Que s’est-il vraiment passé en avril 2020 dans les CHSLD ?

Dans un livre paru la semaine dernière, trois journalistes tentent de tirer des leçons des premières vagues de COVID-19 dans les CHSLD du Québec.
Marie-France Coallier Le Devoir Dans un livre paru la semaine dernière, trois journalistes tentent de tirer des leçons des premières vagues de COVID-19 dans les CHSLD du Québec.

5060. C’est le nombre de personnes qui sont décédées dans les CHSLD du Québec lors des deux premières vagues de cas de COVID-19. Malgré des vagues subséquentes qui ont éclipsé cette tragédie, un retour en arrière nous permet aujourd’hui de comprendre ce qui s’est vraiment passé durant ces premiers moments de pandémie. Et d’en tirer des leçons, relatent trois journalistes dans un livre paru la semaine dernière.

Gabrielle Duchaine, Katia Gagnon et Ariane Lacoursière ont réalisé près d’une centaine d’entrevues pour écrire leur livre 5060: L’hécatombe de la COVID-19 dans nos CHSLD.

Le plus frappant, pour Katia Gagnon, c’est la date à laquelle le virus est entré pour la première fois dans certains CHSLD : le 15 mars. À ce moment, les propos du premier ministre François Legault à la télévision se faisaient encore rassurants. « C’était sur le radar de 0 personne au Québec. »

« C’est devenu flagrant quand est sortie la liste rouge des CHSLD, fait remarquer Gabrielle Duchaine. On voyait qu’il y avait toutes sortes d’incongruités. Sur le plan des données, [le premier ministre] était déconnecté. Sur le terrain, les exemples sortaient de partout. »

La réalité est en effet cruelle. Le virus se répand partout et, sans consignes claires pour prévenir les infections, les employés tombent malades tout autant que les résidents. Le bilan énoncé dans l’ouvrage des trois journalistes révèle l’étendue des ravages qu’a faits le virus dans certains établissements. Dans la résidence Vigi Mont-Royal, « la totalité des bénéficiaires a été infectée ». À Vigi Dollard-des-Ormeaux, « 45 % des bénéficiaires y mourront ».

Il aura fallu le « coup de masse » du reportage de The Gazette à propos du CHSLD Herron pour que l’éveil collectif se déclenche, le 10 avril. Et il faudra attendre encore quelques jours avant que la situation ne soit rétablie, lorsque débarque l’armée, enfin, et que s’inverse la « spirale de l’absentéisme » dans laquelle sombraient les résidences pour personnes âgées.

La phase aiguë de la crise durera ainsi deux longs mois, de mars à mai.

Le passage au peigne fin de la situation semble désigner des responsables. Certains sous-ministres ont préféré se faire rassurants que réalistes. Le manque d’équipements de protection et de données a compliqué la tâche de tout le monde. La priorité donnée aux hôpitaux a également créé un vaste angle mort dans les CHSLD.

Les autrices ne souhaitent pas accuser quiconque — « tout le monde faisait son possible » —, mais plutôt assurer un devoir de mémoire pour qu’une telle tragédie ne se reproduise plus. « Les gens se renvoient la balle plutôt que d’apprendre de ça. C’est plus ça qui est inquiétant », soulève Gabrielle Duchaine.

« Ça existe à nouveau, plusieurs résidents dans une même chambre. Il y a encore une pénurie extrême de personnel. Le réseau n’est pas entièrement remis », énumère-t-elle.

Ponctué de témoignages de familles endeuillées, le livre met aussi des noms sur un nombre, une façon de rendre hommage à la vie de ces octogénaires, nonagénaires et centenaires décédés parfois non pas de la COVID-19, mais d’un triste abandon.

Ce texte est tiré de notre infolettre « Le courrier du coronavirus » du 4 avril 2022. Pour vous abonner, cliquez ici.



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