Les doses de rappel ne viendront pas à bout de la pandémie, selon des experts

Les campagnes de vaccination massives à l’arrivée de chaque nouveau variant sont insoutenables à long terme sur les plans logistique et humain, estime l’OMS.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Les campagnes de vaccination massives à l’arrivée de chaque nouveau variant sont insoutenables à long terme sur les plans logistique et humain, estime l’OMS.

Faudra-t-il une 4e, une 5e, une 6e dose ? De plus en plus de voix, dont celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), s’élèvent pour dire que les rappels répétés ne pourront à eux seuls résoudre la crise sanitaire.

Au printemps 2021, un groupe d’experts du journal médical The Lancet prévenait que les vaccins contre la COVID-19, souvent brandis comme la solution miracle, ne suffiraient pas à vaincre la pandémie.

Neuf mois plus tard, la flambée du variant Omicron dans les pays affichant des taux enviables de vaccination leur donne raison. Le retour à la « vie normale » doit passer par d’autres solutions sanitaires plus durables que la seule vaccination, réitère aujourd’hui le Dr Yanis Ben Amor, membre de ce groupe de travail.

« En décembre 2020, on pensait que les vaccins feraient de la COVID-19 une chose du passé. Or, des variants plus dangereux et plus mortels [Delta], dont certains peuvent réinfecter des personnes guéries, et l’accès limité de plusieurs pays aux vaccins rendent peu possible que l’on s’en sorte seulement avec ça », affirmait le Dr Ben Amor, aussi directeur du Centre pour le développement durable à l’Institut de la Terre de l’Université Columbia, à New York.

Ces propos résonnent plus fort que jamais aujourd’hui, alors que l’Occident, massivement vacciné, se montre incapable de barrer la route à la vague Omicron. Tandis que plusieurs États achèvent de distribuer une 3e dose, une 4e dose est déjà amorcée dans plusieurs pays où l’effet de la précédente semble s’étioler après une dizaine de semaines.

« Il y a eu un enthousiasme démesuré face aux vaccins. C’est normal puisqu’on n’avait rien au départ. L’erreur, ça a été de dire que ça pourrait être la seule solution », répète le Dr Ben Amor.

L’émergence inévitable de variants, prédisaient ces experts du Lancet, rendait essentiel le maintien, malgré la vaccination, de mesures « non pharmaceutiques », comme le port du masque et la distanciation physique, pour stabiliser la situation mondiale.

« Or, plusieurs pays d’Europe ont levé leurs restrictions dès l’été. On ne portait même plus le masque ! » déplore-t-il. Après avoir terminé d’administrer la 2e dose, le Québec a suivi la même voie en haussant en novembre la capacité des lieux publics, au moment même où Omicron s’immisçait sur son territoire. Avec son projet de « contribution santé », le gouvernement Legault présente aussi la vaccination des « 10 % » des non-vaccinés comme la solution à l’impasse actuelle que vit le réseau de la santé.

Une solution non durable

 

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) est venue ajouter sa voix au constat fait sur les rappels vaccinaux, affirmant qu’« une stratégie de vaccination basée sur des rappels répétés a peu de chances d’être appropriée ou fiable à long terme ».

S’ils préviennent les conséquences graves de la COVID-19, les vaccins actuels ne bloquent plus l’infection ni la transmission qui déstabilisent des pans entiers de l’économie et de la société, à commencer par les systèmes de santé et scolaire, ajoute l’organisme.

Le Dr Ben Amor réitère l’importance des premiers vaccins pour limiter les conséquences graves de la COVID chez les plus vulnérables et juge que, pour faire face à la déferlante, une 3e dose s’impose. « Avec Omicron, la 3e dose est devenue une partie intégrante du vaccin. Nous n’avons rien d’autre. Mais tant que le reste de la planète restera sous-vacciné, d’autres variants émergeront », dit-il.

Les campagnes de vaccination massives à l’arrivée de chaque nouveau variant sont insoutenables à long terme sur les plans logistique et humain, estime aussi l’OMS.

Les efforts doivent être axés non pas sur les rappels, mais sur des vaccins « multivalents », contre toutes les mutations possibles, recommande maintenant l’Organisation.

Mises en garde

 

D’ici là, seul le maintien de mesures non pharmaceutiques peut continuer de faire barrage aux nouveaux variants plus contagieux, détectés quand ils ont déjà essaimé sur d’autres continents, estime le Dr Yanis Ben Amor.

« Ça n’amuse personne de porter un masque. Mais si on compare l’efficacité de cette simple mesure avec l’arrêt quasi complet de la société à l’irruption de chaque nouveau variant, c’est un petit prix à payer pour avoir une paix relative. Ceux qui refusent de porter le masque ou de limiter leurs contacts empêchent tout autant que les non-vaccinés le retour à une vie collective plus normale », croit-il.

Les pays qui ont levé trop vite les mesures sanitaires, dont le Royaume-Uni et les Pays-Bas, subissent maintenant des vagues monstres d’infections, ajoute le Dr Ben Amor. Cette semaine, l’OMS-Europe prévoyait que plus de la moitié des Européens auront été infectés dans les six à huit prochaines semaines. Le pire est à venir dans l’est du Vieux Continent, où la couverture vaccinale est beaucoup plus faible.

« Les personnes qui ont échappé aux autres vagues vont finir par être infectées par Omicron. On pourrait atteindre une forme d’immunité collective, mais, pour le moment, on ignore si la réinfection est possible et si d’autres variants plus infectieux vont émerger », dit-il.

À ce sujet, la responsable des situations d’urgence pour OMS-Europe, Mme Catherine Smallwood, a mis en garde ceux qui espèrent que le tsunami actuel des cas mènera à l’atteinte rapide d’une immunité collective. « Le virus continue d’évoluer rapidement. Plus il se propage, plus il se réplique, plus il y a de chances qu’émerge un nouveau variant. Qui peut dire ce que donnera ce prochain variant ? Nous n’en sommes pas encore à une situation où nous pouvons compter sur l’immunité collective », a-t-elle affirmé sur les ondes de BFMTV.

L’échec à maintenir les barrières non pharmaceutiques au virus pousse maintenant plusieurs pays, notamment l’Autriche, à recourir à la vaccination forcée, déplore le Dr Ben Amor. Une approche qui aura des contrecoups politiques et sociaux, et qui augmentera la polarisation déjà existante. « Des gens vont développer une méfiance généralisée contre les vaccins, qui sauvent pourtant des millions de vies », dit-il.

L’arrivée de nouveaux traitements pour prévenir l’aggravation de la COVID chez les personnes susceptibles d’avoir des complications sévères est la solution la plus envisageable à l’heure actuelle, pense le Dr Ben Amor.

« La seule voie durable pour rétablir la situation, c’est un effort collectif. Mais pour ça, je crois qu’on a plus besoin d’experts en communications et en psychologie du comportement humain que de politiciens ! »

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