François Legault recule sur la «contribution santé»

Le premier ministre François Legault renonce à imposer une taxe aux non-vaccinés dans l’espoir d’assurer la « cohésion sociale », a-t-il confirmé mardi, en faisant marche arrière au sujet d’une mesure annoncée il y a moins d’un mois.

« Pour faire avancer le Québec dans un climat social serein, je vous annonce que le gouvernement ne va pas déposer ce projet de loi sur la contribution santé », a-t-il lancé aux journalistes de l’Assemblée nationale.

Son annonce constitue une volte-face : le 11 janvier, le chef du gouvernement avait dit vouloir exiger une contribution financière des non-vaccinés. « Ce n’est pas vrai que ce 10 % va venir nuire au 90 % de la population qui est vaccinée », avait-il lancé.

Selon ses observations, la « grogne est montée au Québec » au cours des trois dernières semaines, et « il faut tenir compte de ça ». En outre, un projet de loi sur une contribution santé « aurait amené un débat pas nécessairement constructif à l’Assembléenationale quand on voit que les partis d’opposition étaient contre », a ajouté M. Legault.

Le premier ministre a aussi dit avoir pris acte des manifestations à Ottawa. « Il y en a qui veulent venir en faire dans les prochains jours, ici à Québec. On voit une grogne grandir », a-t-il ajouté. Il s’est néanmoins défendu de céder devant les manifestants, dont l’une des figures de proue au Québec est Bernard « Rambo » Gauthier.

« Il n’y a aucun lien entre Rambo Gauthier puis ce que je vous annonce aujourd’hui », a-t-il indiqué. M. Legault s’est par ailleurs dit « toujours disponible pour rencontrer des gens qui sont de bonne foi pour essayer de voir comment on peut les aider à répondre à leurs questions, leurs inquiétudes ».

Joint au téléphone par Le Devoir, M. Gauthier n’a pas souhaité commenter l’annonce du premier ministre. « J’ai été assez clair là, laissez-moi tranquille », a-t-il lancé avant de mettre fin à l’appel. De son côté, la FTQ-Construction a refusé l’invitation qui lui avait été faite pour qu’elle se joigne au convoi qui souhaite se diriger vers l’Assemblée nationale pour protester contre les mesures sanitaires.

« Bien qu’elle soutienne le droit inaliénable de s’exprimer et de manifester, la FTQ-Construction privilégie plutôt les actions visant à démontrer une solidarité plus grande que jamais avec les travailleurs de la santé, notamment par le respect des normes sanitaires telles que recommandées par la Santé publique », a écrit le syndicat dans un communiqué.

Boileau n’a pas été consulté

Aux côtés du premier ministre pendant l’annonce, le directeur national de santé publique par intérim, Luc Boileau, a affirmé que le gouvernement ne lui avait pas demandé de fournir un avis sur son projet de contribution santé.

« Personne ne m’a demandé mon opinion sur cela ni pour l’arrivée [l’instauration d’une contribution] ni pour ce qui vient d’être annoncé », a déclaré le Dr Boileau. Dans les médias, plusieurs experts, quelques directeurs régionaux de santé publique et les partis d’opposition à l’Assemblée nationale ont exprimé des réserves au sujet de cette contribution.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, n’a pas voulu dire s’il était favorable à une telle sanction pour les non-vaccinés. « J’ai toujours, comme tous mes collègues, soutenu les décisions qu’on a prises. Alors, moi, je suis très à l’aise avec la décision qui a été annoncée par le premier ministre aujourd’hui », a-t-il néanmoins déclaré au sujet de l’abandon de cette idée.

Par souci de ne pas diviser les Québécois vaccinés et non vaccinés, qui constituent respectivement 90 % et 10 % de la population, François Legault a rappelé que son gouvernement mise désormais sur la stratégie de la main tendue. Il a vanté, en ce sens, le travail du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant. « En une semaine, [son travail] a permis d’atteindre à peu près 20 000 personnes, donc 11 000 qui se sont fait vacciner et 9 000 qui ont pris un rendez-vous », a-t-il exposé.

De l’improvisation

Au Salon bleu, la cheffe libérale, Dominique Anglade, a tenté de connaître les bases sur lesquelles M. Legault s’était appuyé pour lancer l’idée d’une contribution santé au début du mois de janvier. Sans succès.

