L’infirmière comme bras droit du médecin

L’infirmière Janie Charest (à gauche) est embauchée directement par le Dr Claude Rivard, médecin de famille. Grâce à elle, le terrain est déblayé pour lui: dans son bureau, il n’a plus qu’à ausculter ses patients et à les questionner sur des points ciblés.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir L’infirmière Janie Charest (à gauche) est embauchée directement par le Dr Claude Rivard, médecin de famille. Grâce à elle, le terrain est déblayé pour lui: dans son bureau, il n’a plus qu’à ausculter ses patients et à les questionner sur des points ciblés.

Le bon soin, au bon moment, au bon endroit, par le bon professionnel. C’est le nouveau mantra du ministère de la Santé et des Services sociaux, qui mise sur l’interdisciplinarité pour améliorer l’accessibilité des soins de première ligne et désengorger les urgences. Le Devoir vous présente des initiatives où les professionnels poussent la collaboration au maximum, au bénéfice des patients. Dernier texte de trois.

Janie Charest est le bras droit du Dr Claude Rivard. Véritable dynamo, l’infirmière voit tous les patients du médecin de famille avant les consultations. Prise de signes vitaux, liste des petits maux et des problèmes de santé à aborder, résultats d’analyses sanguines… Elle déblaie le terrain pour le Dr Rivard, qui n’a plus qu’à ausculter le patient et à le questionner sur des points ciblés. « Ça lui fait économiser du temps », dit-elle.

Le Dr Rivard pratique à la clinique familiale des Hauts-Bois, à Sainte-Julie, en Montérégie. Il a embauché Janie Charest il y a trois ans. Le médecin la paye de sa poche. « Ça me coûte 40 000 $ par année et ça inclut le salaire et le loyer de son cubicule », affirme-t-il. L’infirmière technicienne gagne 35 $ l’heure et travaille entre 20 et 25 heures par semaine, précise-t-il.

Le Dr Rivard croit qu’il s’agit d’une formule gagnante. « Je dois voir quatre à cinq patients de plus par jour, estime-t-il. Et je pense que je leur donne un meilleur service. »

Vêtu d'un jean bleu, d'une chemise quadrillée et de souliers de randonnée, le Dr Rivard est un médecin hors norme. Il a embrassé la médecine sur le tard après avoir délaissé le métier d’agriculteur — il a élevé de la volaille pendant huit ans. « J’étais tanné de travailler sept jours par semaine. Je ramassais 2000 œufs par jour et je voulais voir du monde ! »

L’homme de 62 ans, qui exerce la médecine depuis 27 ans, travaille encore beaucoup. Mais il voit du monde. Il compte 1400 patients inscrits. Malgré tout, le médecin affirme pouvoir « prendre son temps » lors de ses consultations médicales. Et c’est, selon lui, grâce à la présence de Janie Charest.

Efficacité et santé mentale

 

Au Québec, les médecins de famille qui font équipe avec une infirmière pour leurs consultations en cabinet sont une minorité. Les omnipraticiens exerçant dans un groupe de médecine familiale (GMF) ont plutôt recours, par exemple, à des infirmières cliniciennes — prêtées par les CIUSSS et CISSS — pour des suivis de maladies chroniques, comme le diabète. Quand ils y ont accès… Depuis deux ans, bien des médecins se sont plaints au Devoir d’avoir perdu des professionnels en GMF et de ne les avoir jamais tous retrouvés.

Dans ce contexte, les nouveaux médecins ont tout intérêt à embaucher leur « propre » infirmière, pense le Dr Rivard, aussi président de L’Association des médecins omnipraticiens Richelieu-Saint-Laurent. « Un jeune qui commence sa pratique a les moyens de s’en payer une, soutient-il. C’est une bonne affaire d’avoir de l’aide en commençant. C’est même mieux pour lui. » Pour sa « santé mentale », entre autres, ajoute-t-il.

Janie Charest abat beaucoup de travail pour le Dr Rivard. Dans la clinique des Hauts-Bois, la menue infirmière marche d’un pas pressé. Lors du passage du Devoir, elle a pesé et mesuré le petit Hubert — « bravo champion ! » — et questionné sa mère sur son développement et ses nombreuses otites. Elle a discuté de 13 problèmes de santé avec une patiente. Elle a procédé à deux injections de vaccin de désensibilisation pour des allergies et répondu à l’appel d’une inhalothérapeute en soins à domicile au sujet d’une aînée suivie par le Dr Rivard.

L’infirmière vérifie aussi les résultats des analyses sanguines — entre 20 et 30 par jour, selon le Dr Rivard. « Toutes les analyses que je vois, ce sont les analyses anormales, dit le médecin. Les analyses où tout est beau, c’est déjà classé. Ça diminue ma charge de travail. »

Les patients y gagnent. Jauvette Lechasseur, 68 ans, a apprécié faire le tour de ses problèmes de santé avec Janie Charest. « C’est bon parce que tout ce que je lui ai dit, elle va le communiquer au Dr Rivard. Rendue dans le bureau, souvent j’en oublie », explique la préposée aux bénéficiaires, qui travaille en chirurgie à l’Hôpital Pierre-Boucher.

« Qualité de vie »

Le Dr Rivard reconnaît que tous les médecins de famille ne peuvent adopter son modèle. L’espace est parfois limité dans les cliniques médicales et aucun local n’est disponible pour une nouvelle infirmière. « Mais deux docteurs peuvent se la partager », avance-t-il.

Le réseau de la santé pourrait aussi pâtir d’embauches massives d’infirmières en cabinet, considérant la pénurie de main-d’oeuvre actuelle. « Tu offres une job de jour la semaine à une jeune femme qui a des enfants, qui est pognée de soir et qui fait du TSO [temps supplémentaire obligatoire]. On est plus intéressants que le réseau », juge le Dr Rivard.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Grâce à l’infirmière Janie Charest, le Dr Claude Rivard (à droite) voit «quatre à cinq» pa-tients de plus par jour. «Et je pense que je leur donne un meilleur service», dit-il.

Janie Charest, elle, adore son travail qui lui offre « une qualité de vie ». La mère de famille monoparentale veut « donner du temps » à ses trois adolescents de 13, 14 et 15 ans, dont un a des troubles d’apprentissage. Elle peut se permettre de travailler à temps partiel. « J’ai eu la chance d’acheter ma maison très jeune, explique-t-elle. Je n’ai pas des paiements jusqu’au cou. »

Janie Charest ne ferme pas la porte à un retour, un jour, à l’urgence de l’Hôpital Pierre-Boucher, où elle a travaillé dans le passé. « La fibre de l’urgence a toujours été forte », dit-elle, le sourire aux lèvres. Pour le moment, l’infirmière se sent utile là où elle est. Et elle demeure persuadée que son « métier est le plus beau du monde ».



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