Frénésie sur les réseaux sociaux pour un médicament qui fait perdre du poids

Un médicament conçu pour traiter le diabète de type 2 et qui peut entraîner une importante perte de poids en peu de temps suscite l’engouement sur les réseaux sociaux. Sur TikTok comme sur Facebook, les récits sur l’Ozempic se multiplient, passant le plus souvent sous silence les effets secondaires indésirables de ce médicament injectable.

Ses effets secondaires les plus communs sont les nausées, les vomissements, la constipation et les diarrhées sévères. Et ils sont parfois si intenses qu’ils poussent certains patients à abandonner le traitement, indique une spécialiste montréalaise en endocrinologie.

Cette médecin a requis l’anonymat en s’adressant au Devoir, car elle prescrit l’Ozempic pour la perte de poids, une utilisation qui n’est pas indiquée par Santé Canada. « L’Ozempic est dans une zone grise », explique-t-elle, car l’utilisation à cette fin d’un médicament en tous points identiques, le Wegovy, a été homologuée par les autorités fédérales en 2021. Ce dernier ne sera par contre commercialisé qu’à compter de cet automne.

C’est pourquoi des médecins comme cette endocrinologue prescrivent l’Ozempic hors indication, une pratique légale, mais qui suit des « mesures très strictes », précise-t-elle. La docteure insiste d’ailleurs auprès de ses patients sur l’importance des risques associés à sa prescription. « L’Ozempic n’est pas comme une diète de quelques semaines. […] Des patients qui n’ont aucun symptôme, j’ai rarement vu ça », raconte-t-elle.

L’Ozempic est si utilisé pour contrôler l’obésité qu’une pénurie de ce médicament a récemment frappé l’Australie. Le Québec n’est toutefois pas dans une situation semblable, a appris Le Devoir.

« Je n’ai jamais pensé que ça allait devenir viral », lâche Pascal Chrétien. Cet entrepreneur de 46 ans a publié en mai dernier une vidéo sur TikTok dans laquelle il explique avoir perdu une trentaine de kilos en neuf mois grâce à l’Ozempic, lui qui avait un indice de masse corporelle de 37 (obésité sévère).

Sa publication, forte de plus de 100 000 visionnements, et celles qui ont suivi lui attirent maintenant des dizaines de messages d’internautes en quête de conseils. Les messages qu’il reçoit portent sur la posologie de l’Ozempic, sur ses effets secondaires ou sur sa couverture par les régimes d’assurance. Des questions qui « doivent être posées à un médecin », affirme M. Chrétien. Certains internautes vont jusqu’à lui demander quel médecin consulter afin d’obtenir une prescription.

« Les gens cherchent des solutions faciles », dit-il. Une femme lui a d’ailleurs fait part de son souhait de perdre quelques kilos en vue de son mariage.

C’est un constat que fait aussi la modératrice d’un groupe Facebook de soutien aux usagers de l’Ozempic, qui a requis l’anonymat pour des raisons de confidentialité. Le groupe qu’elle a fondé en 2019 lui a permis d’être aux premières loges pour constater la popularité grandissante du médicament. Selon elle, il a acquis la réputation de remède miracle, notamment auprès de personnes qui espèrent perdre du poids.

À quelques occasions, elle a constaté que des internautes cherchaient désespérément une clinique pour obtenir une prescription. Elle rapporte également le cas d’une Française qui assurait vendre au noir des stylos d’Ozempic. « C’est plate de voir quelqu’un qui a 10 livres à perdre venir prendre un médicament conçu pour les gens qui en ont besoin », déplore-t-elle.

« On montre trop le bon côté de ce médicament-là et pas assez les effets secondaires », ajoute-t-elle. En effet, celle qui a pris de l’Ozempic durant deux ans et demi pour maigrir et combattre sa résistance à l’insuline a notamment dû composer avec une grave fatigue et un dérèglement olfactif qui l’ont poussée à cesser le traitement. « Ce n’est pas une méthode facile. Ce n’est pas rien, de prendre ça. »

Popularité et ressac

 

L’engouement pour ce médicament a eu d’importantes répercussions en Australie. En avril dernier, le fabricant de l’Ozempic, la pharmaceutique danoise Novo Nordisk, a averti l’agence de réglementation des médicaments du pays (la Therapeutics Goods Agency) d’une potentielle pénurie qui pourrait s’étirer jusqu’à la fin de l’été. Puis, en mai, la TGA a annoncé qu’elle « priorisait » l’administration du médicament aux personnes atteintes de diabète de type 2.

