Quand ArriveCAN empêche d’arriver à destination
Le casse-tête des douanes n’épargne pas les voyages aux États-Unis par voie terrestre. L’application ArriveCAN — obligatoire pour rentrer au Canada — allonge les files d’attente, critique le syndicat des douaniers. Plusieurs voyageurs dénoncent un système qui les soumet à une quarantaine sans raison valable.
Nancy Prada a poussé un soupir de soulagement l’hiver dernier lorsque la frontière entre le Canada et les États-Unis a été rouverte pour les touristes comme elle. Elle a recommencé à séjourner les fins de semaine dans son chalet au Vermont, tout juste de l’autre côté « des lignes ».
Or, ces banals voyages ne sont plus de tout repos. Elle doit chaque fois remplir un formulaire sanitaire sur l’application ArriveCAN. Et le logiciel connaît des ratés. « Une fois sur deux », cet interrogatoire électronique lui impose une quarantaine de 14 jours, en dépit d’un questionnaire dûment rempli. L’application considère faussement qu’elle n’est pas vaccinée contre la COVID-19 et qu’elle doit conséquemment s’isoler.
Une fois l’utilisateur enregistré comme un patient en quarantaine, il devient impossible de remplir à nouveau le formulaire. Cette impasse complique tout nouveau plan de voyage pendant deux semaines. « Toutes les deux semaines, ArriveCAN nous met en quarantaine », résume-t-elle.
Une preuve vaccinale sur papier et la clémence des douaniers permettent souvent de traverser la frontière sans trop de peine. Il suffit en revanche de tomber sur un agent plus tatillon pour qu’une énième quarantaine soit imposée. « Il y a deux semaines, la douanière n’a pas voulu accepter nos explications, avec la preuve écrite de notre demande d’aide technique, ni regarder nos preuves papier de vaccination, raconte Nancy Prada. Elle a dit que c’était à nous de régler le problème avec ArriveCAN et qu’elle n’avait pas à gérer le problème. »
Santé Canada aussi fait preuve de souplesse et exonère parfois les faux malades. Mais, quand la règle est appliquée, l’isolement forcé devient rapidement pénible. Un représentant du fédéral appelle tous les jours pour vérifier le confinement.
« L’infecté » doit réaliser des tests de dépistage devant une infirmière par vidéoconférence et lui acheminer les écouvillons par la poste. En cas de doute, un agent de contrôle vient cogner à la porte du lieu de quarantaine pour surveiller la solitude. « Mais, je n’ai pas la COVID-19 », assène Nancy Prada, exaspérée par ce traitement. « Nous devons être 14 jours en quarantaine juste parce que nous avons été dans le bois, sur le bord du lac, chez nous de l’autre côté de la frontière et que l’application ArriveCAN ne fonctionne pas comme il se doit, pendant que les personnes qui ont la COVID-19 sont en isolement seulement 5 jours. »
Elle fait remarquer que seule la bonne foi des voyageurs garantit l’efficacité de la mesure, une personne vaccinée, malade et menteuse pouvant franchir la douane sans problème.
Le casse-tête technologique
Ces couacs techniques exaspèrent tout particulièrement les plus âgés, moins férus d’électronique. C’est le cas de Renée Joyal, résidente de l’Estrie, qui effectue souvent l’aller-retour entre Magog et le Vermont voisin.
Elle ne possède pas de téléphone portable et a été prise de court la première fois à la douane. « [Pour éviter la quarantaine], il aurait fallu que j’aille m’acheter un téléphone aux États-Unis, le configurer et tout… Vous imaginez ? »
Elle a donc dû s’isoler, elle aussi, pour « une question de formalité ». Lors d’un autre voyage, elle a tenté de traverser la frontière en soumettant d’avance et par ordinateur les réponses exigées. « Quand il s’agissait d’envoyer [le formulaire], ça boguait », se désole la retraitée.
La quarantaine est d’ailleurs imposée « sous la menace de forte amende », rappelle la juriste de carrière. « Ç’a vraiment l’apparence d’une surveillance policière électronique. »
Les voisins octogénaires de Nancy Prada sont, eux, « en train de devenir fous » avec cette application, dit-elle. Sans littératie numérique, ils songent à vendre leur propriété tant changer de pays est devenu compliqué.
La porte-parole de l’Agence des services frontaliers du Canada, Rebecca Purdy, reconnaît que l’application souffre de quelques défaillances, mais affirme « [qu’il] n’y a pas eu de pannes récentes ou généralisées ni d’incidents critiques signalés ».
Un formulaire en ligne est disponible pour « les voyageurs qui […] reçoivent des notifications d’ArriveCAN par erreur », rassure-t-elle.
Une modernité qui retarde
Les vacances de la construction débutent dans quelques semaines, et les files pour rentrer au Canada pourraient être plus longues qu’à l’habitude en raison d’ArriveCAN, prévient le syndicat des Douanes et de l’Immigration.
Son président, Mark Weber, a critiqué il y a quelques jours cette application devant le Comité permanent du commerce international. « Là où un poste frontalier traitait 60 voitures par heure auparavant, il n’en traite plus que 30, voire moins. Aux frontières terrestres, en ce qui concerne les opérations avec les voyageurs, cela signifie que les voitures attendent pendant des heures, et se voient parfois redirigées vers un autre poste plus éloigné », a-t-il plaidé.
Près de 25 % des voyageurs ne remplissent pas l’application correctement, selon lui.
ArriveCAN est là « au moins » jusqu’au 30 septembre, a confirmé la semaine dernière l’Agence de la santé publique du Canada.
Aucune décision n’a été prise quant à l’avenir à long terme de l’application, nuance le cabinet du ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino. Son directeur des communications, Alexander Cohen, insiste tout de même sur « l’expérience du passage de la frontière plus facile et plus efficace » avec ArriveCAN. « Selon nos statistiques les plus récentes, […] 94,10 % des voyageurs terrestres ont utilisé [cette application] avec succès. »
Depuis le début de l’obligation d’isolement pour les voyageurs infectés, le 25 mars 2020, plus de 4 700 000 voyageurs ont dû être mis en quarantaine à leur entrée au Canada.