Québec se prépare à la cohabitation avec la COVID-19
Malgré l’inquiétude palpable du réseau hospitalier, les autorités semblent miser davantage sur la responsabilisation individuelle que sur la répression collective pour traverser la vague soulevée par Omicron — un changement d’approche applaudi par plusieurs.
« On va devoir apprendre à vivre avec le virus », écrivait sur Facebook le ministre de la Santé, Christian Dubé, le 3 septembre dernier. Mardi, c’est un « changement de paradigme » qu’il annonçait : bientôt, des travailleurs atteints de la COVID-19 pourraient retourner sur le plancher, à condition d’être asymptomatiques.
Une tolérance au virus qui contraste avec les mesures qui étaient en vigueur à pareille date l’an dernier. Le 29 décembre 2020, le Québec enregistrait 2381 nouveaux cas, les commerces non essentiels demeuraient fermés, et aucun rassemblement intérieur n’était permis. Les hôpitaux comptaient 1124 hospitalisations, dont 150 aux soins intensifs.
Mercredi, le coronavirus infectait plus de 13 000 Québécois, et 804 personnes se trouvaient à l’hôpital, dont 122 aux soins intensifs. Malgré la situation, six personnes peuvent toujours se réunir à l’intérieur, les restaurants peuvent accueillir la moitié de leur capacité, et les commerces non essentiels doivent encore limiter leur clientèle.
« Ce changement arrive à point nommé », selon François Audet, directeur de l’Institut d’études internationales de Montréal. « La crise durable n’existe pas : du moment qu’elle dure, elle devient la norme. »
Selon cet ancien humanitaire habitué aux crises politiques et sociales, il est évident que la planète n’arrivera pas, à court terme, à éradiquer la COVID. « Il faut donc maintenant apprendre à cohabiter avec », lance le professeur de l’École de gestion de l’UQAM.
« C’est contre-intuitif de normaliser des éclosions, des hospitalisations et des décès », concède François Audet. Il faut néanmoins que la menace pandémique « s’internalise dans la gestion de la vie publique ».
La crise durable n’existe pas : du moment qu’elle dure, elle devient la norme
« Ça ne veut pas dire d’arrêter de s’inquiéter et d’être vigilant, souligne-t-il. Il faut continuer les gestes barrière, continuer de se désinfecter les mains et de maintenir la distanciation. C’est le maintien de ces nouvelles normes qui nous permettra de nous en sortir. »
Depuis la grippe espagnole
Il y a un siècle, les restrictions collectives étaient peu nombreuses pour endiguer la grippe espagnole. « La réponse était plutôt fondée sur la responsabilité individuelle », explique Denis Goulet, historien de la médecine et auteur de Brève histoire des épidémies au Québec. « Depuis 21 mois, c’est une période unique en ce qui a trait à l’imposition de mesures aussi sévères. C’est inédit dans l’histoire moderne du Québec. »
D’après ses études, la population de 1918 acceptait volontairement de respecter les contraintes imposées par les bureaux municipaux de santé publique. « À l’époque, les archives montrent que les parents remettaient souvent à l’ordre les enfants qui dérogeaient aux précautions sanitaires. Pour eux, il était inacceptable que l’insouciance des jeunes compromette la santé publique. »
Aujourd’hui encore, Denis Goulet croit que les Québécois peuvent accepter de restreindre leur liberté individuelle au nom du bien-être collectif.
« Dans certaines cultures d’obédience sociale-démocrate, c’est une approche très concluante, décrit l’historien. Dans les pays scandinaves, par exemple, le bien-être commun prime sur les libertés personnelles. Ce sont des valeurs inculquées très tôt chez les enfants. »
Le Québec et sa tradition de social-démocratie « font partie de cette culture-là, avec des programmes collectifs comme l’assurance maladie », ajoute M. Goulet. Il note toutefois qu’une « américanisation » de la société québécoise ébranle de plus en plus les consensus sociaux d’autrefois et que l’individualisme façon Oncle Sam teinte le rapport des Québécois à la collectivité.
Une responsabilité déjà acquise
D’autres, au sein même de l’appareil hospitalier, félicitent le gouvernement de responsabiliser les individus.
« Moi, je suis très, très fier que le débat se déplace sur le terrain des responsabilités individuelles », affirmait le Dr Mathieu Simon le 23 décembre dernier, au lendemain de la conférence de presse durant laquelle le premier ministre a demandé aux Québécois de limiter leurs contacts au minimum pour la période des Fêtes.
Le chef du service des soins intensifs de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec dresse un parallèle avec le comportement des Québécois face aux autres maladies. « Si tu as la gastro, tu n’invites pas 12 personnes à table pour partager une dinde […] On n’attend pas du premier ministre et du Dr Arruda qu’ils nous disent quoi faire avec des infections qui sont plus communes. »
Selon lui, les Québécois comprennent que la logique individualiste mène à un cul-de-sac.
« La façon de faire, ce n’est pas de se projeter et de se dire : “Ça va être la catastrophe.” C’est de se dire : “OK, je suis un citoyen responsable, je vais penser avec ma tête et mon cœur, non seulement à ma petite liberté personnelle, mais à la façon dont je peux aider à préserver ces libertés-là pour qu’elles n’appartiennent pas juste à moi, mais à l’ensemble de la collectivité.” »
La crise durable n’existe pas : du moment qu’elle dure, elle devient la norme
François Audet
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