La coroner Kamel prône la fin des CHSLD privés

La pandémie a démontré que le modèle des centres pour aînés entièrement privés appartient au passé, avance la coroner Géhane Kamel, qui réclame la « déprivatisation du système » et un virage vers les soins à domicile.

« Les CHSLD privés sont malheureusement une solution non viable si on veut offrir une qualité de soins digne de ce que les personnes âgées méritent », écrit Mme Kamel dans son rapport sur les nombreux décès survenus dans les résidences pour aînés au début de la pandémie.

La coroner ne fait pas allusion ici aux résidences privées pour aînés dites « conventionnées », qui sont financées par le gouvernement, mais aux CHSLD entièrement privés, comme le CHSLD Herron. Ces derniers devraient tous devenir conventionnés, recommande-t-elle. Dans son rapport, elle note que le taux de mortalité y a été plus élevé et qu’ils manquent encore plus de personnel que les autres établissements. Ils sont, écrit-elle, l’un des « angles morts importants de cette crise ».

Les principaux intéressés sont d’accord avec ce point de vue. L’Association des établissements de longue durée du Québec, qui représente la majorité des 40 CHSLD privés de la province, avait d’ailleurs plaidé pour un tel changement lors de son passage devant la coroner en novembre dernier.

« L’investissement dans le soutien à domicile, l’autre enfant pauvre du système de santé, est certainement une avenue à explorer », fait aussi valoir Mme Kamel, citant en exemple quelques « pistes de solutions » présentées autrefois par l’ex-ministre péquiste de la Santé Réjean Hébert.

Lancée en juin 2020, son enquête s’est surtout penchée sur le décès de 53 personnes dans des résidences publiques et privées  — au CHSLD Herron, en particulier — lors des premiers mois de la pandémie. Ces décès avaient tous un caractère obscur ou découlaient possiblement de négligence. Les travaux de la coroner comportaient aussi un « volet national » sur l’action du gouvernement et les choix faits par les décideurs dans le cadre de la pandémie.

Blais « crédible », McCann absente, Arruda écorché

Géhane Kamel en conclut que la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, est celle qui a livré l’explication la plus « crédible » de l’attention tardive qu’a donnée le gouvernement aux résidences pour aînés. « Je crois, jusqu’à ce jour, qu’elle a tenté de se faire entendre, mais que l’emphase sur les milieux hospitaliers était tellement grande que sa voix ou celle de son cabinet n’a eu d’échos que tardivement. »

Quant à la ministre de la Santé de l’époque, Danielle McCann, le rapport la mentionne à peine.

Par contre, l’ex-directeur national de santé publique du Québec Horacio Arruda sort écorché de l’exercice. « Lors de son témoignage, [il] a avancé que les CHSLD étaient moins susceptibles d’être frappés par la COVID-19 que les centres hospitaliers », écrit Mme Kamel, en soulignant que cette « opinion » ne « reposait sur aucune évidence concrète ». « Ils ont ainsi justifié la décision gouvernementale d’affecter prioritairement les ressources disponibles aux milieux de soins aigus et de ne pas rehausser les mesures de prévention pour lutter contre une éventuelle transmission par inhalation d’aérosols dans les milieux de soins de longue durée. »

Toujours au sujet du Dr Arruda, la coroner avance qu’on devrait donner plus d’indépendance à sa fonction dans l’avenir. Le « doute s’installe » dès qu’on présume que le grand patron de la Santé publique « module ses propos ou ses recommandations […] afin d’être en phase avec les priorités du gouvernement », écrit-elle. Or, que cette impression soit fondée ou non, elle doit être dissipée, selon la coroner.

Le ministère de la Santé a quant à lui fait gravement erreur en empêchant les proches aidants de se rendre dans les CHSLD. « L’une des raisons invoquées par le MSSS pour restreindre l’accès des proches aidants a été la protection des aidants, étant eux-mêmes vulnérables, faisant référence au fait que la plupart d’entre eux sont âgés. Or, cette information n’est pas documentée et est à la rigueur infantilisante pour les familles », fait valoir Mme Kamel.

« Du jour au lendemain, les personnes âgées vivant en résidence se sont vues coupées du monde extérieur lors de la première vague, et plusieurs sont mortes sans avoir pu communiquer avec leurs proches. C’est un drame humain qui donne le vertige. »

Pire encore, la coroner se désole des circonstances dans lesquelles des soins palliatifs ont pu être donnés. « À maintes et maintes reprises, les proches aidants et les familles ont signifié durant les audiences que leur consentement avait été obtenu au terme d’une discussion sommaire qui, à l’évidence, rendait celui-ci caduc, car non éclairé », peut-on lire dans le rapport.

« Dans les faits, une fois la sédation palliative initiée, aucun autre questionnement ou manœuvre diagnostique n’était fait. On attendait le décès, et aucun soignant ne venait examiner ou remettre en question le diagnostic. On fermait la porte de la chambre et l’on n’y venait plus que pour s’assurer que tout était calme et paisible », écrit-elle.

« Quelques résidents ont eu droit à la visite d’un membre de la famille, beaucoup n’ont même pas eu cette chance. Pour un coroner, que de nombreux résidents soient décédés sans avoir eu droit à une visite d’un médecin durant leur ultime maladie est non seulement triste, mais inquiétant. »

Du travail en vase clos

 

Ceux qui espéraient voir ce rapport désigner clairement des coupables seront déçus. À l’exception de certaines mauvaises décisions prises par le gouvernement, c’est d’abord l’échec d’un système qui est constaté dans ce rapport.

