Des pharmaciens montent au front de la santé
Le bon soin, au bon moment, au bon endroit, par le bon professionnel. C’est le nouveau mantra du ministère de la Santé et des Services sociaux, qui mise sur l’interdisciplinarité pour améliorer l’accessibilité des soins de première ligne et désengorger les urgences. Le Devoir vous présente des initiatives où les professionnels poussent la collaboration au maximum, au bénéfice des patients. Premier texte de trois.
« Je vivais sur du temps emprunté, pis là, j’emprunte et je remets pas ! » Nicole Berthelet, 81 ans, n’a jamais été aussi heureuse de s’endetter. Elle a frôlé la mort, et son pronostic est sombre. Elle souffre, entre autres, d’insuffisance cardiaque, de troubles pulmonaires et de problèmes aux reins. Pour survivre, elle doit prendre une quinzaine de médicaments par jour.
Nicole Berthelet est suivie de près par une équipe multidisciplinaire du groupe de médecine de famille universitaire (GMF-U) Laval, situé à la Cité de la santé. « Je pense que, s’ils étaient pas là, mon temps emprunté serait fini, ça fait longtemps ! » lâche-t-elle au téléphone en éclatant de rire.
Cette citoyenne de Sainte-Thérèse est prise en charge par un médecin de famille du GMF-U — le Dr Jean Rivest, son « bon Dieu », comme elle dit —, mais aussi par une équipe de pharmaciennes, dont fait partie Marie-Claude Vanier. Cette dernière connaît Mme Berthelet depuis une quinzaine d’années.
« Les médecins sont durs à joindre, et avec Marie-Claude, c’est numéro 1 ! dit Nicole Berthelet. Elle, elle peut le joindre, le Dr [Jean] Rivest. Elle peut lui poser des questions et elle va me rappeler et me conseiller. Ça me rassure sur bien des choses. »
Lors du passage du Devoir au GMF-U Laval, la pharmacienne discutait au téléphone avec Mme Berthelet des résultats de ses dernières prises de sang et lui indiquait les doses d’anticoagulant à prendre en conséquence. Elle en a profité pour la questionner sur ses autres problèmes de santé.

Après l’appel, Marie-Claude Vanier a envoyé par télécopieur une requête au CLSC de Sainte-Thérèse afin qu’une infirmière du service à domicile se rende chez Mme Berthelet et effectue de nouveaux prélèvements. Dernièrement, la pharmacienne a aussi demandé que sa patiente soit vue à la maison par une physiothérapeute. Mme Berthelet peine à se déplacer, surtout depuis sa récente hospitalisation pour pneumonie.
« Des patients comme ça, complexes, on les aide à naviguer dans le système », explique Marie-Claude Vanier, assise devant son écran d’ordinateur, en écrivant des notes dans le logiciel de dossiers médicaux électroniques.
Une exception
Le GMF-U Laval fait figure d’exception dans le réseau de la santé québécois. Depuis 2004, un pharmacien y est présent du lundi au vendredi. Au Québec, la grande majorité des GMF comptant un pharmacien dans leur équipe l’emploient à temps partiel. « À l’heure actuelle, leur présence n’est en moyenne que de 16 heures par semaine », confirme la coordonnatrice du Réseau québécois des pharmaciens GMF, Anne Maheu.
Le regroupement d’environ 350 professionnels réclame que des pharmaciens soient intégrés dans tous les GMF du Québec et que les postes soient rehaussés à un équivalent de temps complet pour chaque tranche de 10 000 patients inscrits. Un appel qui commence à être entendu. Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a récemment accordé du financement à cinq GMF de diverses régions (Montréal, Lanaudière, Bas-Saint-Laurent, Beauce et Saguenay) afin de rehausser à temps complet des postes de pharmaciens.
Au GMF-U Laval, quatre pharmaciennes se partagent une tâche à temps complet. Le poste est financé par le MSSS (deux jours par semaine), l’Université de Montréal et le CISSS de Laval.
