Une trentaine de postes de médecins de famille toujours vacants en périphérie de Montréal 

Cette situation atypique soulève de sérieuses questions au moment où les guichets d’accès débordent.
Photo: Aliaksandr Litviniuk Getty Images Cette situation atypique soulève de sérieuses questions au moment où les guichets d’accès débordent.

Des postes destinés aux nouveaux médecins de famille tardent à trouver preneurs en périphérie de Montréal. En date de lundi, 35 places étaient toujours vacantes, principalement en Montérégie et dans Lanaudière. Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) assure que « plusieurs » d’entre elles devraient être pourvues d’ici le 15 janvier. Mais des médecins en doutent. Et se désolent que cela retarde la prise en charge de patients.

« C’est très atypique que 35 places demeurent non pourvues en périphérie de Montréal après deux tours d’attribution », soutient la Dre Ariane Murray, chef de table locale au Département régional de médecine générale (DRMG) de Montréal. « Ça veut dire que des finissants, de jeunes médecins, vont faire autre chose. »

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C’est le nombre de postes destinés à de nouveaux médecins de famille qui étaient toujours vacants en périphérie de Montréal lundi, principalement en Montérégie et dans Lanaudière.

Mais quoi exactement ? La question demeure entière, selon la Dre Lyne Couture, présidente par intérim de l’Association des médecins omnipraticiens Laurentides-Lanaudière. « Est-ce qu’ils sont plus allés dans le privé cette année ? Est-ce qu’ils sont allés en Ontario ? Est-ce que le fameux docteur bashing et la lourdeur administrative ont fait fuir plus de candidats ? »

Au Québec, les finissants en médecine familiale sont invités chaque automne à poser leur candidature pour obtenir un poste de nouveau facturant dans le cadre des plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM), un système visant à répartir équitablement les ressources médicales sur le territoire québécois.

Les futurs médecins doivent sélectionner un lieu de pratique — par exemple, le réseau local de services (RLS) de Vaudreuil-Soulanges, en Montérégie — et espérer obtenir une place. S’ils n’y parviennent pas, ils peuvent faire une autre demande au deuxième tour, puis au troisième tour.

Est-ce qu’ils sont plus allés dans le privé cette année ? Est-ce qu’ils sont allés en Ontario ? Est-ce que le fameux docteur bashing et la lourdeur administrative ont fait fuir plus de candidats ?

Ils peuvent aussi abandonner et se tourner vers d’autres options : faire du dépannage en région éloignée, effectuer une formation complémentaire de trois mois (en périnatalité, par exemple), pratiquer au privé ou déménager dans une autre province.

« On va espérer qu’il y en ait plusieurs qui aient fait une formation complémentaire », dit la Dre Couture. Si c’est le cas, ces derniers pourraient pratiquer dès décembre dans un poste en périphérie de Montréal, précise-t-elle.

Le président de l’Association des médecins omnipraticiens du Sud-Ouest, le Dr Sylvain Dufresne, a peu d’espoir que de nouveaux médecins soient recrutés dans le RLS de Vaudreuil-Soulanges (trois postes vacants) ou dans le RLS du Suroît (sept postes vacants). « Il n’y a pas d’hôpital à Vaudreuil-Dorion, explique-t-il. Les jeunes médecins, pour plusieurs, veulent faire de la deuxième ligne [en centre hospitalier] », dit-il.

Des postes pourvus à Montréal

La Dre Murray, responsable du comité des PREM et des activités médicales particulières au DRMG de Montréal, déplore qu’autant de postes soient non pourvus, alors que les guichets d’accès aux médecins de famille explosent dans la métropole et que des médecins sont prêts à y travailler.

Elle n’a pas digéré que Montréal perde une trentaine de places de nouveaux facturants au profit du 450 l’été dernier, après une intervention inédite du ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, et dévoilée par Le Devoir.

« À cause de ce débalancement de la répartition des PREM, il risque d’y avoir des postes vacants parce que les médecins qui veulent vraiment pouvoir venir travailler à Montréal, pour souvent de très bonnes raisons (ex. : conjoint), plutôt que d’être forcés d’aller travailler plus loin, ils vont attendre avant de s’installer et vont repostuler l’automne prochain », explique-t-elle. Pendant ce temps, des patients attendent un médecin, fait-elle valoir.

Lors du congrès Première ligne en santé, à Montréal, la semaine dernière, le ministre Dubé a affirmé que ce transfert de postes de Montréal vers les couronnes nord et sud avait été une décision « difficile », mais nécessaire. « On savait qu’on devait aller dans le 450 parce qu’il en manquait plus là », a-t-il précisé. Le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, le Dr Marc-André Amyot, a pour sa part qualifié de « tout à fait arbitraire » cette décision basée « sur la couleur de la carte électorale ».

Au MSSS, on souligne que la région de la Montérégie a trouvé un titulaire pour 85 des 100 postes de nouveaux facturants en médecine familiale. La région de Lanaudière, elle, en a pourvu 20 sur 31. « Il est important de préciser que bien que Lanaudière et la Montérégie soient des régions périphériques et non éloignées ou intermédiaires, certains sous-territoires sont historiquement moins attractifs pour les nouveaux médecins du Québec », précise le MSSS. C’est le cas du territoire du CLSC Matawinie (deux places vacantes) et du RLS du Suroît (sept).

Un système plus flexible

 

Le Dr Marc-André Amyot croit que le gouvernement doit revoir le système d’attribution des places des nouveaux facturants. Actuellement, les postes affichés sont associés à des activités médicales particulières (des AMP, dans le jargon, c’est-à-dire des tâches imposées aux médecins ayant moins de 15 ans de pratique). Un médecin qui souhaite pratiquer uniquement en cabinet peut être obligé de travailler en CHSLD ou à l’hôpital.

« On adapte les contraintes en fonction des besoins [de la population], c’est une façon de voir, dit le Dr Amyot. Mais ça a un effet très négatif sur les médecins en soi. » Des jeunes préfèrent travailler ailleurs (au privé, par exemple), parce que leur pratique dans le réseau public ne correspond pas à leurs aspirations, selon lui.

Le Dr Amyot croit qu’il y a moyen d’être plus flexible dans la définition de poste. « Si l’année passée, on avait un docteur qui était prêt à faire juste du CHSLD, pourquoi on ne lui aurait pas permis de faire juste du CHSLD ? Ça aurait peut-être permis, cette année, à un docteur qui veut faire juste de la prise en charge de faire juste de la prise en charge. »

La Dre Marie-Ève Fortin, elle, a choisi de pratiquer dans une clinique privée. Elle n’a pas obtenu de poste dans la région où elle habite, Chaudière-Appalaches. « J’ai deux enfants, et mon conjoint a sa clinique vétérinaire à Lévis. Je ne suis pas mobilisable pour aller dans une autre région », explique la femme de 40 ans.

Marie-Ève Fortin est elle aussi vétérinaire. Elle a entrepris des études en médecine familiale à l’âge de 34 ans dans l’espoir de prendre uniquement en charge des patients orphelins. Or, sa région exige des nouveaux médecins la réalisation de diverses AMP, à l’hôpital ou en CHSLD, par exemple. Impossible pour elle d’obtenir un poste. « Je suis très sensible à la clientèle vulnérable, dit-elle. C’est un deuil que je fais en allant au privé. »

La nouvelle médecin affirme ne pas être la seule à faire le saut vers le privé : deux autres de ses collègues feront de même cet été.

 

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