Cri du coeur des psychologues du réseau public
De meilleures conditions de travail et davantage d’autonomie professionnelle sont au cœur des revendications des psychologues et des neuropsychologues du réseau public québécois, qui ont organisé une manifestation dimanche après-midi au square Dorchester, à Montréal.
« Je travaille dans un Centre de services scolaire et, à la fin de l’année, on est tous épuisés », dit Lian Boulet. Récemment diplômée d’un doctorat en psychologie et travaillant dans le réseau public, elle songe à faire le saut vers le privé. Elle est venue à la manifestation accompagnée de deux amies, avec qui elle bavarde, assise sur le gazon.
Lian a amorcé sa carrière dans le réseau public, notamment en raison d’un incitatif gouvernemental ; si les étudiants s’engagent à effectuer leurs deux internats dans le réseau public et à y travailler pendant deux ans ou à effectuer 150 heures de bénévolat, ils bénéficient d’une bourse de 25 000 $. « Mais c’est comme un bonbon qui ne goûte pas si bon », déplore Lian.
De nombreux enfants courent dans tous les sens tandis que des bénévoles distribuent de petits instruments servant à imiter le bruit des applaudissements. Mais malgré l’ambiance joyeuse du rassemblement, qui se déroule sur fond de dynamiques chansons de Charlotte Cardin ou de Britney Spears et des coups de Klaxon des automobilistes qui roulent dans la rue Metcalfe, la colère des manifestants est bien réelle.
Je travaille dans un Centre de services scolaire et, à la fin de l’année, on est tous épuisés
Les personnes rencontrées par Le Devoir sont unanimes : le métier de psychologue au public est mis à mal. « [En effet], 40 % des psychologues quittent le réseau public dans leurs premières cinq années de pratique », et il existe « un écart salarial de plus de 40 % entre les psychologues travaillant au public et ceux qui sont au privé », explique Catherine Serra-Poirier, vice-présidente de la Coalition des psychologues du réseau public québécois, l’organisme qui a organisé la manifestation.
Elle mentionne aussi que les délais d’attente au public sont actuellement de 6 à 24 mois et que 20 000 personnes figurent sur la liste d’attente pour obtenir un rendez-vous auprès d’un psychologue. Les premiers à en pâtir sont les personnes socio-économiquement défavorisées, mais aussi les patients présentant un cas complexe. « Par exemple, les psychologues au privé refusent souvent de prendre en charge les cas de trouble alimentaire, car cela nécessite une grande équipe » avec un nutritionniste et un médecin, par exemple, alors que le réseau public favorise davantage une telle interdisciplinarité.
« Au point mort » avec le ministre
Sur la plupart des pancartes tenues par les manifestants figurent les mots « Urgence d’agir », mais on peut aussi apercevoir, sur quelques-unes d’entre elles, le visage du ministre délégué à la Santé et aux services sociaux, Lionel Carmant, avec des slogans l’appelant à intervenir de manière plus cohérente dans le domaine de la santé mentale.
« En ce moment, on est au point mort [dans les discussions avec le ministre] », mentionne Mme Serra-Poirier. Elle explique que l’une des revendications principales de la Coalition est d’obtenir la création d’un syndicat uniquement pour les psychologues, mais que cette demande a été refusée par le gouvernement. « On a une pénurie de main-d’œuvre depuis dix ans, ça nous prend une solution spécifique », lance-t-elle, soulignant que, parmi tous les corps de métier avec lesquels les psychologues sont actuellement syndiqués, ceux-ci sont les seuls qui doivent obligatoirement détenir un doctorat pour pratiquer.
Récemment admise au doctorat en psychologie, la chanteuse Florence K est aussi ambassadrice pour la Coalition des psychologues du réseau public québécois. Interceptée par Le Devoir peu avant qu’elle livre une interprétation du classique Summertime sur la petite scène installée pour l’occasion, elle a vanté les mérites du réseau public : « Je ne serais pas psychologue si je n’avais pas eu accès à une thérapie dans le réseau public. » À ses côtés, la finissante au doctorat Lysa-Marie Hontoy rappelle que « les psychiatres sont payés 300 % de plus pour le même nombre d’années d’études ».
Sur la scène ont été installés cinq gros ballons gonflables qui forment le nombre 20 000, soit le nombre de patients en attente d’un rendez-vous auprès d’un psychologue au public. Pour clore le discours des organisatrices, dans un geste symbolique, l’un des organisateurs a crevé un à un les ballons pour que, de ce nombre, il ne reste plus rien.