La relève en psychologie retardée par la pénurie

Le problème concerne la supervision des stages au public, explique le directeur du Département psychologie de l’UQAM, Marc-Simon Drouin.
Photo: iStock Le problème concerne la supervision des stages au public, explique le directeur du Département psychologie de l’UQAM, Marc-Simon Drouin.

Au moment où le ministre Lionel Carmant compte sur les finissants en psychologie afin de réduire les listes d’attente en santé mentale, l’entrée en scène de ces derniers est ralentie… par la pénurie de psychologues dans le réseau public.

Le problème concerne la supervision des stages au public, explique le directeur du Département psychologie de l’UQAM, Marc-Simon Drouin.

« Il manque beaucoup de psychologues dans le réseau, ce qui fait qu’il y en a de moins en moins qui peuvent superviser et que ça finit par débouler sur le nombre d’offres qui est fait pour les internats », déplore-t-il.

« Très souvent, on demande [aux psychologues du réseau public] de faire un travail de supervision sans alléger leurs autres tâches, ce qui donne des horaires à peu près incompatibles avec la nécessité d’encadrer des étudiants. »

Avant d’obtenir leur doctorat en psychologie, les étudiants doivent faire un stage d’un an en milieu de travail (l’internat). Et dans certaines universités comme l’UQAM et McGill, au moins une partie de cet internat doit se faire dans le réseau public.

Le problème touche aussi l’Université McGill, selon Jenilee-Sarah Napoleon, doctorante en psychologie. « On est en compétition pour obtenir des places très limitées. Dans mon université, on est obligés de faire nos stages dans le réseau public, donc ça limite le nombre de places, parce qu’on a de moins en moins de superviseurs. »

Il semble toutefois que le problème ne touche pas toutes les régions également. Ainsi, à l’Université Laval à Québec, l’École de psychologie réussit encore à placer tous ses stagiaires. Mais « ça pourrait devenir un problème si on voulait augmenter notre nombre de finissants », signale le directeur du département, Yves Lacouture.

La psychologie n’est pas le seul domaine où l’accès aux stages et le manque de superviseurs ont retardé l’arrivée de la relève dans le réseau public. Ce problème a aussi touché les infirmières praticiennes spécialisées (IPS), qui sont elles aussi très demandées.

Mardi, le ministre délégué à la Santé, Lionel Carmant, déclarait vouloir attirer davantage d’étudiants au doctorat en psychologie dans le réseau public.

« Ceux qui sont boursiers pourront se faire offrir des postes pendant leur stage », a-t-il déclaré, déplorant qu’un « très faible pourcentage de ces étudiants » se fassent « offrir des postes ». « Ça va augmenter la présence de psychologues dans le public », a-t-il aussi affirmé.

Or, le plan du ministre va de nouveau se heurter au manque de superviseurs, croit le directeur du Département de psychologie de l’UQAM. « Ces doctorants-là ne peuvent pas travailler de façon autonome. S’il veut les intégrer déjà dans des équipes, ils devront travailler de façon supervisée. Mais il va les trouver où, ses superviseurs ? »

Quant à l’ambition d’attirer les nouveaux diplômés qui ont achevé leur stage, elle risque de faire face elle aussi à des résistances. « Les postes de psychologue qui ouvrent dans le réseau public ne sont pas du tout attrayants, ajoute Marc-Simon Drouin. Ils ont des conditions de travail qui ne sont pas très intéressantes, entre autres parce que les nouveaux psychologues se font imposer des façons de pratiquer par des gestionnaires qui n’ont aucune connaissance de ce qu’est la psychothérapie. »

Toutes les personnes interrogées le mentionnent : les salaires dans le réseau public amènent également beaucoup d’étudiants à se tourner vers la pratique privée.

« Si les psychologues avaient de meilleures conditions de travail dans le réseau, ils resteraient davantage », souligne le professeur Lacouture, de l’Université Laval.

Mme Napoleon mentionne, de son côté, que, « dans de bonnes circonstances, les nouveaux diplômés voudraient venir travailler dans le secteur public. […] Dans le secteur public, on sait que les expériences sont riches, qu’on va être exposés à des problématiques qu’on ne va pas trouver dans d’autres lieux. Mais les salaires ne sont juste pas assez compétitifs à ce stade. »

Disparités persistantes

 

Selon des données fournies par la Coalition des psychologues du réseau public québécois, l’écart entre le privé et le public au Québec est d’environ 30 %. « Après un doctorat, l’échelle salariale est de 26 $ l’heure [dans le secteur public]. Souvent, les ressources humaines vont compter les années d’études, et les diplômés vont commencer à 33 $ », explique sa porte-parole, la psychologue Karine Gauthier, en soulignant que ce n’est pas beaucoup après dix ans d’université.

En novembre 2021, 135 finissants en psychologie — dont Mme Napoleon — avaient d’ailleurs signé une lettre ouverte dans les médias pour interpeller le gouvernement à ce sujet.

En conférence de presse mardi, le ministre Lionel Carmant a fait valoir que le gouvernement avait rehaussé les primes des psychologues lors des dernières négociations dans le secteur public. Or, selon Mme Gauthier et Mme Napoleon, l’effet de cette hausse est marginal.

Toutefois, en dépit de ce contexte, l’intérêt pour la profession, lui, ne se dément pas, et le secteur demeure contingenté. À titre d’exemple, l’École de psychologie de l’Université Laval a reçu cette année 120 demandes d’admission pour ses 35 places au doctorat.

Environ 20 000 personnes sont actuellement en attente d’un suivi en santé mentale au Québec. Or, dans la vision du ministre, ces gens n’ont pas tous besoin d’un psychologue ou d’un psychiatre. Mardi, il a de nouveau invité les gens en détresse à contacter le service Info-Social 811, qui peut leur fournir un suivi à plus court terme par d’autres professionnels, comme des travailleurs sociaux ou des infirmières.

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