Selon Marie-Claude Vanier, la présence d’un pharmacien à temps plein permet de libérer du temps des médecins et des infirmières praticiennes spécialisées (IPS). Ses collègues et elle assurent le suivi de beaucoup de patients qui souffrent, par exemple, de douleurs chroniques, de dépression ou d’anxiété. Elles répondent aussi aux questions de médecins et d’IPS concernant la médication ou la modification de doses, par téléphone ou par la messagerie du logiciel de dossiers médicaux électroniques.
Je suis sûre que le suivi des pharmaciennes a permis d’éviter des consultations à l’urgence.
« Un des défis qu’on a actuellement, c’est que, bien qu’on soit à temps plein, on a de la difficulté à répondre à la demande », dit Marie-Claude Vanier, aussi professeure titulaire de clinique à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal.
Les pharmaciennes tentent de transférer les suivis simples aux pharmaciens communautaires, afin de se concentrer sur les cas plus complexes. Elles ont un pouvoir accru grâce à une entente dite « de pratique avancée en partenariat » conclue avec l’équipe clinique. Elles peuvent prescrire un médicament sans l’approbation d’un médecin, « pour tout patient dont le problème de santé est déjà diagnostiqué », précise Marie-Claude Vanier.
Un service populaire
La Dre Pascale Thomas-Couture avoue être « l’une des grandes utilisatrices des pharmaciennes » du GMF-U Laval, où elle pratique depuis trois ans. « On ne s’en passerait pas ! » La jeune médecin de famille, qui détient une formation supplémentaire en soins aux personnes âgées, suit 600 patients, dont 130 âgés de 75 ans et plus. Ces aînés viennent du guichet d’accès aux médecins de famille.
« Ce sont des patients qui n’ont pas été vus depuis longtemps par un médecin, parfois depuis cinq ou sept ans, précise la Dre Thomas-Couture. Ça peut être des prises en charge qui sont lourdes. Ils arrivent avec une liste de dix problèmes. »
Les pharmaciennes l’aident à « rationaliser » (le nouveau terme pour « déprescrire ») les médicaments jugés non pertinents. « Pour sevrer de certaines pilules, ça prend du temps, explique la Dre Thomas-Couture. Il faut y aller sur des mois. »
Au cours du sevrage, le patient doit être contacté toutes les deux ou trois semaines afin d’éviter des effets indésirables, comme la confusion, poursuit-elle. « [Comme médecin], on ne peut pas se permettre de faire cela, dit-elle. Je suis sûre que le suivi des pharmaciennes a permis d’éviter des consultations à l’urgence. »
Le Dr Jean Rivest, qui pratique au GMF-U Laval, estime « essentielle » l’approche en équipe dans les cas complexes. « Peut-être que certains plus vieux médecins étaient insultés quand ils recevaient un avis [de la part de pharmaciens], mais je pense que maintenant, ce n’est plus du tout le cas, affirme-t-il. Les patients sont plus lourds et il y a beaucoup plus de médicaments qu’avant. »
Les futurs médecins sont exposés à la collaboration interprofessionnelle dans les GMF-U comme celui de Laval. Une étudiante en pharmacie de deuxième année partageait le bureau de Marie-Claude Vanier lors de notre visite. Un médecin et une IPS suivaient, à distance, des résidents et stagiaires. Une caméra captait en direct leurs interventions auprès de patients dans des locaux du GMF-U.
« Ici, il n’y a pas de hiérarchie », dit l’IPS Caroline Renaud. Elle salue les nouvelles lois qui permettent aux divers professionnels de travailler avec leurs « pleines compétences » et « de [faire] voir le bon patient, au bon moment par le bon professionnel ».
Un remède miracle, l’interdisciplinarité ? Non, répond le Dr Jean Rivest. Mais un des remèdes pour soulager la première ligne et, surtout, des patients orphelins.
(Mise à jour 2/06/22) Contrairement à ce qui a été écrit dans une version antérieure, les infirmières praticiennes spécialisées ne peuvent « superviser » un médecin résident. Elles peuvent toutefois suivre l'intervention en direct.