« Le premier ministre, comme d’habitude, refuse de répondre à la question », a-t-elle lancé. Plus tôt mardi, elle avait reproché à M. Legault d’avoir improvisé cette mesure pour faire diversion sur les ratés de sa gestion de la pandémie. « Ils sont arrivés avec ça sans appui juridique, sans avis de la Santé publique, sans étude à l’appui », a-t-elle avancé.

En point de presse, le premier ministre a précisé que le cabinet du ministre des Finances, Eric Girard, était parvenu à préparer un projet de loi sur la contribution santé.

Mme Anglade a néanmoins déploré la volte-face de la Coalition avenir Québec. Celle-ci prouve, selon elle, que le gouvernement navigue au gré des sondages. « Le gouvernement de la CAQ a niaisé les Québécois pendant un mois sur cet enjeu-là. Il a niaisé, il improvise constamment », a soutenu la cheffe de l’opposition officielle.

Pour le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, ce recul de M. Legault nuit à la confiance de la population envers sa gestion de la pandémie.

« C’est irrespectueux de l’intelligence des gens que d’envoyer dans l’espace public des “bébelles” en lesquelles on n’a jamais cru, tout ça pour tenter de faire oublier la gestion chaotique, la confusion du temps des Fêtes au niveau de la gestion de la pandémie », a-t-il lancé.

Du côté de Québec solidaire, le chef parlementaire, Gabriel Nadeau-Dubois, a affirmé que M. Legault devrait expliquer sur quelles bases il avait décidé d’imposer les non-vaccinés.

« Les Québécois méritent un gouvernement qui sait ce qu’il fait puis qui fait ce qu’il dit, pas un premier ministre qui gère selon ses humeurs du moment, a-t-il dit. C’est broche à foin, c’est de l’incompétence. »

À Ottawa, le député conservateur Pierre Poilievre a qualifié d’“amazing” (« incroyable ») le recul de Québec. « Le vent tourne en faveur de la liberté », s’est-il réjoui dans un court message. Il a agrémenté sa réaction sur Twitter du mot-clic #FreedomNotFear (la liberté, pas la peur) utilisé par les participants du convoi d’Ottawa.

Avec Alexandre Robillard

Soulagement dans les groupes de pression

La Coalition solidarité santé, qui regroupe plus de 20 organisations syndicales, communautaires et de comités de citoyens, s’est réjouie de voir Québec renoncer à une contribution santé, qui aurait constitué « un dangereux précédent » selon ses membres. « Parce que la contribution santé liée au statut vaccinal aurait été une forme de frais modérateur portant atteinte aux droits fondamentaux, nous nous y opposions », a-t-elle rappelé. « Imposer le fardeau des problèmes du système aux non-vaccinés aurait été une stratégie malsaine et non souhaitable qui n’aurait pas amené plus de lits ni de personnel. »

 

La Fédération canadienne des contribuables a aussi accueilli favorablement l’abandon de la proposition d’un impôt vaccinal par Québec. « L’impôt vaccinal aurait ouvert la boîte de Pandore des taxes santé, et les contribuables sont reconnaissants du fait qu’elle demeure fermée », a déclaré son directeur, Renaud Brossard. « L’application de l’impôt vaccinal aurait nécessité de donner accès aux fonctionnaires de Revenu Québec aux dossiers médicaux confidentiels des Québécois et Québécoises », a aussi rappelé la Fédération.

 

Le Centre juridique pour les libertés constitutionnelles, qui a déjà contesté d’autres mesures sanitaires ailleurs au Canada, s’est aussi réjouit de la nouvelle. « Les Canadiens ont le droit fondamental de déterminer les médicaments qu’ils prennent », a affirmé Me Samuel Bachand, avocat au Centre, dans un communiqué.


Assouplissements le 14 février

Le premier ministre, François Legault, a annoncé que les activités sportives et artistiques — y compris les activités parascolaires de niveau collégial et universitaire — pourront reprendre à compter du 14 février, à condition qu’un maximum de 25 personnes adéquatement vaccinées y participe. Aucun match, aucune compétition, ni aucun tournoi ne seront cependant autorisés. Les spas et les salles d’entraînement pourront aussi rouvrir leurs portes. Leur capacité d’accueil devra cependant être maintenue à 50 %. Le port du masque y sera exigé, de même que le passeport vaccinal. « Je pense que ça va faire du bien, mais on va s’arrêter là », a déclaré M. Legault. « Malheureusement, on ne peut pas annoncer d’autres assouplissements pour l’instant. On espère être capables de le faire dans les prochaines semaines, mais c’est important — je le dis encore — d’être prudents, entre autres à cause de la situation dans nos hôpitaux. »



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