Selon l’agence australienne, une augmentation inattendue de la demande et de la prescription du médicament est en cause. Toujours en mai, le Collège royal australien des médecins généralistes a demandé à ses membres de faire preuve de retenue en ce qui concerne les prescriptions non conformes d’Ozempic — les prescriptions pour un usage non homologué, comme la gestion du poids — afin d’assurer les soins des diabétiques.

Au Québec, la situation n’est pas aussi inquiétante, selon le président du Conseil professionnel de Diabète Québec, le Dr Rémi Rabasa-Lhoret. La demande pour l’Ozempic, en croissance continue depuis son approbation par Santé Canada en 2018, demeure à ce jour soutenable. Des données de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) obtenues par Le Devoir montrent que le nombre de personnes ayant une prescription, toutes raisons confondues, est passé de 3 en 2018 à 36 500 aujourd’hui.

Selon lui, les Québécois auraient moins tendance à payer pour un médicament, contrairement aux Australiens, qui seraient plus enclins à débourser les 400 $ par mois que coûte la piqûre convoitée. La RAMQ ne rembourse l’Ozempic que dans certains cas précis de diabète de type 2.

Cet endocrinologue de l’Institut de recherches cliniques de Montréal appelle toutefois à la prudence lorsque vient le temps de prédire l’évolution de la situation. Selon lui, les effets combinés des réseaux sociaux et des publicités de la pharmaceutique Novo Nordisk sont « non négligeables ».

« Je n’en ai pas vu beaucoup dans ma carrière, mais ça fait partie des médicaments pour lesquels le patient arrive dans le bureau en disant : “Je veux ça.” D’habitude, pour convaincre quelqu’un de s’injecter [un traitement], il faut user de pas mal de salive. C’est une surprise de voir un patient dire : “J’aimerais bien avoir ce médicament.” »

Une science en ébullition

 

L’Ozempic n’est pas le seul traitement à être aussi efficace pour la perte de poids. Plusieurs laboratoires s’intéressent aux agonistes du récepteur GLP-1 — une large gamme de molécules qui agissent sur l’intestin et le pancréas pour augmenter la sécrétion d’insuline et envoyer au cerveau des signaux de satiété.

« Ces molécules sont dans la mire ces temps-ci. La science est vraiment en ébullition », indique Alexandre Caron, professeur en pharmacie à l’Université Laval et titulaire de la chaire de recherche du Canada en pharmacologie neurométabolique.

Alors que les premiers traitements, conçus il y a plus de 10 ans, entraînaient une perte de poids d’environ 5 %,les plus récents, comme l’Ozempic, atteindraient la barre des 15 %, selon le fabricant Novo Nordisk. Une méta-analyse chinoise effectuée en 2021 conclut plutôt que la perte de poids provoquée par l’Ozempic se situerait autour de 11 %.

Selon le professeur Caron, cette performance s'approche de celle de la chirurgie bariatrique, tout en étant moins intrusive. Il y voit un « game changer » pour les personnes en situation d’obésité, mais rappelle qu’il ne s’agit pas d’une « pilule magique ». Le Dr Rabasa-Lhoret estime que ce type de médicament est surtout un « outil supplémentaire dans l’arsenal du médecin », qui pourrait favoriser l’adoption de saines habitudes de vie.

À l’instar des utilisateurs de l’Ozempic rencontrés par Le Devoir, les deux chercheurs déplorent par ailleurs que l’obésité continue d’être stigmatisée chez nous. « Le Québec demeure la seule province à ne pas reconnaître l’obésité comme une maladie chronique », rappelle le professeur Caron.

L’affaire Mediator

Le Mediator, commercialisé par la pharmaceutique française Servier de 1976 à 2009 pour traiter le diabète de type 2, aurait causé la mort de 1500 à 2100 personnes. Ce médicament, qui était largement prescrit comme coupe-faim, provoquait de graves blessures au coeur et aux poumons. Servier a été reconnue coupable par la justice française en 2021 de tromperie aggravée, ainsi que d’homicides et blessures involontaires. L’agence française responsable de la sécurité des médicaments, l’ANSM, a été déclarée coupable du même chef d’accusation pour avoir tardé à retirer le Mediator du marché. Des enquêtes ont notamment révélé des trafics d’influence et des tentatives de dissimuler la toxicité du médicament.


Correction: Une version précédente de cet article présentait M. Alexandre Caron comme professeur en pharmacologie à l’Université Laval. Il fallait plutôt lire que M. Caron est professeur en pharmacie et titulaire de la chaire de recherche du Canada en pharmacologie neurométabolique.
 

 



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