Un plus grand nombre d’opérations se feront au privé en Ontario

Les changements annoncés par l’Ontario sont accueillis favorablement par des dirigeants du milieu de la santé, mais certains experts soutiennent qu’ils comportent des risques.
Photo: Loic Venance Agence France-Presse Les changements annoncés par l’Ontario sont accueillis favorablement par des dirigeants du milieu de la santé, mais certains experts soutiennent qu’ils comportent des risques.

L’Ontario a annoncé des changements importants dans l’offre de services de santé privés à la mi-janvier, comparant au passage la province avec le Québec. Le recours aux cliniques privées en Ontario, plus important qu’auparavant, suscite la colère dans les syndicats du milieu de la santé et dans les partis d’opposition. Il pourrait néanmoins permettre de rapprocher le modèle ontarien de celui du Québec.

L’Ontario se tourne vers des cliniques privées pour réduire, sans frais imputés aux patients, son arriéré total d’opérations, qui se chiffre actuellement à environ 206 000 ; au Québec, on compte 163 991 personnes sur la liste d’attente. Quatre cliniques ontariennes aideront donc à réduire l’arriéré en chirurgie de la cataracte grâce à un financement de 8,5 millions de dollars de la province et un permis qui leur permettra de réaliser davantage d’interventions. De nouvelles cliniques offrant des remplacements de la hanche et du genou pourraient aussi être ouvertes d’ici 2024.

Les deux provinces voisines deviendraient alors plus similaires dans leur approche de rattrapage chirurgical. Par exemple, en Ontario, 99 % des remplacements du genou et de la hanche sont en ce moment toujours effectués dans des hôpitaux (une seule clinique privée existe), alors qu’au Québec, au moins huit cliniques médicales spécialisées (CMS) ont un permis pour remplacer le genou ou la hanche. Des ententes ont été signées durant la pandémie afin que des personnes puissent être opérées au privé sans frais dans certains CMS.

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C'est le nombre d'années écoulées depuis le dernier octroi de nouveaux permis par le gouvernement ontarien à des établissements de santés privés financés par la province.

Les deux provinces font face à des arriérés importants en ce qui concerne les opérations de la cataracte. Au Québec, 28 603 personnes sont en attente, contre environ 50 000 en Ontario. Chacune des provinces a des systèmes différents pour y remédier. Trente-cinq CMS détiennent en ce moment un permis pour réaliser l’intervention. Richard Weinstein, président de l’Association ontarienne d’ophtalmologie, ne connaît pas le nombre exact de cliniques offrant le service en Ontario, mais seulement trois sont financées par la province.

Des systèmes différents

L’Ontario compte près de 900 établissements de santé autonomes privés, financés par la province, où des services couverts par l’assurance maladie sont offerts. Environ 98 % d’entre eux sont à but lucratif. Des médecins peuvent certes ouvrir une clinique entièrement privée, mais les remboursements du régime d’assurance maladie ne suffisent pas pour payer tous les frais d’exploitation. Un financement provincial est rattaché à l’octroi du permis permettant aux établissements autonomes d’ouvrir, couvrant ainsi ces frais.

Les remplacements de la hanche et du genou ne sont toutefois pas encore autorisés dans ces établissements ontariens. La province compte présenter un projet de loi pour remédier à la situation, mais n’a pas encore spécifié ce que ce dernier contiendrait. Il n’est pour le moment pas possible pour l’un de ces établissements de garder un patient pour la nuit, ce qui pourrait être modifié : la majorité des remplacements de hanche ou de genou nécessitent plus d’une journée de séjour à l’hôpital, bien qu’un petit nombre se fasse en 24 heures.

L’arrivée de nouveaux établissements privés financés par la province est rare en Ontario : la province n’a pas octroyé de nouveaux permis en 20 ans. Selon Lynne Golding, avocate en droit de la santé au cabinet Fasken, les coûts importants qui y sont associés pour la province et l’absence de consensus sur les bénéfices d’une hausse des opérations effectuées dans des cliniques privées en sont les raisons. Au Québec, le nombre de CMS est passé de 49 en 2017 à 68 aujourd’hui.

Des inquiétudes

Les changements annoncés par l’Ontario sont accueillis favorablement par des dirigeants du milieu de la santé, mais certains experts soutiennent qu’ils comportent des risques. D’après Abi Sriharan, qui est scientifique sénior et directrice de la recherche au centre Krembil en gestion de la santé de l’Université York, des employés du milieu pourraient être tentés de quitter l’hôpital pour aller travailler dans les cliniques privées afin d’obtenir de meilleures conditions de travail, ce qui fragmenterait un système souvent déjà fragile.

La professeure Sriharan s’inquiète aussi de la création d’un système à deux vitesses en ophtalmologie. « Les cliniques vont parfois dire que l’attente pour une opération de la cataracte financée par le public est de six mois, mais que le patient peut payer pour l’avoir la semaine prochaine. »

Le Dr Richard Weinstein estime quant à lui que les inquiétudes à cet égard sont exagérées. « Je ne dis pas à mes patients qu’ils peuvent payer pour mieux voir. » Le premier ministre Doug Ford, pour sa part, a souligné que « tout ce dont les Ontariens ont besoin est leur carte d’assurance maladie ».

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.
 



Une version précédente de ce texte, qui indiquait qu'Abi Sriharan est professeure à l’Université de Toronto et étudie les politiques de santé publique, a été modifiée.

 

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