31% des travailleurs de la santé n’ont pas reçu leur 3e dose de vaccin

À la mi-avril, seulement 69% des employés du réseau de la santé avaient obtenu la troisième dose.
Photo: Apu Gomes Agence France-Presse À la mi-avril, seulement 69% des employés du réseau de la santé avaient obtenu la troisième dose.

Pas moins de 31 % des soignants québécois n’ont toujours pas reçu leur troisième dose de vaccin contre la COVID-19, alors que près de 11 000 absences liées à la maladie continuent de plomber le système de santé. L’immunité contre l’infection conférée au personnel doublement vacciné à l’automne a pratiquement disparu, estiment des experts.

Les travailleurs de la santé ont été nombreux à dire « présent » en 2021 pour recevoir leurs deux premières doses. Cette couverture vaccinale, alors jugée adéquate, a atteint 90 % à la fin septembre — il y a près de sept mois —, quand le gouvernement a fait mine d’imposer la vaccination obligatoire.

Cet enthousiasme s’est toutefois étiolé, démontrent les dernières données sur la vaccination de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). À la mi-avril, seulement 69 % des employés du réseau de la santé avaient obtenu la troisième dose, qui leur permettrait de maintenir une protection probante contre l’infection symptomatique et le risque de développer une maladie grave.

« Ce qui est clair avec Omicron, c’est que quatre à six mois après la deuxième dose, l’immunité contre l’infection par le BA.1 ou le BA.2 n’est plus que d’environ 10 %. Deux doses protègent seulement à 65 % contre la maladie grave, ce qui est inférieur par rapport à ceux qui ont reçu trois doses (80 %) », affirme Alain Lamarre, professeur et chercheur en virologie et en immunologie à l’Institut national de la recherche scientifique, citant notamment une étude qatarie qui n’a toutefois pas encore été révisée par les pairs. Des données de l’INSPQ antérieures à l’arrivée du sous-variant BA.2 faisaient déjà état en janvier d’une immunité avec deux doses réduite face à Omicron.

Absences massives

 

Le nombre vertigineux de travailleurs de la santé infectés n’est pas sans conséquence, constate le professeur Lamarre. Les absences dues au virus ont dépassé le cap des 10 000 par jour dans le réseau au début d’avril, et ont atteint 13 000 le 8 avril. Quelque 10 833 employés manquaient à l’appel jeudi.

« Ces absences massives peuvent causer des bris de services. Quant à la transmission, ce n’est pas clair si les employés infectés sont à la source d’éclosions dans les milieux de soins. Ça peut venir aussi de visiteurs et de proches aidants. En présence d’un variant aussi contagieux que le BA.2, ne serait-ce que pour diminuer l’absentéisme, les employés devraient recevoir la troisième dose. »

Jeudi, quelque 1840 cas actifs d’infection étaient dénombrés en CHSLD — soit 11 % des résidents —, ainsi qu’une centaine de décès liés aux éclosions en cours. Dans les résidences pour aînés, plus de 5139 résidents étaient touchés. La couverture vaccinale des employés de ces milieux de vie n’est toutefois plus diffusée par l’INSPQ.

Chose certaine, le manque de personnel lié à la COVID continue de mettre sous pression le réseau hospitalier, a indiqué en point de presse jeudi la Dre Lucie Opatrny, sous-ministre adjointe à la Direction générale des affaires universitaires, médicales, infirmières et pharmaceutiques. La région de l’Estrie a atteint le niveau 4 de délestage, soit le plus élevé. La congestion de plusieurs urgences de Montréal, a-t-elle ajouté, découle aussi du manque de personnel.

« C’est lié à la disponibilité des lits, qui, eux, sont liés au niveau d’absence des ressources humaines. L’absentéisme fait effectivement qu’il y a une pression importante », a-t-elle expliqué.

Selon Alain Lamarre, la situation mérite qu’on « remette les messages de santé publique à jour » sur l’importance de la troisième dose. « Même si les vaccins ne sont pas parfaits, ils aident à freiner les éclosions. »

En point de presse jeudi, le directeur national de santé publique par intérim du Québec, le Dr Luc Boileau, a d’ailleurs répondu à ce sujet qu’il pourrait reconsidérer le terme « adéquatement vacciné » choisi pour décrire le statut vaccinal conféré par deux doses. En anglais, il a ajouté que les gens « n’étaient pas effrayés par le BA.2 » et que ceux qui s’estimaient protégés par deux doses ou une infection récente devraient aller chercher cette troisième dose.

Immunité en déclin

 

D’autres chercheurs en immunologie s’interrogent aussi sur le peu d’efforts déployés par Québec pour faire augmenter l’adhésion à la troisième dose chez les travailleurs de la santé, mais aussi dans la population en général.

« Un peu moins de la moitié de la population n’a reçu que deux doses — la plupart depuis plus de six mois — ; c’est comme si tous ces gens n’avaient jamais eu de vaccin les protégeant contre l’infection », souligne le Dr Donald Vinh, professeur et chercheur en microbiologie et en immunologie au Centre universitaire de santé McGill.

« La communication à ce sujet est sous-optimale. Si on ne fait rien, nos hôpitaux risquent de demeurer occupés longtemps, poursuit-il. Avec deux doses, beaucoup de gens ayant des facteurs de comorbidité qui ne se considèrent pas à risque le sont pourtant. Ils pensent que deux doses suffisent, mais ce n’est plus le cas. »

Promouvoir plus tôt la troisième dose aurait peut-être aidé à atténuer l’ampleur de la vague actuelle, estime Alain Lamarre. « Pourquoi des gens doublement vaccinés ne vont pas chercher cette troisième dose ? Il n’y a plus le même sentiment d’urgence. Pourtant, le système de santé est aussi surchargé. »

Le fameux intervalle de six mois entre les première et deuxième doses, qui avait permis au Québec d’allonger l’immunité conférée par les premiers vaccins, ne tient plus la route avec la troisième dose et Omicron, ajoute le chercheur. « Il n’y a aucun avantage à attendre pour la troisième dose ni à attendre après une infection récente. »

Des vaccins efficaces contre plusieurs variants — mis au point à l’heure actuelle — seront probablement disponibles à l’automne, conviennent les deux experts en immunologie. Mais même si les Québécois risquent d’être appelés à nouveau à relever leur manche à l’automne, selon eux, ils ne gagnent rien à reporter l’obtention d’une troisième ou quatrième dose.

« Il n’y a aucune raison d’attendre trois mois après une infection, relance le Dr Vinh. Les gens qui ont eu BA.1 peuvent avoir BA.2, et on sait que la durée de l’immunité diminue avec ce variant. Collectivement, on a besoin de cette troisième dose. »

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