Des finissantes en psychologie lancent un cri du coeur pour ne pas travailler dans le public
Rebutées par le réseau public, des finissantes en psychologie de l’Université de Montréal reprochent à leur département de leur bloquer les portes des stages dans le secteur privé.
« Ce n’est pas mon rôle à moi de pallier la pénurie de main-d’œuvre dans le public », lance Audrey Francoeur, doctorante en psychologie à l’Université de Montréal (UdeM). Très préoccupée par ses perspectives professionnelles, la jeune femme reproche à son département d’avoir rejeté le stage (ou « internat ») qu’elle avait obtenu dans une clinique privée. « Je risque de ne pas avoir d’internat ou d’avoir un internat qui ne m’intéresse pas ! »
Elle ne veut rien savoir du secteur public, dit que les « offres [n’y] sont pas alléchantes » et qu’elle ne veut pas « faire du 9 à 5 sous pression pour prendre des clients de plus ». Elle explique que la clinique privée qu’elle avait trouvée lui promettait de bonnes conditions de travail et une pratique dans son domaine de spécialité.
Ce cri du cœur survient alors que le gouvernement cherche en vain à augmenter le recrutement en psychologie dans le réseau public, où l’on estime devoir engager 900 personnes supplémentaires d’ici cinq ans. À l’heure actuelle, au moins 20 000 personnes sont sur la liste d’attente pour voir un psychologue dans le réseau public.
Mardi soir, l’Association des étudiant(e)s des cycles supérieurs en psychologie de l’Université de Montréal (AÉCSPUM) a transmis au département une lettre anonyme à propos des internats, à laquelle 80 autres étudiants ont donné leur appui sur la plateforme Facebook. Les doctorantes (ce sont des femmes en grande majorité) y critiquent le processus d’approbation des stages, qui manquerait « de cohérence, de transparence et d’objectivité ».
« Les doctorant.e.s dénoncent ce qui semble être une forme de pression de la part du Comité des internats à pratiquer dans le réseau public de santé », peut-on lire dans cette lettre.
« Bien que les doctorant.e.s sont sensibles à la pénurie de psychologues œuvrant dans le secteur public et au besoin criant de la population d’avoir accès à des services en santé mentale, ils ne sont pas tenus de remédier à la situation en l’absence d’amélioration des conditions actuelles. »
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Phénomène grandissant
Questionnée à ce sujet, la directrice du Département de psychologie de l’UdeM, Michelle McKerral, fait valoir que cette histoire a été montée en épingle par une minorité d’étudiantes « qui ne sont pas contentes des décisions qui ont été rendues ».
« On fonctionne de la même manière depuis les dernières années. C’est de la gestion interne, dit-elle. C’est la première fois qu’on vit ça, et on a les mêmes critères depuis des années. »
Or, Le Devoir a pu consulter deux courriels reçus par des étudiantes dans lesquels des responsables du programme font un lien entre le refus « d’analyser » certaines demandes de stage et « l’orientation » voulant que le département encourage les étudiants à effectuer leur internat dans le réseau public.
Relancée à ce sujet, la directrice du département concède que « malheureusement, il y a eu une réponse inexacte d’une employée en poste depuis moins de deux mois concernant la justification du critère de 800 heures », l’un des critères nécessaires à l’approbation des stages au privé.
Selon Mme McKerral, moins de 10 % des internats des étudiants de l’UdeM se font au privé. Le département encourage ouvertement les étudiants à choisir le réseau public, mais les stages au privé ne sont pas pour autant interdits.
La directrice reconnaît toutefois que les étudiantes sont de plus en plus nombreuses à vouloir faire leur stage au privé. « C’est sûr qu’on a de plus en plus de demandes d’internat en milieu privé. »
Elle pense qu’il y a actuellement un phénomène de « surenchère » inédite de la part des milieux privés pour attirer les étudiants du département.
Ces tensions s’ajoutent à d’autres problèmes d’attraction de la relève en psychologie dans le réseau public. Comme le révélait Le Devoir à la fin janvier, dans certaines universités, les étudiants intéressés par le public peinent à se trouver des stages, faute de superviseurs.
Il y a deux semaines, le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, déclarait vouloir attirer davantage d’étudiants au doctorat en psychologie dans le réseau public.
« Ceux qui sont boursiers pourront se faire offrir des postes pendant leur stage », a-t-il déclaré, déplorant qu’un « très faible pourcentage de ces étudiants » se fassent « offrir des postes ». « Ça va augmenter la présence de psychologues dans le public », a-t-il aussi affirmé.
Lorsqu’il parle des boursiers, le ministre fait allusion aux bourses de 25 000 $ offertes aux finissants au doctorat qui font leur stage dans le secteur public, à condition qu’ils y restent pendant au moins deux ans.
Par contre, ces bourses et les conditions qui y sont rattachées semblent plus ou moins appréciées. Audrey Francoeur, par exemple, dit vouloir envoyer un message « plus fort » à cet égard en refusant d’aller au public. « Si tous les internes boycottent le public malgré la bourse, ça pourrait envoyer un message que, peut-être, la bourse avec deux ans est un piège, que les conditions de travail au public ne nous intéressent pas. »