Les orphelins, la «tragédie silencieuse» de la pandémie

En Inde, la pandémie aurait fait 1,9 million d’orphelins, selon une estimation des auteurs de l’étude.
Tauseef Mustafa Agence France-Presse En Inde, la pandémie aurait fait 1,9 million d’orphelins, selon une estimation des auteurs de l’étude.

Le nombre d’enfants laissés orphelins par la COVID-19 a presque doublé depuis six mois, portant à 5,2 millions les petits ayant perdu un père, une mère ou leur principal pourvoyeur, soit un toutes les six secondes. Pas moins de 2000 enfants seraient touchés au Canada.

C’est du moins ce qu’avance une étude récemment publiée par la revue médicale The Lancet Child and Adolescent Health, à partir des données colligées dans 21 pays comptant pour 76 % des décès recensés depuis le début de la pandémie.

Sur la base de ces données, on estime que le nombre d’enfants devenus orphelins ou privés d’un adulte proche aidant dépasserait le nombre de morts causées par la pandémie dans le monde.

Cette tragédie silencieuse, restée dans l’ombre, laisse présager des jours difficiles pour plusieurs jeunes à risque de souffrir d’insécurité psychologique et financière, mais aussi d’être exposés à l’abandon scolaire, aux maladies mentales, à la violence sexuelle, à la grossesse adolescente et même à l’institutionnalisation, insistent les auteurs de cette étude.

Selon la Dre Joanne Liu, pédiatre à Sainte-Justine et ex-présidente internationale de l’organisme Médecins sans frontières, les répercussions du deuil vécu par les enfants et leurs effets sur leur développement sont fréquemment occultés lors de grandes épidémies. « On dit souvent que la COVID a peu d’impact sur les enfants, mais la perte d’un parent a un impact très grand. Ça reste un des angles morts de cette pandémie, car toute l’attention est rivée sur les malades ou les morts », dit-elle.

Un nombre doublé en six mois

 

Selon les auteurs de l’étude, le nombre d’enfants orphelins a bondi de 90 % depuis avril 2021. À ce jour, la majorité d’entre eux avaient entre 10 et 17 ans, et 76 % ont perdu un père, et 24 % une mère.

Si le Canada a été moins affecté par ce phénomène, avec environ 2000 enfants ayant vécu la mort d’un parent, c’est parce que la mortalité parentale a touché davantage les pays ayant des taux de fertilité assez élevés et des taux de vaccination plus faibles, affirment les chercheurs. En Afrique du Sud, la pandémie aurait emporté le parent d’un enfant sur 200.

Ils estiment que la pandémie a fait 1,9 million d’orphelins en Inde seulement et plus de 200 000 au Mexique. Mais c’est au Pérou et en Afrique du Sud qu’ont été observés les plus hauts taux d’orphelins par 1000 enfants.

Certains pays riches n’ont pas été épargnés par cette épidémie dans la pandémie. Notamment les États-Unis, où plus de 180 000 enfants ont perdu un parent aux mains de la COVID, soit environ 1 enfant sur 500. Dans ce pays comme d’autres, le tribut payé par les enfants diffère grandement selon leur appartenance ethnique. Pas moins de 65 % des « orphelins de la pandémie » font partie de groupes racialisés, qui ne comptent pourtant que pour 39 % de la population.

Un enfant afro-américain sur 310 a vécu la mort d’un parent, et un enfant hispanique sur 412, soit deux fois plus que chez les enfants blancs. Les jeunes des communautés autochtones ont aussi été 4,5 fois plus endeuillés que les enfants blancs, révèle une étude du National Institute of Health des États-Unis.

« Beaucoup de choses restent à mesurer. Il faudra se préoccuper de la détresse psychologique qui va se faire sentir sur le long terme, notamment dans les pays qui ont vécu le plus de décès », affirme la Dre Liu. « Même ici, au CHU Sainte-Justine, dit-elle, on ressent l’impact de la détresse psychologique vécue par des enfants qui ont malheureusement infecté un de leurs grands-parents. »

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