Le défi de remettre le système de santé à flot

Malgré les efforts déployés pour attirer du personnel, le réseau de la santé et des services sociaux compte près de 13 400 employés de moins qu’il y a un an, un recul qui frappe encore plus durement des régions comme Lanaudière, l’Outaouais et le Bas-Saint-Laurent.
La Coalition avenir Québec (CAQ) a promis jeudi d’ajouter 5600 professionnels en quatre ans au réseau de la santé. Mais tant le parti de François Legault que ceux de ses adversaires devront promettre d’en faire beaucoup s’ils souhaitent remettre le système de santé à flot.
Selon le tableau de bord de la performance du ministère de la Santé et des Services sociaux, le réseau comptait 334 445 employés en date du 30 juillet 2022, comparativement au sommet de 347 000 atteint un an plus tôt, une baisse de 3,85 %. Le hic, c’est qu’en plus de ce recul, le taux d’absentéisme a dépassé 22 % en juillet, avec 75 000 employés déclarés absents.
Ce portrait d’ensemble cache aussi une réalité encore plus dure dans certaines régions. Notamment dans Lanaudière, où l’on a connu une baisse de 7,8 % des effectifs par rapport à juillet 2021 et un taux d’absentéisme frisant les 23 %.
On vit la même débandade dans l’est du Québec, explique Alexandre Pelletier, président du Syndicat des professionnelles en soins infirmiers et cardiorespiratoires du Bas-Saint-Laurent. La liste du personnel du réseau de la région comptait en juillet 700 employés de moins que les 9600 d’il y a 12 mois. « Les conditions de travail sont de plus en plus dures, pour ne pas dire médiocres. Il manque du personnel dans plein d’unités. Il y a une fuite vers le privé. Même de jeunes infirmières qui viennent d’arriver partent après un an ou deux », dit-il.
Absentéisme et rangs dégarnis
Le système de santé de la région doit recourir au personnel d’agences privées, qui viennent dégarnir ses propres rangs en offrant des conditions de travail plus enviables aux jeunes recrues, ajoute l’infirmier.
Le taux d’absentéisme caracole d’ailleurs entre 20 % et 25 % ces derniers mois au Bas-Saint-Laurent, et fait bondir le recours au personnel d’agences (12 % des heures payées) et au temps supplémentaire obligatoire (TSO). « J’ai même des collègues qui ont quitté leur emploi pour aller travailler au Walmart ! Elles n’en pouvaient plus du TSO, de la pression, et de ne pas savoir quand elles allaient rentrer à la maison », raconte Alexandre Pelletier.
La situation est aussi tendue en Outaouais, où les effectifs ont diminué de 5 % en un an et où 12 % des heures travaillées par le personnel infirmier sont des heures supplémentaires.
En Mauricie, l’absentéisme (22 % en juillet) vient exacerber le fléau du manque de personnel et le recours aux heures supplémentaires, abonde Patricia Mailhot, présidente intérimaire du Syndicat des professionnelles en soins de la Mauricie et du Centre-du-Québec. « Je vous dirais même que les chiffres officiels sur le temps supplémentaire sont parfois faussés, car on coupe le nombre d’infirmières requises sur les unités. Comme ça, on n’a plus à demander du temps supplémentaire pour les quarts non comblés. »
« On se retrouve avec trois infirmières sur une unité qui devrait en compter cinq, et des ratios de patients qui explosent. Il faut avoir des yeux partout. Qu’est-ce qu’on dirait si une professeure ou une éducatrice en garderie se retrouvait du jour au lendemain avec 50 enfants dans un groupe ? » soulève-t-elle.
Selon Mme Mailhot, pas un jour ne passe sans que des dizaines d’infirmières ne remettent leur démission en Mauricie–Centre-du-Québec. Selon elle, une mauvaise gestion des listes de rappel explique en partie le recours excessif au TSO. « Parfois, on oblige l’infirmière déjà sur place à faire du TSO, dit-elle, alors qu’on aurait pu trouver quelqu’un qui accepte de le faire volontairement si on avait pris le temps de passer par la liste de rappel. »
Bien que moins criante dans les grands centres comme Montréal (3,8 %), la perte de personnel et le recours au TSO frappent plus durement certaines unités de soins critiques, comme les urgences et les soins intensifs, et certains CIUSSS plus que d’autres. La métropole a perdu en un an plus de 4200 employés. Au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, la saignée atteignait 7,4 %, et plus de 6 % aux CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal et du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.
La région de Québec semble se tirer mieux d’affaire, avec une baisse générale du nombre d’employés limitée à 3,85 %, mais la perte de personnel atteint presque 8 % dans les établissements du CIUSSS de la Capitale-Nationale, hors des grands hôpitaux.
Plus de médecins, plus de professionnels, promet Legault
Le chef de la CAQ, François Legault, s’est donné comme objectif jeudi de former 5000 professionnels de la santé et 660 médecins de plus au cours des quatre prochaines années.
Il promet notamment de tirer vers le haut « progressivement » et « réalistement » le nombre d’admissions dans les programmes de médecine pour accueillir 660 étudiants supplémentaires au cours du prochain mandat, soit de 2022 à 2026. « Nous modulerons les critères d’admission en médecine afin de nous assurer d’une bonne représentation régionale des étudiants », précise la CAQ dans sa plateforme électorale.
Le parti au pouvoir à la dissolution de l’Assemblée nationale veut aussi accroître le nombre de techniciens ambulanciers paramédicaux, et mettre la gomme sur les formations accélérées offertes entre autres aux aspirantes préposées aux bénéficiaires et aux infirmières auxiliaires.
La CAQ ambitionne aussi de renforcer la capacité d’attraction du réseau de la santé afin qu’il « devienne un employeur de choix ». Pour y parvenir, le parti appuie notamment l’élaboration d’« horaires autogérés » dans l’espoir d’améliorer la conciliation travail-vie personnelle.
Marco Bélair-Cirino