« Que s’est-il passé pour que nous n’ayons pas agi à cette préparation ? La thèse la plus probable et qui revient tout au long de la trame de fond est le travail “en silo” », fait remarquer Géhane Kamel.

Ainsi, les instances de sécurité civile n’ont pas joué leur rôle, et la planification clinique s’est faite en « vase clos » dans les ministères, tandis que « les données disponibles étaient nettement insuffisantes pour permettre la gestion en temps réel ». D’emblée, même si la communication était « le nerf de la guerre », l’enquête « a mis en lumière des systèmes d’information qui ne se parlaient pas entre eux et qui étaient désuets ».

Toutefois, la coroner se dit « convaincue que tous les efforts nécessaires ont été mis en place pour répondre » au manque de personnel.

Pas moins de 4836 personnes sont décédées de la COVID-19 dans les milieux réservés aux aînés durant la pandémie ; 3675 d’entre eux étaient hébergés en CHSLD. Le rapport contient un total de 23 recommandations à l’intention du gouvernement du Québec (10), du ministère de la Santé (8), des Centres intégrés de santé et de services sociaux (4) et du Collège des médecins (1).

Invité à réagir, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a dit lundi qu’il n’avait pas encore lu le rapport et qu’il préférait donc attendre avant de le commenter dans le détail. Il a toutefois indiqué que le gouvernement était dans l’ensemble « à l’aise » avec les recommandations de la coroner Kamel.

Les 23 recommandations du rapport de la coroner Kamel

Que le gouvernement du Québec :

revoie le rôle du directeur national de santé publique afin que ses fonctions soient exercées en toute indépendance et sans contrainte politique ;

évalue la possibilité de mettre en place un service civique volontaire d’urgence qui serait chapeauté par le ministère de la Sécurité publique, tout comme cela se voit parfois en cas de catastrophe naturelle ;

revoie rapidement l’offre de service de nos aînés
en convertissant tous les CHSLD privés en CHSLD privés conventionnés ;

augmente l’offre de service pour le maintien à domicile de nos aînés ;

s’assure d’une politique inclusive en temps de crise
pour permettre qu’au moins deux proches aidants puissent visiter la personne hébergée de façon sécuritaire ;

implante des ratios sécuritaires professionnels en soins/résidents dans les CHSLD ;

rehausse, lorsque requis, le nombre de gestionnaires en CHSLD pour s’assurer de couvrir tous les quarts de travail (pouvoirs délégués de soir et de nuit) ;

prévoie des discussions avec les instances syndicales afin de revoir ou d’ajouter, le cas échéant, des clauses de convention collective permettant une disponibilité et un délestage accrus du personnel lors d’une urgence sanitaire ;

planifie les nouvelles infrastructures ou les rénovations des milieux d’hébergement en s’assurant que les milieux puissent répondre aux exigences requises en matière de soins de santé notamment en temps de crise sanitaire ;

s’assure que les milieux d’hébergement puissent offrir des chambres individuelles aux résidents.

 

Que le ministère de la Santé et des Services sociaux :

introduise le principe de précaution au centre de toute démarche d’évaluation et de gestion des risques ;

assure une plus grande imputabilité des gestionnaires des CISSS / CIUSSS et du MSSS quant aux soins prodigués aux personnes âgées en perte d’autonomie par le suivi d’indicateurs et une obligation d’intervention en cas problèmes dans la qualité des soins ;

s’assure de maintenir en tout temps l’approvisionnement nécessaire en équipements de protection en plus de prévoir des réserves pour subvenir aux besoins en cas de crise ;

définisse quels soins de confort les installations en CHSLD doivent minimalement être en mesure d’offrir ;

établisse un plan national afin de doter tous les CHSLD des équipements nécessaires pour donner ces soins ;

revoie les formations techniques afin que les infirmières en CHSLD et, le cas échéant, les infirmières auxiliaires soient en mesure d’effectuer les techniques nécessaires aux soins de base (soins respiratoires, accès veineux et sous-cutanés, utilisation des pompes volumétriques, etc.) ;

développe un outil avec des mises en situation afin que les résidents et / ou leurs tuteurs puissent bien comprendre les implications d’un choix de niveau de soins ;

assure une gestion dans les CHSLD qui réunisse un gestionnaire responsable, une direction des soins infirmiers et une direction médicale.

 

 

Que les CISSS et CIUSSS :

assurent dans les CHSLD la présence suffisante d’infirmières spécialisées en PCI afin que celles-ci puissent être présentes dans les opérations quotidiennes et qu’ils en assurent la pérennité ;

s’assurent de planifier des simulations en lien avec les plans de pandémie de manière triennale ;

offrent de la formation quant à la tenue des dossiers médicaux et fassent des suivis périodiques ;

s’assurent de l’encadrement nécessaire justifiant le recours aux protocoles de détresse et à la sédation palliative dans un contexte de soins aigus.

Que le Collège des médecins du Québec :

revoie les pratiques médicales individuelles des médecins traitants des CHSLD Herron, des Moulins et Sainte-Dorothée, notamment quant à leur décision de poursuivre les soins en téléconsultation malgré le besoin de soutien et le très grand nombre de décès.



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