Les jeunes pris dans l’écran de fumée du vapotage

Photo: iStock «Le Devoir» a constaté que l’achat de produits de vapotage par des mineurs est littéralement un jeu d’enfant.

Des dépanneurs qui vendent des articles de vapotage à des jeunes de moins de 18 ans. Des cartouches qui affichent une « sensation » équivalant à deux fois et demie la teneur légale en nicotine. Des saveurs laissant croire que le vapotage, c’est comme du bonbon. Le « fléau » du vapotage prend de l’ampleur chez les jeunes en raison de failles dans la réglementation et dans l’application de la loi.

Le Devoir a constaté que l’achat de produits de vapotage par des mineurs est littéralement un jeu d’enfant. Des jeunes de moins de 18 ans achètent couramment des vapoteuses au dépanneur sans se faire demander leurs cartes d’identité, même si la loi interdit la vente de ces produits aux mineurs.

 

Des dépanneurs offrent aussi des cartouches offrant une teneur en nicotine de 50 milligrammes par millilitre — deux fois et demie la limite légale de 20 mg/ml. D’autres produits promettent la « sensation » d’une teneur de 50 mg/ml, même si la concentration réelle est de 20 mg/ml, selon l’emballage.

« Avec 50 milligrammes de nicotine, ça donne un head rush pendant une minute, comme si tu étais high », raconte une élève de 5e secondaire.

21 %
C’est la proportion, en 2019, des jeunes ayant vapoté dans les 30 jours précédant l’enquête. Ce nombre a quintuplé en six ans, puisqu’il était de 4 % en 2013.

Elle et six de ses amis de la Rive-Sud s’approvisionnent en articles de vapotage dans des dépanneurs de Longueuil, de Saint-Bruno-de-Montarville et de Saint-Basile-le-Grand, en Montérégie. Ces jeunes de 16 et 17 ans, étudiants au secondaire et au collégial, achètent ces produits interdits aux mineurs sans se faire poser de questions par les commis de leurs dépanneurs préférés.

« Les propriétaires du dépanneur où je vais me connaissent », raconte une cégépienne de 17 ans. Elle a commencé à vapoter l’an dernier, après avoir constaté que « tout le monde le faisait » dans les soirées chez des amis.

L’industrie du vapotage est tellement dynamique que le marché progresse plus vite que l’encadrement légal

 

« Dès que t’en as une [vapoteuse] pour les partys, c’est fini. T’es addict », dit-elle. Les cartouches à saveur de melon d’eau, de fruit de la passion ou de pomme verte lui donnent l’impression de manger des bonbons. Elle connaît les risques du vapotage pour la santé, mais elle ne s’en inquiète pas.
 

Les écoles au front

Des responsables de la santé publique, des intervenants scolaires et des groupes antitabac s’inquiètent de la prolifération du vapotage chez les jeunes. La plus récente Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire révèle que la proportion des jeunes ayant vapoté dans les 30 jours précédant l’enquête a quintuplé en six ans (de 4 % en 2013 à 21 % en 2019).

« Les jeunes ne trouvent pas ça menaçant. Ils n’ont pas l’impression de fumer, ça ne sent pas mauvais comme une cigarette », dit Patrice Daoust, directeur aux services complémentaires à la Fédération des établissements d’enseignement privés.

« Les élèves fument ça un peu partout. Si ça sent la gomme balloune ou la liqueur aux fraises, il y a une vapoteuse quelque part. C’est un gros problème à l’heure actuelle », ajoute-t-il.

60 %
Il s’agit de la proportion des établissements de vapotage spécialisés qui contrevenaient d’une façon ou d’une autre à la réglementation, selon des vérifications menées entre août 2021 et mars 2022 auprès de 191 commerces par Santé Canada.

Les parents demandent aux écoles d’encadrer l’usage de la vapoteuse, explique-t-il. Les directions d’école peuvent bien l’interdire, mais elles ont besoin d’outils pour freiner ce marché officiellement réservé aux adultes, mais qui séduit les ados, ajoute l’intervenant.

Patrice Daoust note que les dépanneurs situés près des écoles secondaires ont souvent tendance à fermer les yeux sur l’achat de produits de vapotage par des mineurs. Il estime que Santé Canada devrait consacrer plus d’efforts à faire respecter la loi sur les produits de vapotage, pour éviter la vente à des jeunes de moins de 18 ans.

Ottawa devrait aussi donner suite rapidement à sa volonté annoncée d’interdire les arômes dans les liquides de vapotage, croit l’intervenant scolaire. « Ça fait des années qu’il en est question et il n’y a rien qui est fait », dit-il.

Des groupes de consommateurs adeptes du vapotage mènent une campagne pour éviter le bannissement des arômes, qui font partie du plaisir d’inhaler ces produits, selon eux.

Une industrie à encadrer

Flory Doucas, codirectrice et porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, se montre critique envers les gouvernements du Québec et du Canada. « L’industrie du vapotage est tellement dynamique que le marché progresse plus vite que l’encadrement légal », dit-elle.

La nouvelle stratégie d’afficher des cartouches « boostées », qui offrent une « sensation » de 50 mg de nicotine par millilitre de liquide, tout en respectant la limite de 20 mg, sème la confusion auprès des ados, selon Mme Doucas. « Souvent, l’étiquetage des emballages de produits de vapotage n’est pas particulièrement clair ou adéquat par rapport au contenu et aux ingrédients des produits. Cela laisse énormément de place aux illusions et à l’interprétation. »

Avec 50 milligrammes de nicotine, ça donne un head rush pendant une minute, comme si tu étais high

 

De plus, pendant que les gouvernements tardent à interdire les arômes, les géants du tabac mettent en marché la quatrième génération de vapoteuses, des appareils « intelligents » qui se synchronisent avec les téléphones des ados. Et la vente en ligne d’articles de vapotage a beau être interdite au Québec, des sites canadiens offrent des produits accessibles aux jeunes d’ici.

50 mg/ml
Il s’agit de la teneur en nicotine de certaines cartouches offertes dans des dépanneurs, soit deux fois et demie la limite légale de 20 mg/ml.

Flory Doucas s’étonne des délais pour mieux encadrer l’industrie du vapotage : les plus récents rapports d’inspection de Santé Canada — qui datent de près d’un an — confirment bel et bien des infractions à la loi. Des vérifications menées entre les mois d’août 2021 et mars 2022 dans 191 établissements de vapotage spécialisés ont révélé que 60 % d’entre eux contrevenaient d’une façon ou d’une autre à la réglementation.

Les inspecteurs fédéraux ont aussi mené des vérifications dans 1320 stations-service et dépanneurs : 11 % des commerces inspectés ne respectaient pas les exigences relatives aux produits de vapotage. « Dans la majorité des cas de non-conformité, la concentration en nicotine indiquée sur l’étiquette du produit de vapotage était supérieure à 20 mg / ml », précise Santé Canada.

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