Un médecin de famille avec accès contrôlé

Le gouvernement Legault répète que 500 000 patients orphelins auront un médecin de famille d’ici le 31 mars 2023 grâce à l’entente de principe récemment conclue avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). Or, même pris en charge par un groupe de médecins, ces patients devront passer par le triage du guichet d’accès à la première ligne (GAP) chaque fois qu’ils souhaiteront obtenir une consultation médicale.
« Le patient ne pourra pas juste appeler la clinique et dire “j’ai besoin de voir le médecin”, dit la Dre Joëlle Bertrand-Bovet, présidente du centre Médi-Soleil, une superclinique (ou GMF-R) située à Saint-Jean-sur-Richelieu. Pour avoir rendez-vous, vous devrez passer par le GAP et vous serez trié par une infirmière qui verra si vous aurez à voir un médecin ou un autre professionnel. »
La Dre Bertrand-Bovet a assisté à la présentation de l’entente de principe par la FMOQ. Son président, le Dr Marc-André Amyot, mène depuis lundi une tournée dans les régions du Québec. Il s’est arrêté jusqu’à présent en Mauricie, en Montérégie et en Estrie.
La participation des médecins aux mesures de l’entente est volontaire. « Si on y adhère, ce qu’on s’engage à donner, ce n’est pas du suivi illimité, précise la Dre Bertrand-Bovet. Ce n’est pas un “médecin de famille” comme on l’entend. C’est une plage par patient par année. » Ainsi, si 1200 patients sont pris en charge, 1200 plages seront réservées pour eux.
La Dre Bertrand-Bovet se demande si le nombre de plages prévu sera suffisant. « La FMOQ nous dit que ça fonctionne, qu’ils ont fait un projet-pilote dans le Bas-Saint-Laurent, que sur 100 patients au GAMF (guichet d’accès aux médecins de famille), seulement 60 appelaient [au GAP] et que 30 voyaient un médecin, indique-t-elle. Mais est-ce réaliste dans une région comme la nôtre (Montérégie), où il y a 195 000 patients sur le GAMF qui n’ont pas vu de médecin depuis des années ? »
Au centre Médi-Soleil, les 16 médecins ont déjà décidé de ne pas prendre en charge collectivement des patients orphelins, selon la Dre Bertrand-Bovet. « On ne peut pas ! Nos 16 médecins ont en moyenne 1062 patients. Six d’entre eux ont plus de 60 ans. » La majorité des autres pratiquent dans les hôpitaux. « Comme nous sommes un GMF-R, on a 20 000 visites par année de patients non inscrits au sans rendez-vous », ajoute-t-elle.
Scepticisme
Le Devoir a demandé à la FMOQ une entrevue avec le Dr Amyot afin de discuter plus en détail de l’entente de principe présentée aux membres. Elle l’a déclinée. Un article, paru le 5 mai dans la revue de la FMOQ Le Médecin du Québec, confirme toutefois que les groupes de médecins adhérant au programme offriront « une plage de rendez-vous par année par patient » et que les patients « seront orientés par le GAP ». Après l’appel du Devoir, la FMOQ a retiré le texte du site Web afin, a-t-elle justifié, d’effectuer des vérifications.
La Dre Karine Talbot, administratrice à l’Association des médecins omnipraticiens de la Mauricie, était « un peu sceptique » avant d’assister à la présentation de l’entente de principe lundi. En vertu de celle-ci, 250 000 patients — sur les quelque 990 000 inscrits au GAMF — devront être pris en charge par des groupes de médecins d’ici le 31 juillet.
La Dre Talbot voit maintenant « d’un bon œil » l’entente. Elle croit dans le GAP et en son système de triage. Mais encore faut-il, nuance-t-elle, que les autres professionnels de la santé soient suffisants pour répondre aux demandes. « On fait beaucoup de santé mentale, observe-t-elle. L’accès aux psychologues et aux travailleurs sociaux dans le réseau n’est vraiment pas facile. » Selon elle, le gouvernement devra « alléger certaines tâches » des médecins, comme réduire « la paperasse », pour améliorer l’accès.
La Dre Marie-Pierre Laflamme, responsable de la Clinique médicale 3000, un GMF-R situé à Montréal, qualifie de « très ambitieuse » l’entente de principe conclue avec Québec. « Ça va dépendre de beaucoup de choses qui ne sont pas dans nos poches, les médecins de famille », estime celle qui siège au conseil général de la FMOQ.
Il faudra trouver du personnel, en pleine pénurie de main-d’œuvre, pour « faire rouler » le GAP à Montréal. Mais elle préfère voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. « Si ça fonctionne bien, ça peut être intéressant de commencer en donnant, par exemple, trois plages de rendez-vous par semaine, pense-t-elle. Si tu reçois des cas où tu fais une différence et que tu as servi à quelque chose, au moins, c’est valorisant. »
En plus d’encourager la prise en charge de patients orphelins, l’entente de principe incite les médecins à libérer des plages horaires pour leur clientèle déjà inscrite et nécessitant une consultation rapide. D’ici un an, 30 % des plages horaires devront être offertes dans les 72 heures, dont le tiers (10 %) en 36 heures ou moins.
Si les médecins participent à l’une de ces deux mesures, le taux d’assiduité sera « caduc », indique-t-on dans un courriel envoyé par une association régionale de la FMOQ à ses membres. Le ministère de la Santé et des Services sociaux utilise actuellement ce taux pour déterminer l’accessibilité du médecin de famille à l’égard de ses patients inscrits.
Lors de l’annonce de l’entente, la FMOQ a souligné qu’« aucune somme d’argent supplémentaire à celles déjà prévues à nos enveloppes actuelles n’aura à être déboursée dans le cadre de la réalisation de cette entente ».
Son président terminera sa tournée régionale le 19 mai. Le vote consultatif aura lieu à la fin du mois.