ceux nés après la 28e semaine de grossesse survivent.

« Il y a eu beaucoup d’améliorations sur le plan technique, conclut-il. Mais il y a encore du travail à faire du côté de l’organisation du travail. »

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